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Ma relation avec Camille évoluait lentement. Je trouvais toujours un moment pour le faire un peu parler, en respectant sa distance. Je sentais qu’elle diminuait, mais si lentement… Nous étions encore éloignés, à échanger des banalités, mais d’autres sensations indiscernables perçaient. Chaque petit grain d’intimité, d’ouverture me comblait, comme si je devais absolument le conquérir. J’avais surtout développé une grande affection pour lui, à sens unique, je croyais.
Parfois, j’effleurai d’un doigt sa joue toute lisse pour lui souhaiter bonne nuit ou bonjour. Il se laissait faire, ce que je prenais comme une grande marque de confiance. Cela ne me suffisait plus. Déjà, en classe, il était moyen, alors que moi, avec mes facilités et mon année d’avance, je survolais les matières avec aisance. En étude, je me rapprochais de lui et je l’aidais dans ses devoirs, trouvant chaque fois une excuse ou un motif pour l’aborder. Il progressa assez vite, car il était intelligent, mais manquait totalement de confiance en lui, se jugeant incapable de trouver le bon résultat.
À table, aux intercours, j’allais le chercher pour l’associer aux groupes dans lesquels j’étais. Il était clair pour les autres qu’il ne fallait pas l’embêter, car je réagissais fort et vite. Ce qui fait que tout le monde était gentil avec lui, toujours aussi discret, évanescent. J’insistais pour l’associer à la vie commune, sans me rendre compte que je lui faisais violence en forçant sa timidité et sa retenue. Il me le reprochera, en me remerciant de l’avoir fait sortir de sa retraite.
Ces entrainements par la main me valurent d’entendre des phrases stupides. Ignorant la signification exacte des termes employés, innocent dans ma relation admirative de mon petit faon, cela m’indifférait.
Ce qui me déroutait le plus était ses réactions si différentes des autres. J’avais l’habitude, je ne sais comment, que l’on réponde à mes invités assez facilement. Quand je tendais la main à quelqu’un, généralement, il acceptait. Camille répondait du bout des lèvres, comme refusant cette main.
***
Un événement me bouscula, sans que je puisse maitriser quoi que ce soit. Mon lit était au bord de l’allée et je voyais bien les deux box voisins. Les plus éloignés étaient tassés par la perspective. Un soir, dans ma diagonale, j’avais surpris un regard insistant sur moi, s’esquivant dès que mes yeux tentaient de l’accrocher. Je me mis donc à mon tour à observer ce garçon, évitant de dévoiler mon retour d’intérêt. Grand et mince, il était toujours vêtu de noir, sauf sa chemise, blanche. Avec amusements, je remarquais que, non seulement son pantalon et son pull étaient noirs, mais également ses chaussettes, ses chaussures, son pyjama. Je le surnommais le croque-mort.
Il n’était pas dans ma classe et je ne le connaissais absolument pas. Bien que mes observations soient rendues difficiles, ce petit jeu me divertissait par ses réciproques me visant en permanence. J’étais intrigué d’être l’objet d’une telle attention et par ce personnage. En plus de ses vêtements, il avait les cheveux d’un noir très pur. Cela faisait ressortir sa peau blanche, limpide. Son petit nez pointu, ses pommettes légères et ses yeux discrètement bridés laissaient penser à un métis eurasiate. Son visage complètement glabre était en rupture avec sa taille, car on s’attendait à trouver au moins des soupçons de poils. Tout cela dégageait de sa personne un magnétisme, renforçant ma volonté de faire sa connaissance alors que depuis deux mois il était à côté de moi et que je ne l’avais jamais remarqué.
Avec des ruses de Sioux, je me rapprochais de copains ou amies de sa classe, espérant glaner des informations. Déception : personne ne le connaissait. En revanche, tout le monde s’accordait sur son étrangeté. Il ne parlait à personne, ne recherchait l’amitié de personne. Il ne semblait pas timide et répondait aux questions des professeurs ou même de ses camarades, toujours précisément et succinctement, sans jamais relancer la conversation. Je ne comprenais pas que l’on puisse vivre sans prononcer une parole, sans échanger une vanne, sans rire et sans sourire. Il était un élève brillant, récoltant les meilleures notes, distançant toute la classe. Un extraterrestre pour tous. Les rares qui avaient tenté une approche avaient été découragés par sa froideur.
La situation devenait difficile pour moi. Première question : pourquoi étais-je attiré par les garçons les plus bizarres ? Camille était une exception parmi nous, je le sentais, et Charly, j’avais appris facilement son prénom, paraissait une autre exception. Seconde question : ce garçon évitait tout le monde et tout contact, mais il s’intéressait particulièrement et fortement à moi. Je n’ai rien de spécial, mise à part ma bonne humeur. Je ne suis pas très beau et je ne suis pas attiré par les garçons.
Ces questions me travaillant, j’en perdis ma prudence. Je le regardais parfois sans me méfier. Quand il me surprenait, il me lançait un maigre sourire, un petit rictus, me faisant baisser une tête rouge de confusion. Je ne comprenais pas pourquoi je me trouvais gêné d’avoir regardé un de mes camarades. Quand je me reprenais, je me forçais pour empêcher mes yeux de retourner vers mon ensorceleur.
Dans la journée, je prenais grand soin de l’éviter. Quand j’ouvrais les yeux, je me retrouvais toujours dans sa proximité, lui m’ignorant totalement. Ce type n’était pas clair. Ses sourires-rictus n’étaient pas nets. J’y lisais une invite et une souffrance. Il me cherchait le soir et me méprisait la journée. Cette dualité était dure à vivre. Normalement, j’aurais dû l’envoyer au diable. Plus je le regardais, plus j’avais envie de le connaitre.
Allongé sur mon lit, par-dessous mon livre, je le lorgnais une nouvelle fois, envieux de ce corps mince et musclé, couleur de lune, tellement harmonieux par rapport au mien ! L’image fut brouillée par une main s’agitant devant mes yeux.
– Sylvain ?
Je levais les yeux sur Camille ! Je n’étais même pas allé le voir ce soir. Je retombai sur terre.
– Camille, j’allais venir te voir !
– Sylvain, je vois bien que depuis quelques jours, tu n’es plus là.
– Mais non, n’arrivais-je pas à mentir
– C’est Charly qui te fascine ?
– Mais non, mentis-je une seconde fois.
– Sylvain, nous ne nous connaissons pas encore beaucoup, mais, tu sais, je suis content que nous soyons copains.
– Mais moi aussi, Camille.
– Je ne voudrais pas te blesser ou parler de choses qui ne me concernent pas…
– Mais ?
– Je vois bien que Charly te préoccupe. Comme beaucoup !
– Comment ça, comme beaucoup ?
– Il est tellement étrange et attirant, beaucoup aimeraient l’avoir comme ami.
– Pas moi, je m’en fiche !
– Sylvain !
– Oui, il m’attire aussi. Mais il est tellement inabordable, fuyant.
– Tu as essayé de lui parler ?
– Certainement pas ! Pour qu’il m’envoie balader, comme les autres ?
– N’essaie pas, comme ça tu n’obtiendras rien ! prononça-t-il doctement.
– C’est quoi, ça ? Tu fais dans les dictons maintenant,
Il avait réussi à me faire sortir de mon hypnose. Nous repartîmes dans nos anodines discussions.
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