26
Le coup de tonnerre arriva au bout d’une dizaine de jours. Un matin, au lieu de voir arriver Élias, ce sont mes parents qui débarquèrent. Je sentis d’emblée le vent mauvais.
– Bonjour, vous allez bien ?
– Oui, c’est super.
– Sylvain, on peut te parler deux minutes ?
Je quittai Marianne et Camille en leur glissant une grimace.
– Qu’est-ce qui se passe avec Élias ?
– Rien, pourquoi ?
– Son copain a raconté que, dès qu’ils arrivaient, vous partiez tous les deux, pendant longtemps, et quand vous reveniez, Élias avait toujours un sourire curieux sur le visage.
– On se connait depuis longtemps et on a des histoires à se raconter.
– Quel genre d’histoires ? Des histoires de garçons ?
Que savaient-ils exactement ? Qui avait parlé ? Élias ? Son copain ?
– Oui, des histoires de garçons, mais pas que…
– C’est quoi, pour toi, des histoires de garçons ?
– Rien.
– Rien ?
– Bon ! Parfois des trucs…
– Précise…
Ça suffisait. De toute façon, ils l’auraient appris. Je décidais de lâcher le morceau.
– Bon, on se fait des petits plaisirs réciproques…
– …
– On se touche, on se caresse, on s’embrasse. Et puis, merde, vous m’emmerdez. Oui, voilà, j’aime les garçons, Élias aime les garçons et nous nous envoyons en l’air. Ça a commencé l’année dernière. C’est tout, c’est comme ça !
Ma voix montait, prise par l’angoisse de cette révélation.
– Mesure tes paroles ! Tu sembles simplement oublier qu’Élias est mineur ! Et toi, à peine majeur. Sexuellement, on veut dire.
Merde, je ne savais pas ça !
– Mais, entre mineurs, ce n’est pas répréhensible ?
– Comment veux-tu qu’on sache ? On vient juste d’apprendre que notre fils est…
– Quoi ? Un pédé ? Une tapette ? Un homo ? Un gay, comme on dit maintenant ?
– Doucement ! Tu nous laisses le temps d’encaisser, s’il te plait. Mais, je ne comprends pas, tu pars en vacances avec deux filles, pourquoi pas avec un… petit copain ?
– Parce que ce sont deux amies, deux grandes amies. Elles connaissent mes préférences, vous n’avez rien à craindre, je ne risque pas de les engrosser !
– Pourquoi es-tu agressif ? On veut comprendre. Tu sais bien qu’on ne te juge pas. On ne l’a jamais fait, tu le sais !
– Excusez-moi.
Ils étaient des parents géniaux. C’était tellement brutal que, encore une fois, j’avais dit n’importe quoi.
– Ce n’est pas une conversation facile, pour nous comme pour toi.
– Oui, je sais. Vous êtes des parents formidables. Je ne voulais pas vous balancer tout ça comme ça. Il y a un problème avec Élias ?
– Il a quatorze ans, c’est très, très jeune.
– Oui, c’est vrai. Maintenant, d’après ce qu’il m’a dit, il est sûr de lui, depuis longtemps. Moi, je lui ai montré comment avoir du plaisir entre garçons. Je l’ai fait avec gentillesse et bienveillance, parce que je ne voulais pas l’abimer, le souiller. Il est tellement magnifique et nous nous connaissons depuis longtemps. C’est une sorte de petit frère. Je le protège, en même temps. Je lui donne des conseils…
– Tu te donnes un très beau rôle. C’est encore un enfant !
– Pas pour tout…
– Ses parents sont bouleversés. Tu sais qu’ils t’aiment bien, mais là, c’est comme si tu leur avais volé leur cœur.
– Élias, il en dit quoi ?
– Il te défend, il dit que c’est lui qui t’a demandé. Il ne savait pas que tu étais…
– Homo, il va falloir apprendre à le dire, ce mot.
– Doucement, s’il te plait. Oui, nous allons apprendre à le dire, à le dire aux autres. Nous sommes avec toi.
– Oui, oui. Concrètement, ils vont porter plainte ?
– Bien sûr que non. Ils veulent protéger Élias, l’aider à maitriser et à gérer ses penchants. Ils nous ont juste demandé que tu ne voies plus Élias.
– Je comprends. C’est normal, c’est dur aussi. J’ai de l’affection pour lui. Est-ce que nous pourrons quand même nous dire au revoir, sous surveillance s’ils ont peur ?
– Ça, ça devrait pouvoir se négocier. Nous allons te laisser. Ces dernières heures ont été difficiles. Tu sais que l’on t’aime. Il faudra reparler de tout ça bientôt, tu restes notre fils.
– Oui, il faut en reparler. Je m’aperçois que, même si je suis sûr de moi, de mes gouts, j’ai besoin d’aide. J’aime Marianne et je ne peux pas l’aimer.
Un gros câlin me soulagea beaucoup. C’est avec les yeux humides que je rejoignis mes deux amies (oui, amies avec deux e !). Elles avaient deviné l’objet de la visite. Je leur fis un résumé rapide. Avoir parlé de ma situation à mes parents m’avait libéré d’un poids que je n’avais pas vu. Ne plus approcher Élias, c’était dur. Je voulais vraiment savoir s’il allait bien. Le laisser au milieu du gué, avec des parents certes compréhensifs, mais bourrés de préjugés et d’apriori, ne me plaisait pas. J’étais un peu son mentor, son responsable.
Camille et Marianne m’écoutaient, me laissant parler et mettre de l’ordre dans mes pensées. Je pus également tenir Élias dans mes bras pour un adieu, en lui faisant passer affection et confiance. J’ai pu lui murmurer à l’oreille que je serai toujours à ses côtés. Il me répondit par un : « Je sais, merci, tu es le plus formidable garçon que j’ai rencontré, mon grand frère ! ».
***
Nous sommes restés en relation, très étroite. Il m’écrivait, en cachette de ses parents, pour me raconter sa vie et ses aventures, en décrivant très précisément ce qu’il avait fait, ce qu’il avait ressenti, ses jouissances, très crument. Quand je sentais qu’il n’allait pas bien, je lui téléphonais, de l’internat. Une fois, j’ai mis un mois d’argent de poche en pièces dans le taxiphone. Auprès de ses parents, je me faisais passer pour un de ses amis, Patrice, dont il m’avait indiqué le nom.
***
Nous avons achevé notre séjour à trois, profitant du temps pour parler, nous dévoiler, nous connaitre encore plus. La confiance installée permettait de dire ses doutes, ses faiblesses, ses fragilités. Cela nous rapprochait encore plus. Encore un an ensemble, et après ? Nous savons déjà que nous allons être séparés. Marianne et Camille veulent aller en fac, chacun dans une spécialité, et moi, sans doute une prépa, comme Charly.
Maintenant que mes parents savent pour moi, j’ai voulu leur présenter Camille et Marianne. Ils nous avaient véhiculés, mais je voulais qu’ils sachent où était mon cœur. Marianne fut adoptée, et réciproquement. De toute façon, j’étais sûr du résultat. Maman ne comprenait pas que je résiste à son charme.
Pour Camille, après quelques rencontres, je me pris à leur expliquer son cas. Je voulais qu’ils l’acceptent complètement et que Camille se sente libre chez moi. Ils ont eu du mal à comprendre, car pour eux, il y avait le sexe mâle ou (exclusif !) le sexe femelle. Déjà, mon cas les avait secoués, mettant à mal leurs croyances. Ils n’avaient entendu parler que de loin des homosexuels, rangés dans les pervers par facilité et désintérêt de la question.
Le cas de Camille les remua également, fortement. Le plus drôle, c’est qu’ils se trouvèrent une nouvelle marotte, l’étude de la sexualité. Ils commencèrent par celle des hommes, je veux dire des êtres humains, puis à l’homosexualité, découvrant les transgenres, les travestis, les intersexes et toutes les variations possibles. Intrigués, ils ont élargi aux animaux, découvrant des pratiques cocasses chez certains, puis aux plantes, catégorie la plus imaginative pour se mélanger les chromosomes ! Ils continuèrent toujours, émerveillés à chaque trouvaille. Je les taquinais un jour en leur disant qu’il ne m’avait encore rien montré pour les extraterrestres. Ils me rétorquèrent que c’était simplement faute de documentation. N’empêche que grâce à leur science, quand, dans la famille, mes tendances furent connues et que des remarques limites commençaient à fuser, un bon cours sur la sexualité laissait le simple d’esprit dans une confusion mentale amusante.
Moi, je voulais simplement que Camille puisse apparaitre à la maison en fille ou en garçon, naturellement, selon sa préférence du jour. C’est ce qui se passa.
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