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C’est la rentrée en terminale. De plus, comme je l’avais évoqué avec mes parents, je me fais aider. Ils sont revenus très subtilement à la charge, me disant qu’ils avaient trouvé un psy avec une bonne réputation sur ces sujets-là. Je pouvais aller aux rendez-vous à pied du lycée. Bien sûr, je ne l’avais dit à personne, même pas à Camille.
Je voulais comprendre comment je fonctionnais, mettre au clair mes préférences, pouvoir vivre ma nature en respectant et en partageant avec les autres. Les premières fois furent pénibles. Il était accueillant, ouvert, me questionnait par petites touches. Je lui racontais ma vie sexuelle, surtout passée. Je ne savais pas trop comment lui raconter, je voulais qu’il comprenne le plaisir que je trouvais dans mes rapports avec mes partenaires. Une fois, il me lâcha : « Tu peux ne pas entrer dans les détails si cela te gêne, j’ai connu ces plaisirs. ». J’ai connu ces plaisirs, cela veut dire qu’il ne les connait plus ? J’ai eu envie d’inverser les rôles et de le questionner. Cela me le rendit proche et je pouvais lui livrer en confiance mes préoccupations. Il me faisait sentir le décalage entre mon orientation sexuelle et mon orientation sentimentale. Pour le sexe, j’étais plutôt garçon, pour les sentiments, j’étais plutôt fille, plutôt Marianne exactement. Je ne me voyais pas amoureux d’un garçon. De l’estime, de l’affection, mais l’amour, le don du cœur, ça coinçait. Il me donna des pistes pour essayer de rapprocher ces deux orientations. La fin de l’année scolaire mettra fin à ces recherches. L’année suivante se passant dans une autre ville, je laissais tomber cette démarche.
***
Ma relation avec Charly, mes nuits exactement, restaient éprouvantes. Il était enfermé dans son monde. Il ne parlait que rarement.
En ce début de dernière année, le fait de ne pas le connaitre, d’ignorer tout de lui me le rendait trop distant. J’avais peur de le perdre, avant que sa supplique me comble une nouvelle fois et qu’il s’éteigne ensuite, s’éloignant un peu plus chaque fois. De plus, j’avais remarqué qu’il était plus sombre que l’an passé. Il dégageait une tristesse tenace, intense qui me mettait mal à l’aise.
Le soir, en lui caressant la tête, je lui murmurais : « Qui es-tu ? », « J’aimerais tant te connaitre. », « Tu as des secrets ? », « Viens à moi, je t’attends. », et toutes ces sortes de phrases. Son silence en retour me tourmentait. Je sentais qu’il était en train de dévisser, de partir dans sa tête. J’y mettais toute mon amitié, toute mon affection, car il semblait en avoir besoin.
Je ne sais pas comment j’ai réussi, mais, peu avant les vacances d’hiver, il me répondit un soir : « Viens avec moi pendant ces vacances, je te montrerai ce qui reste de ma vie. » J’acceptais immédiatement. Tant pis pour les autres projets. Je savais que c’était là que je devais aller.
Ce qui reste de ma vie. Je n’avais pas relevé, mais quelle étrange tournure ! Il y avait bien des mystères autour de ce garçon.
Le voyage aller fut bizarre. Dans le train, il resta renfrogné, ne répondant ni à mes questions, anodines, ni à mes remarques ou à mes tentatives de vannes. Il esquiva quand j’essayais de lui prendre la main. Je ne l’avais jamais senti aussi lointain, aussi étranger. Pourquoi m’inviter pour m’éviter ? Je finis par me jeter sur Madame Bovary, qui était au programme. Moins pour avancer que pour savourer et me perdre dans chaque phrase de Flaubert.
À l’arrivée à Marseille, une voiture de luxe nous attendait. Je le suivis, très étonné. Silence pendant le trajet. Le chauffeur savait où il devait nous emmener, car, là encore, aucune parole ne fut prononcée. Je ne connais pas Marseille, mais il était évident que nous dirigions vers les quartiers cossus, avec de grosses maisons sur de vastes terrains solidement clôturés. Il nous arrêta devant un portail métallique, séparant de hauts murs. Il repartit après nous avoir déposés avec nos bagages.
Charly sortit une clé de sa poche, ouvrit le portail. Une allée montait vers une grande villa à un seul niveau. Une très élégante construction placée dans un jardin bien entretenu.
Nous y pénétrâmes, après qu’il eut ouvert avec une autre clé. Le séjour était immense. Il alluma les lumières. Tout était ordonné, propre. Quand il vit que j’allais ouvrir la bouche, il me fit signe de me taire, sans un sourire. « Je dois faire quelque chose. » Il ressortit, descendit vers les places de parking à gauche du portail. Je le suivais de loin. Il s’approcha, s’arrêta, comme recueilli, en prière, la tête baissée. Je m’approchai à mon tour, ne voulant pas le déranger. Je vis, incrustés dans le mur, deux médaillons avec une photo dessus, comme on voit dans les cimetières, une femme, une fillette. Je me tus, respectueux du souvenir douloureux qu’il semblait vivre.
Il s’ébroua, se retourna, étonné de me voir si près de lui, et remonta vers la villa, sans un mot. Une fois la porte fermée, je me rendis compte qu’il y avait du chauffage. « Viens, me dit-il, le frigo doit être plein. » Il me conduisit à la cuisine. Nous nous installâmes et commençâmes à manger, en silence. Je n’avais rien à dire, bouleversé par cette ambiance. Et je savais qu’il fallait lui laisser le temps du courage pour parler. Nous avalions, buvions le vin de la bouteille qui était sur la table. Quand elle fut à moitié vide, il semblait s’être un peu détendu.
– Ici, c’est chez moi, c’est ma maison.
Trop de questions surgissaient, je me taisais.
– Mes parents sont morts, c’était leur maison, maintenant c’est la mienne.
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