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Je me taisais, attendant la suite. C’était vrai que j’étais un peu spécial, je devais avoir un don pour qu’on me dise les secrets les plus profonds, les plus incroyables, les plus abominables ! Celui de Camille nous avait rapprochés, que cela allait-il donner avec cette atroce histoire de Charly ?
– Tu comprends que je vis sans arrêt avec ça dans la tête. Je n’ai pas envie des petits amusements, des petites discussions. Je ne peux pas être avec vous. Je m’excuse de te raconter ces horreurs. Je dois être devenu un monstre à pitié à tes yeux. Je n’aurais pas dû t’inviter.
– Charly… Charly, je ne sais pas pourquoi, je ne sais pas comment… Toi aussi, tu es un peu spécial. Quand je suis dans tes bras, il se passe quelque chose de bizarre, toi aussi tu m’apportes du réconfort. Je crois que je t’aime !
Les mots avaient franchi mes lèvres, un peu malgré moi.
– Je ne peux rien pour ce que tu as vécu. Je peux tout pour ce que tu veux vivre maintenant !
Il leva les yeux vers moi et me sourit.
– Tu dois avoir quelque chose d’exceptionnel, car quand je suis avec toi, tu m’apaises, ces images arrêtent de défiler. Comment fais-tu ?
– Je ne fais rien ! Je ne sais rien faire ! Je crois que tu as projeté sur moi ton besoin de consolation. Et cela suffit. Peut-être même qu’en retour, tu émets des tas d’ondes positives qui me font tant de bien. Je ne suis qu’un miroir. Mais, tu sais, je le fais avec plaisir et bonheur, pour toi !
Nous nous taisions. Il pleuvait et nous écoutions le martèlement de la pluie. Encore assommé, je plongeai dans un demi-sommeil, ne pensant plus à rien. Il me proposa d’aller nous coucher. Nous sommes montés dans sa chambre. Il y avait des photos de mère, de sa sœur, pas de son père. Je regardais.
– Ta mère était une femme magnifique. Je comprends que tu sois aussi beau. Ta petite sœur était aussi très mignonne. Tu sais, par rapport à toi, je suis quelconque, je n’ai ni ta stature, ni tes formes, ni ce mélange dans les traits.
Couchés dans le même lit, allongés côte à côte, sans nous toucher, la lumière éteinte, il reprit son histoire.
– Il faut encore que je te dise des choses, pour que tu comprennes mon attitude. En Suisse, c’était un pensionnat pour fils de riches, de gouvernants, de dictateurs. Nous étions traités comme des petits princes royaux dont on respectait les caprices. J’étais sans défense, sans pensée, tellement perdu, effrayé en permanence. Je me suis quand même rendu compte qu’il n’y avait pas un seul gamin acceptable dans ce tas. Du reste, moi, le fils de gangster, j’étais comme eux, un rejeton de ces familles pillant les autres !
– …
– Un garçon m’avait touché, cela m’avait distrait. Il a recommencé. Pendant ces brefs instants, j’oubliais ce que j’avais vu. Je me suis mis à rechercher cet oubli avec frénésie. Le travail m’apportait aussi du répit, car il mobilisait mon esprit. Sexe et travail, travail et sexe, mes deux remèdes.
– En arrivant dans notre lycée, j’ai immédiatement recherché un dérivatif sexuel. J’en ai trouvé plusieurs, facilement, qui m’accompagnent toujours et me soulagent.
J’étais en plein délire. Charly était en train de me dire qu’il avait une vie sexuelle débridée, avec d’autres garçons de notre lycée. Il vivait sous mes yeux, je partageais ses nuits et je ne le savais pas ! Camille non plus, sinon, il me l’aurait dit. Moi, il m’avait contraint à la chasteté, refusant et repoussant tout attouchement, alors que par ailleurs il se tapait tous les mecs du lycée. Ce n’était pas cohérent, pas compréhensible. Pourquoi se refusait-il à moi en me donnant de la douceur ? Je commençais à ouvrir la bouche quand il continua.
– Quand ils ont monté leur petit jeu, je me suis mis avec eux…
Quoi ? Mon fabuleux Charly faisait partie de cette bande de c… Je ne m’en étais pas rendu compte ! Quel aveugle ! Pourtant, je les avais affrontés. Je devais afficher une belle tête d’imbécile, car il sourit de son effet.
– Je ne t’avais pas spécialement remarqué, trop petit garçon pour moi. Quand tu as défendu Camille, tu m’as impressionné par ta force, ton caractère. Je t’ai regardé et j’ai ressenti quelque chose de bizarre. Je poussais discrètement les autres à te faire passer dans notre jeu, je voulais voir ta réaction. J’ai compris, car je te tenais, que tu te débattais pour la forme, que tu étais content de t’exhiber.
Décidément, tout le monde peut lire en moi, sauf moi !
– Mais tu dégageais autre chose. J’ai eu envie de ta tendresse, de ton contact, de ton réconfort. Pourquoi toi ? Je ne sais pas. Mais je voulais trouver une consolation dans tes bras et tu pouvais me la donner. C’est ce que tu as fait, si souvent, si constamment. Quand je te serrais, tu me soulageais, un peu, mais tu m’apaisais. »
– …
– Si tu savais comme tu m’as aidé ! Avoir un rapport avec toi ne me tentait absolument pas. Il aurait détruit cette tendresse. Je ne pouvais pas te parler. On ne peut pas raconter des horreurs pareilles sans faire fuir. Je ne voulais pas te perdre. Je t’ai vu évolué. Je t’ai vu avancé avec Camille, ce que vous êtes touchants en amoureux ! Je t’ai vu avec Claire, avec Marianne, je t’admirais, je t’enviais. Je sais que tu as souffert de mon silence, mais tu es resté. Pourquoi ? Tu as Camille, tu as Marianne. Pourquoi as-tu continué ?
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