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Je ne savais pas s’il souhaitait une réponse. Je ne répondis pas. Je comprenais que son attente était si forte qu’il me retournait un attachement, une affectation qui me comblait. Son contact me réchauffait autant que le mien l’apaisait. Sans doute il était impossible d’exprimer plus tôt ces sentiments. L’entendre parler me confortait dans mon élan irrésistible vers lui. Il reprend, après un silence.

– Tu me plais, tu es désirable. Quand nous sommes ensemble, ça me fait tellement du bien. J’oublie les flammes. Avant, je n’avais que le travail et le sexe pour oublier. C’est généreux, ta façon de faire. Tu ne demandes rien, tu donnes et cela te fait plaisir.

– …

– Tu demandais à me connaitre et je t’ai cédé, car je sais que tu ne juges pas, que tu t’en fous des différences. Je t’ai regardé souvent avec Camille. Tu as été si gentil, si doux, si acceptant. Je ne connais pas le secret de Camille, je sais qu’il en a un, qu’il te l’a dit. (Je repense alors à son absence au bal de fin d’année, lors de la grande arrivée de Camille.) On peut se confier à toi. Tu m’as convaincu. Alors voilà, je savais que tu pouvais entendre ces horreurs.

Il se tut, après plusieurs heures de paroles quasi sans interruption, lui le taiseux. L’horreur de sa vie ! Je comprenais les mots « ce qui reste de ma vie ». Rien ! Sur moi, il avait dit des choses trop belles. C’est vrai que je me fiche des particularités, des histoires des uns et des autres. Je n’avais pas de principe, pas de morale, pas de religion. Rien à défendre. Sauf : c’est quelqu’un de bien, je veux le connaitre, c’est quelqu’un de mal, qu’il se casse. Et encore, parfois j’étais curieux de savoir pourquoi c’était un méchant. Ce qu’il me disait me permettait de me rendre compte que je pouvais accepter pratiquement tout d’un autre.

– Charly, je ne veux rien dire. Tu devines ce que je ressens. Juste, mon affection totale t’est acquise, tu le sais, elle ne bougera pas, elle n’est pas menacée par d’autres gestes. J’ai tellement envie d’aller plus loin, de ressentir physiquement notre amitié. Accepte-moi.

– Sylvain, t’es sympa. Je ne sais pas si je peux te retourner tes sentiments, je suis tellement vide au fond de moi. Mais, oui, je veux aussi aller plus loin maintenant. Tu comptes tellement. Viens !

Avant de plonger dans notre rencontre, je lui murmurai :

– Charly, ce n’est pas ton vrai prénom. J’ai vu sur les articles un autre nom que le tien pour ton père. Tu es encore caché. Je veux faire l’amour avec toi, pas avec ton masque.

– J’ai deux vrais prénoms : un français, Vincent, un vietnamien, Long, qui veut dire « dragon », celui qui crache le feu, prononce-t-il simplement.

Il venait, en toute conscience, de me faire un cadeau magnifique, m’introduisant dans sa famille, dans sa confiance, dans son intimité. À partir de cette révélation, je l’appelais Long dans nos moments intimes. Je trouvais cette syllabe chantante si bien adaptée aux mots doux.

– Je suis à toi, Long !

Nous avions tant à nous dire. Il avait une douceur étonnante, se donnant totalement. Puis le dragon s’enflammait. Je sentais son brasier le porter, l’emporter, le ronger. Suivait l’abandon total du soulagement. J’essayais alors de le ramener à la vie en lui apportant le meilleur de moi, enrobé de ma tendresse infinie. Il acceptait ce plaisir, se laissait conduire avant de repartir en combustion. Quelle épreuve, quels partages ! Long, mon amour terrible.

Après ces échanges libératoires, nous nous sommes retrouvés dans notre position habituelle. Quand sa respiration se calma, je sentis ses larmes sur mon torse. Les premières depuis l’attentat ? Cette nuit-là fait partie de celles marquées d’une pierre blanche.

Le lendemain, il était plus souriant. Il me dit qu’avoir fait l’amour (!) dans cette maison, pour la première fois, la lui rendait plus douce, plus vivable. Il me fit visiter la maison. La chambre de son père, pleine de photos de sa femme et de ses enfants. « C’était un mec ignoble, mais il nous aimait énormément. C’était un père adorable, disponible. Je ne sais pas si je dois le haïr ou non. » La chambre de sa mère, avec des photos de son mari et de ses enfants. Le père de Charly était bel homme, élégant, distingué, pas du tout la figure du bandit, mais je gardais mes réflexions. La chambre de sa sœur. Il ne voulait pas y entrer. C’était une blondinette aux yeux bridés, un mélange adorable, avec un sourire splendide. Dans le salon, je revis des photos de sa mère. Il tenait beaucoup d’elle, une de ces femmes qui marque la mémoire.

Je lui demandai à sortir. Je m’approchai des deux médaillons et, maintenant que je connaissais leur tragédie, je me recueillis, les plaignant, leur demandant de soutenir Charly, si jeune et si marqué, déjà, par la vie, par la mort. Il me regarda revenir, visiblement touché. « Personne ne mérite ça ! », lui dis-je. Leur sort, son sort.

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