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Ma douleur limait mon énergie. Je ne pouvais rien faire, maintenant, pour Charly. Il ne pouvait rien faire, il ne fera jamais, pour moi. Je le délaissais de plus en plus fréquemment. Je le voyais s’activer pour combler son appétit sexuel. Il ne savait pas pourquoi je le délaissais. Il ne s’en inquiétait pas.
Je trainais ma mélancolie. Dans mon triste brouillard, je vis apparaitre des paillettes de soleil, un beau jour ! Les taches de rousseur dans ses yeux et sur son visage étaient un plus sur cette magnifique fille, au port altier. Elle était comme Élias, une personne qui transcende la foule. Pourtant, elle était plutôt distante. Assis dans ma tristesse, je l’ai trouvée installée à côté de moi, le sourire aux lèvres. On ne pouvait que l’accompagner dans son sourire, même si c’était mécaniquement. Ce furent ses premières paroles : « Waouh ! J’ai réussi à faire sourire l’ange triste ! ». Nous ne nous connaissions pas. La voir si près de moi, préoccupée par mes sourires et mes états d’âme me fit peur. Je me reculai, surtout dans ma tête, mais elle le sentit. « Sylvain, c’est ça, Sylvain ? Excuse-moi, je ne voulais pas t’agresser. Depuis un mois, je te vois triste. Tout le monde est heureux d’avoir intégré, surtout cette école, après le bagne de la prépa. Ils sont tous à faire la fête, sans arrêt depuis le début de l’année et toi, tu restes prostré dans ton coin. Malheureusement pour toi, ton spleen te transforme en ténébreux romantique, énigmatique et fascinant ! »
Elle parlait beaucoup, beaucoup trop. Elle me fatiguait. J’ai eu envie de la rembarrer, mais j’étais bien élevé ! J’essayai alors de la refroidir. Sa façon de parler était si particulière, si caractéristique que je lui lançai.
– Versailles ? NPA ?
– Villa Montmorency !
– Montmorency ?
– Ah, provincial avec un petit verni seulement ! La villa Montmorency, c’est le 16e du 16e !
– Grande bourge' ou aristo ?
– Eugénie, simplement, si tu veux bien.
– Sylvain, petit bourgeois provincial sans intérêt. Vous n’avez pas des rallyes ou des trucs comme ça pour vous marier entre vous ?
– Ange triste, petit bourgeois provincial avec un petit vernis. On ajoute hérisson ou porc-épic ?
– Désolé, mais je ne peux rien pour toi.
– On ajoute porc-épic mal léché, ce qui est compréhensible de la part d’un porc-épic !
Elle arriva à m’arracher un sourire.
– Le deuxième ! Au troisième, je te lâche. On continue ?
Je haussai les épaules, je n’avais rien d’autre à faire.
– Tu sais, je t’ai repéré très vite. Je sais que tu as un grand copain. En fait, c’est lui que j’ai repéré, le métis asiatique. Qu’est-ce qu’il est beau ! Et comme vous êtes souvent ensemble…
Je sentis que je pouvais la faire arrêter, partir.
– Charly ? C’est mon pote, c’est mon amant depuis cinq ans et demi. On s’entend super bien, au moins pour le sexe, fanfaronné-je.
C’était dit pas très gentiment. Mais bon, tout était à plat, elle prenait ou elle se cassait. J’avais juste oublié qu’elle était de la Haute et qu’il en fallait un peu plus que deux petits pédés pour la démonter.
– Je m’en doutais un peu. Vous êtes trop mignons. Oui toi aussi ! affirme-t-elle en réponse à ma moue. Vous êtes ensemble depuis cinq ans et demi ? À nos âges, c’est une belle liaison, dis donc ! C’est lui qui a rompu ?
Et moi, de lui répondre, de lui parler de ma vie intime, sans m’en rendre compte.
– Non, c’est mon amant, pas mon amoureux, et mon pote, un bon pote.
– Tu as un autre amour alors ?
– Tu fais une étude sur la vie sentimentale des porcs-épics provinciaux mal léchés ?
– Oui, mais j’ai resserré uniquement sur ceux qui ont de l’humour, même déprimés. Mon échantillon est minuscule.
Puis elle rit
– J’ai gagné, tu viens de sourire, le troisième, je te laisse dans ton jus noir.
Elle se leva, attendant bien sûr que je lui demande :
– Tu peux rester. Nous avons raté ce cours. De toute façon, le prof est chiant. Nous avons une heure. Mais je ne sais pas si…
– Je ne blaguais pas. Je te laisse si tu veux.
– Tu as réussi à m’arracher trois sourires. Merci, car je les sens encore en moi. Tu peux continuer à jouer avec moi.
– Je ne joue pas. Ta tristesse m’a émue, tellement elle est forte et perceptible. On devine que c’est un chagrin d’amour. Et quand on voit la force du chagrin en toi, on se dit que quand tu donnes ton amour, il doit avoir la même force. C’est fascinant. Qui t’a brisé le cœur ?
– Je ne lui ai pas donné mon cœur. Elle me l’a pris, puis elle me l’a pulvérisé.
Elle ne réagit pas sur la disjonction entre mon amant de sexe et mon amour au féminin. Belle éducation, beau savoir-vivre !
– Tu me dis son nom ?
– Marianne. Je te dis n’importe quoi ! C’est de ma faute, c’est moi le responsable. Marianne, elle est adorable, c’est mon amie, même si elle ne vit pas dans les beaux quartiers.
Là, elle relève :
– Tu veux dire que ça ne te gêne pas d’avoir des amis dans les beaux quartiers… Quatre ! Si j’atteins six… Non, trop facile, mettons dix sourires dans cette heure, j’aurais droit à une bise ? Cinq ! Tu triches. Je monte à douze. Sois un peu triste quand même !
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