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La nouvelle année démarrait. Ma joie de retrouver Eugénie était partagée. Cette fille était fabuleuse.
Eugénie sentit une petite évolution. Je ne pouvais que lui avouer que j’avais passé un mois admirable avec mon plus cher ami. Elle me questionna, car elle pensait que mon grand ami, c’était Charly. Je lui parlait de Camille, comment nous nous étions connus. Comme je voulais qu’ils se connaissent, je lui dis la particularité de Camille, comment iel avait évolué, comment iel avait travaillé son image, comment iel se défendait maintenant. Et je lui avouai qu’iel me troublait, que j’avais une affection plus forte qu’une simple amitié pour Camille. Elle m’écoutait. J’ai dû bien en parler, car elle voulut absolument faire sa connaissance. Je lui dis que c’était ma plus grande intention, j’aime que les gens que j’aime s’aiment.
Je ne pensais plus à Marianne. Je me mentais ! Elle avait conservé toute sa place dans mon cœur. Je savais que tout pouvait repartir avec intensité. J’avais juste un peu mal quand mes pensées divaguaient vers elle. Eugénie n’avait pas pris sa place, elle avait creusé la sienne, vaste, somptueuse, chaleureuse. Tout était simple, facile. Je vivais complètement avec elle, même si je savais que notre avenir nous séparerait sans doute.
***
Lors de cette reprise, je vis que Charly avait changé. Ce ne fut pas pour autant qu’il fit le premier pas. Je le connaissais trop et j’avais toujours la petite boule dans mon ventre. Son accueil était chaleureux, sur l’échelle de Charly ! Passé ce premier moment prometteur, il ne se passa plus rien. Nous nous ignorions. J’aurais voulu savoir ce qu’il avait vécu au Vietnam, ce qu’il en avait rapporté. J’étais bien avec Eugénie et je n’avais plus besoin du réconfort de Charly. Quand je le voyais, j’étais encore subjugué par sa beauté. Mon attirance restait entière, attirance physique, un peu, mais surtout attirance affective. Il m’avait tant apporté, il m’avait tant fait souffrir. Je devais garder des pépites d’admiration dans mes yeux. Lui passait, sans un signe, sans un regard. Décidément, j’étais content de ne plus avoir besoin de lui. J’étais guéri. Qu’il n’en restât rien, même pas un ressentiment me relançait à chacun de nos croisements.
Ce furent sans doute les dernières braises de ma sollicitude qui m’ont permis de voir qu’il allait de nouveau mal. Il avait commencé et finit l’année précédente en se socialisant un peu, sans que je fasse partie de sa société. Depuis le début de cette seconde année, il avait retrouvé son mutisme. Je l’avais vu plusieurs fois rembarrer sèchement des camarades. Maintenant, c’était son problème. Je remarquais qu’il ne venait plus en cours. J’allais frapper à sa porte, sans réponse. Puis je ne le vis plus à la cantine. Très inquiet, j’en parlais avec Eugénie. Elle me traita de tous les noms, car il fallait intervenir plus vite, plus tôt. Je partis tambouriner à sa porte. Il n’ouvrait pas, alors que je voyais de la lumière filtrer en bas, que je l’entendais bouger. Je l’appelais. Je fis assez de bruits pour faire sortir ses voisins de leur chambre. Tous me dire qu’il ne l’avait pas vu depuis plusieurs jours. J’écartais l’attroupement, leur demandant de me laisser seul. Je refrappais, le suppliant. Quand j’entendis la clé tourner, je poussais violemment la porte, puis reculais, suffoqué par l’odeur de la chambre.
Ce mec me faisait encore chier, mais c’était Charly, mon ancien ami, mon ami encore. Je me forçai, pénétrai dans la chambre pour aller ouvrir la fenêtre. Il s’était affalé sur son lit, amaigri, absent. Une pitié immense m’envahit, ravivant mes élans pour ce garçon. Le voir dans cet état me chavirait. Je m’assis près de lui, puis me couchait contre son flanc. Il faisait froid, mais pas question de fermer la fenêtre. Instinctivement, je me serrai contre lui. Il retrouva ses gestes d’antan, me prenant dans ses bras. Ce fut le déluge, des larmes que je n’osais interrompre par des paroles. Soirée et nuit étrange. Il se réveilla au milieu de la nuit. Comme il ne pouvait se rendormir, je le poussai sous la douche. Une rapide exploration de sa chambre me rappela son inaptitude à gérer le quotidien. Je fonçai dans ma chambre chercher des affaires propres que je lui tendis quand il sortit trempé. Heureusement que cette nuit, Eugénie ne m’avait pas attendu dans ma chambre.
Sa chambre me dégoutait de trop. Je le pris et l’emmenai dans la mienne. Nous nous sommes glissés dans des draps propres , dans notre position favorite. Je le sentais calme. Et soudain, ce fut à nouveau la magie, l’énergie qui circulait entre nous. J’avais oublié combien c’était agréable d’être à son côté. J’espérai juste que la circulation se faisait dans les deux sens. Le lendemain, Eugénie nous réveilla enlacés. Je m’extrayais du lit, embrassai Eugénie en lui promettant des explications. Je fonçai à la cantine pour rapporter à notre dénutri de quoi se reconstituer. Puis, je partis rejoindre Eugénie pour lui expliquer cette curieuse relation. J’avais besoin d’aide et de soutien, donc je lui parlais de Charly, de notre relation depuis si longtemps. Je lui dis, sans entrer dans les détails, le drame atroce de son enfance. Je lui dis son refuge dans le travail et la sexualité, en avouant que, pour moi, ce fut une seule fois, une nuit très spéciale. Comme j’étais choqué et perdu, ce fut elle qui mit en place le plan de sauvetage. Charly allait occuper ma chambre, Eugénie voulant bien m’accueillir toutes les nuits (comme à notre habitude !), le temps de faire nettoyer sa porcherie. Elle proposa que je passe le maximum de temps avec lui pour lui faire rechercher et accepter une psychothérapie.
En fait, je ne repassai que quelques nuits avec Charly. C’était dur et violent. Je l’engueulais sévère, le secouais, le poussais dans ses retranchements. Il résistait avec brutalité, en lâchant des pistes d’explications sur lesquelles je m’appuyais pour l’attaquer plus surement. Son second voyage au Vietnam lui avait permis de retrouver sa mère, enfin dans ses souvenirs, déclenchant une déprime sévère. Je lui démontrais que c’était trop dur, qu’il ne pouvait pas y arriver seul, qu’il existait des gens qui pouvaient aider. Vivre son drame à dix ans, c’était horrible, le vivre toute sa vie, c’était vivre mort !
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