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Cette seconde année a vu un autre de mes amours partir dans une vrille fatale. J’étais en stage depuis quelques jours, à l’autre bout de la France. Je savais qu’Élias était en train de se séparer de Xavier, son grand amour depuis plus d’un an. La veille, de l’hôtel, je lui avais téléphoné, longuement, très longuement, sans arriver à le consoler. J’avais fait passer toute mon affection, mais il était perdu, détruit. Je lui ai donné mon numéro professionnel, lui disant qu’il pouvait me déranger sans problèmes.
J’étais arrivé dans cette équipe au plus mauvais moment. Ils étaient sur un lancement, une charrette comme ils disaient. Mon maitre de stage m’avait expliqué en deux mots en m’accueillant, me disant de regarder, de me rendre utile et qu’il s’occuperait de moi dans une semaine. J’essayais donc de rendre service, de faire les petites tâches pénibles, à leur grande satisfaction. J’étais quand même, la majorité du temps, assis à mon bureau à les regarder s’agiter. Je fus surpris quand mon téléphone sonna :
– Sylvain, c’est Élias. Voilà, c’est fini pour moi. Ça ne vaut pas la peine de continuer. J’ai pris des cachets, je vais m’endormir et partir. Je voulais te dire au revoir, tu es le seul que j’aime.
Tonalité !
– Élias ! je hurle.
Tout le monde se fige me regarde.
– Élias, mon frère, vient de me dire qu’il est en train de mourir. Il a avalé plein de cachets.
Je commence à pleurer. Mon maitre de stage s’approche.
– Stop ! On va le sauver. Priorité absolue, tant pis pour le projet. Bon, il habite où ? Tes parents, ils sont où ?
– Il est à Paris, les parents sont loin.
Bêtement, je répondais pour mes parents, mais c’était pareil pour ceux d’Élias. Il réfléchit.
– Inutile de prévenir les secours ici, c’est par département. Bon, il faut trouver le numéro des pompiers et du SAMU à Paris. À moins que l’un de vous connaisse quelqu’un à Paris qui puisse les appeler. Donne-nous son adresse et son téléphone. Essaie de l’appeler. Appelle vos parents.
Chacun a sa tâche. Dix minutes après, on savait que les secours de Paris étaient prévenus (en fait, il y aura deux camions de pompiers et un SAMU qui viendront !) et en cours d’intervention. Puis plus rien, aucune nouvelle. J’étais tétanisé à mon bureau. Seul Élias avait mon numéro. J’ai appelé les parents d’Élias, pour leur dire que les secours étaient en route, parce qu’Élias avait avalé trop de cachets, sans en dire plus. Ils ne seraient pas à Paris avant quelques heures, plus le temps de trouver l’hôpital… Mon maitre de stage m’avait rassuré, me disant qu’avec des cachets, on avait le temps. Je savais que ce n’était pas forcément vrai, mais il était tellement fort, rassurant, efficace, que je voulais le croire.
Le soir, toujours aucune nouvelle. Mon maitre m’invita chez lui, à diner et à dormir. Il ne voulait pas me laisser seul. Il y a des gens formidables.
Ce ne fut que le lendemain matin que la mère d’Élias m’appela. Ils étaient chez Élias et avaient trouvé son carnet et mon numéro. Je ne l’avais pas encore donné à mes parents.
– Sylvain, merci, tu nous l’as sauvé. Il va bien, les secours sont arrivés à temps. Le pire, c’est qu’il ne risquait pas de mourir avec ce qu’il a avalé. Il serait devenu un légume, le cerveau détruit, si on avait tardé.
Elle pleurait. Je regardais toute l’équipe qui attendait, anxieuse. Je leur fis un sourire, le pouce en l’air. Certains sont venus me taper l’épaule, certaines me faire une bise. Ils avaient vécu, partagé avec moi ce drame, alors que nous ne nous connaissions pas. Je les remerciai, les yeux mouillés. La mère d’Élias se reprit :
– Tu sais, Sylvain, on ne t’en veut pas. On te connait depuis toujours et on sait ta gentillesse foncière. Savoir qu’Élias était homosexuel ne nous a pas tellement surpris, il est tellement spécial avec sa beauté. Que ce soit toi qui l’as initié, c’était la meilleure chose, dans ces conditions. Mais il était tellement jeune, nous avons voulu qu’il profite encore de son enfance. Tu sais, on a vite compris que Patrice, c’était toi. Mais comme à chaque fois que tu l’appelais, il raccrochait souriant et détendu, nous étions contents quand tu l’appelais. Tu l’as bien aidé.
Je la laissais continuer, je n’avais rien à répondre. C’étaient aussi des parents formidables.
– Et là, qu’est-ce qui s’est passé ? Il était très secret sur ses relations. Il nous avait présenté Xavier, qui semble un gentil garçon.
Je ne voulais pas parler à la place d’Élias. Je lui dis cependant ce qu’Élias avait mis dans cette relation, tout ! Trop ? La rupture, invivable. Je pleurais maintenant, de soulagement. La tension s’évacuait. J’abrégeais, la remerciant, la rassurant et acceptant de me rapprocher d’eux et d’Élias.
Dès que je le pus, à la fin de mon stage, je me précipitais le voir. Il m’attendait à la gare. Je me précipitais dans ses bras, car sa vue venait de concrétiser l’horreur évitée de sa disparition. Ce ne fut qu’à ce moment que j’ai réalisé qu’il avait failli ne plus être là. Je le serrais tout en l’inondant de mes larmes. Je m’effondrais, incapable de parler, envahi par des flots qui me libéraient de ce cauchemar. Il était venu en voiture, fier de son récent permis. Il nous ramena chez ces parents, conduisant avec attention et précaution, ce qui nous empêcha de vraiment parler. Je le regardais pour la première fois en jeune adulte, avec des responsabilités. Ce n’était plus un enfant. Je n’étais plus un enfant non plus : dans un an, je travaillerai, je serai autonome, peut-être en couple. En m’associant à sa maturité, j’étais heureux que nous poursuivions nos chemins si proches, oubliant pourquoi j’étais venu le voir.
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