Ma vie avec Marianne
À la fin de la seconde année, j’ai appris par Camille que Marianne avait rompu. Je ne l’avais pas revue depuis plus d’un an, nous n’avions échangé aucun mot, mais elle me manquait toujours. L’idée de la rencontrer avec son mec me révulsait et j’avais fui toutes les occasions de retrouvailles. J’étais jaloux et en colère.
Les événements se passèrent bizarrement et naturellement. Avertie de mon arrivée à Paris, elle m’attendait. Ce que je ne savais pas. Ce qu’elle ne savait pas, elle, c’est que j’étais accompagné d’Eugénie, qui rentrait aussi à Paris. Moment de flottement, présentations réciproques et un pot pour faire connaissance. J’étais sur des charbons. Eugénie connaissait Marianne, je lui en avais parlé, trop ? Marianne connaissait Eugénie, Camille lui avait tout raconté. Elles étaient des filles bien et bien élevées. Ce furent des conversations charmantes et détendues. Pourquoi avais-je l’impression d’être l’enjeu d’un combat de boxe ? Bises copieuses, promesses de se revoir et elles partirent chacune de leur côté, sans regarder, persuadées que je restai avec l’autre. Un bel imbécile planté ! Cela valait du reste mieux, car je me suis assis pour reprendre mes esprits et un whisky, avant de foncer chez Camille pour lui raconter ce sketch incroyable.
Bien sûr, Marianne avait couru se réfugier chez Camille ! Surprise ! Avant qu’elle ait ouvert la bouche, je l’ai prise dans mes bras, la couvrant de baisers, lui disant combien elle m’avait manqué. Je n’avais pu le faire devant Eugénie. Je retrouvais tout, intact. Ces années silencieuses, son amoureux, n’avaient jamais existé. Elle était toujours aussi belle, aussi désirable, aussi désireuse. Maintenant, je savais où était mon destin, mon bonheur à venir.
***
Ma relation avec Eugénie, en dehors de sa magie, m’avait fait énormément progresser. Hormis l’épisode avec Charly, je n’avais eu aucun rapport pendant cette période, ni avec une fille et, surtout, avec un garçon ! J’étais toujours sensible au charme masculin. La vue d’un beau garçon n’excitait pas que mon esprit ! L’envie, cependant, avait disparu. Je m’en suis aperçu lors d’une soirée d’anciens. Édouard était présent et nous revoir fut un très grand plaisir. Il affichait et assumait ses préférences, tous nos camarades les connaissant. Nos embrassades et caresses firent, peut-être, comprendre à certains que notre amitié était entière. Nous avons passé un bon moment ensemble. À sa proposition de nous éloigner ensemble, je n’ai pas pu répondre. Mon envie avait disparu. Nous avons longuement discuté, car notre estime, elle n’avait rien perdu.
Une lueur dans les yeux d’Eugénie fut sa seule réaction, quand je lui rapportai cette péripétie. Accompagnée d’un baiser plus intense que d’habitude.
***
Je dis à Marianne, un peu plus tard, mon désir de vie avec elle. Ce ne fut pas une demande en mariage, car nous avions encore un an à vivre éloignés. Ce fut un engagement, simple et fort, partagé. On double sa force avec une telle promesse.
Au retour de vacances entièrement consacrées à un stage, Eugénie me dit que cela se voyait trop que je voulais sauter dans les bras de Marianne. Elle ne voulait pas entamer un combat inutile, car elle voyait que mon cœur était repris. Pour autant, nous n’avions pas épuisé notre relation, car nous avions encore des choses à vivre ensemble. Nous retrouvâmes notre vie commune et sexuelle avec toute sa profondeur, moins fougueuse, mais plus intense. Nous savions que c’étaient les dernières fois et qu’il en resterait une amitié éternelle.
Nous sommes restés très proches avec Eugénie. Nous avions notre rituel annuel d’un diner à quatre dans un grand restaurant. Le quatrième était Élias.
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Avec la fin des études, les dernières vacances scolaires furent l’occasion de retrouvailles complètes avec Marianne. Un peu malgré moi, et pour mon bonheur, j’avais respecté ses consignes. Maintenant, je me vouais exclusivement à elle.
Il nous fallut un certain temps pour que nous nous découvrions sexuellement. Nous devions d’abord nous rapprocher physiquement, retrouver étreintes et baisers. Parallèlement, Marianne négociait dur ma rémission. Pour le sexe, c’était elle, exclusivement, sans contorsions masculines. Ces deux contraintes, j’y souscrivis d’emblée, ajoutant une clause secrète dans ma tête : « dans un premier temps ! ». Deux dérogations furent négociées.
La première pour Camille. Sachant son affection pour notre ami, je lui dis que nous avions des échanges intenses, érotiques, de jouissance partagée. Pour nous, c’était du plaisir entre amis, pour certains, on pouvait y voir des jeux sexuels. Elle accepta, autant par amour pour moi que pour Camille (oui, j’ai mis amour dans les deux cas !). Le second cas était plus difficile. Je lui expliquais que Charly était en train de travailler sur lui, qu’il avait vécu des choses horribles, que ça lui prendrait du temps, beaucoup. Que pour l’atteindre, maintenir le contact, pour lui, il pouvait y avoir besoin du sexe. Nous nous étions retrouvés par ce moyen et je voulais pouvoir recommencer librement en cas d’urgence. Je ne pouvais pas, ne voulais pas l’abandonner. Cela faisait maintenant déjà trois mois que je n’avais aucune nouvelle, je m’inquiétais. Elle le connaissait, elle savait notre attachement. Elle me précisa : « Tu sais, si je veux des rapports exclusifs avec toi, c’est pour avoir des rapports non protégés. Et si je veux avoir des rapports non protégés avec toi, c’est pour que nous fassions des enfants… »
Décidément, je ne comprenais rien. Je promis de me protéger dans mes rapports éventuels avec Charly. Puis, quand il sera sorti d’affaires, de faire tous les tests existants.
Dernier point que je réclamais. Je voulais être libre dans mes contacts avec mes copains, dont beaucoup de gays : baisers sur la bouche, attouchements, pouvoir avoir des étreintes chaudes. Et continuer à regarder les beaux gosses, en rêvant. Elle accepta sans problème. Je crus percevoir qu’elle avait ajouté une clause secrète : « dans un premier temps ! ».
Les choses se passèrent à peu près comme prévu. Camille s’était mis dans des associations de défense de cas comme lui. Il rencontrera Swann, assez semblable à lui, par le cas, l’allure, la gentillesse. Ils se mettront ensemble, mettant fin à nos échanges amicaux si spéciaux. Je dois avouer que j'ai un faible pour Swann, si joli garçon dans ce visage de fille, ou inversement. Ma tendresse infinie pour Camille s'est étendue naturellement à Swann. Quand je rêve, c'est Swann qui est dans mes bras.
Charly resta plusieurs années à se chercher, vivant de ses rentes. Je le voyais souvent, étant sa principale (unique ?) connaissance sociale. Le plus souvent pour parler, au lit quand il piétinait. Ce furent toujours des nuits chastes. Jamais plus les événements ne nous rapprochèrent dans une nuit d’actions de grâce. Il tournait en rond, n’arrivait pas à éteindre le brasier. Pour sa mère, il commençait à accepter. Mais cela avait ouvert l’amour profond qu’il avait porté à sa petite sœur. Sa mort, dans ses conditions, devenait encore plus insupportable. Son père était toujours un mystère inabordable par sa conscience. Il partira faire le tour du monde, de palaces en bouges, fuyant ce qu’il ne pouvait atteindre. Il repassait de temps en temps, en forme ou déprimé, pour une semaine ou une année, reprendre le travail puis le fuyant à nouveau. Il se racontait, ses reprises de recherches, ses abandons. Il revint avec une maladie exotique inconnue qui l’emporta. Nous étions très peu nombreux à l’accompagner, à l’hôpital puis en terre. Ce n’était pas le premier enterrement d’amis. Parmi mes copains gays, cela avait été l’hécatombe, effaçant cette partie de ma jeunesse. Le plus dur était à venir, avec l’accompagnement définitif d’Élias, quelques années plus tard.
J’appris que j’étais le légataire universel de Charly. Il ne m’en avait jamais parlé. J’en fus très ému et, finalement, pas très étonné. Les montants annoncés étaient colossaux, sans signification pour moi. Il avait donné la majeure partie à des associations d’aide aux prostituées, aux drogués, à la protection du trafic d’enfants. Aides à toutes les victimes de cette fortune. Même après cette ponction, même après les droits de succession, quand j’annonçai la somme à Marianne, elle en resta sonnée. Je lui racontais alors l’origine de cette fortune et comment elle avait couté sa vie à Charly. Elle me fit remarquer que l’origine de chaque fortune est toujours ignoble, au mieux malpropre ou malhonnête.
Tenant à le conserver dans ma mémoire, avec l’acceptation de Marianne, nous avons emménagé dans son immense appartement, avec nos deux enfants. Pour respecter ses volontés, le reste partira en dons.
De toute façon, nous n’avions pas besoin d’une fortune : notre bonheur suffit.
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