L'été
Le soir même, Sandre revint voir l'humaine pour lui annoncer le succès de son entreprise.
-Tu partiras au début de l'été. Bonne nuit.
Lily ne put même pas la remercier une fois encore. Le lendemain, elle trouva des arrangements avec ses connaissances les plus sympathiques, et perfectionna aussi bien ses connaissances en dragonien qu'en langue humaine.
Elle reçut malgré elle quelques nouvelles de l'entreprise d'Unnvi. Sdrèv s'était absenté une dizaine de jours, et à son retour ne manqua pas de lui donner les détails de leur descente au bordel du porc, pour saisir tout ce qui permettrait d'alléger sa dette, que les restes de sa famille paieraient. Ils en avaient profité pour prendre du plaisir auprès des prostitués et des tenanciers, puis ramené au campement les quelques survivantes certainement enceintes, le temps qu'elles donnent naissance à des hybrides. Ces derniers, selon leur degré de ressemblance avec leur parent non-dragonien serviraient d'espions ou de premières cibles aux archers, une autre façon de désigner la chair à canon.
Les elfes qui suivaient l'humain, pour venger leurs femmes enlevées à la demande de ce dernier, s'étaient résignés à payer les Sel. Lily parvint à le faire dévier du sujet avant qu'il ne donne des détails sur la façon dont les Sel avaient obtenu cette signature de contrat. Après quoi, ils réfléchirent ensemble aux détails de son départ.
Jusqu'à la fin de son séjour parmi les Sel, Lily ne participa à aucune vente. Les dragoniens préféraient faire venir leurs clients dignes de confiance en début d'année, au moment où les routes étaient les plus pratiquables et eux-mêmes se trouvaient au plus près des frontières. Quant aux mauvais payeurs et autres arnaqueurs, ils devaient non seulement affronter le froid et le mauvais temps, mais aussi échapper aux écailleux affamés. Les mercenaires savaient toujours ce qu'il advenait de leurs débiteurs.
Le jour de son départ, l'un des enfants d'Ayor lui rendit sa version en français du contrat, et une cape signalant aux chasseurs qu'elle ne manquerait pas de rencontrer qu'elle bénéficiait de la protection du clan. Sdrèv fut celui qui la guida jusque l'intérieur d'une forêt.
Près d'un bras de rivière se trouvaient les affaires que lui donnaient les Sel. Un cheval l'attendait, portant des saccoches pleines de vivres et d'objets de première nécessité, comme un briquet, une couverture et plusieurs gourdes vides, ainsi qu'un peu d'argent. Sdrèv lui donna brièvement les tarifs habituels pour les chambres d'auberges ou de relais et la nourriture.
Pour l'en remercier, elle le prit dans ses bras. Le geste le surprit, il chercha dans son esprit une mauvaise intention quelconque avant de lui rendre son étreinte en ronronnant. Gêné, il n'osa pas la détacher de lui, ce qui la fit bien rire quand elle lui rendit sa liberté.
-Ssseh, on jurerait que tu as apprécié le temps passé avec nous, releva Sdrèv.
-C'est le cas, confirma Lily ; une fois le contrat signé j'ai estimé que les plus grands dangers me menaçant étaient écartés, alors autant profiter de mon temps passé parmi vous pour apprendre !
Pendant qu'ils poursuivaient leur conversation, elle vérifia l'état du cheval, s'assurant qu'il ne boîtait pas, qu'il avait été soigneusement pansé et soigné. Par curiosité, en plus de véirifier ses sabots elle observa ses fers, similaires à ceux de son monde d'origine. Elle espérait toujours rentrer chez elle, et espérait retrouver assez vite les réflexes de cavalière. Cela faisait bien huit ans qu'elle ne montait plus, suite à un déménagement. Elle avait tenté de continuer à monter, mais ne s'était pas bien entendue avec les gérants des centres équestres près de chez elle. Alors elle avait arrêté, à regrets. Elle se jura de recommencer à réfléchir à un moyen de reprendre ce sport à la première occasion... une fois chez elle.
Satisfaite, elle demanda à Sdrèv de l'aider à monter en faisant contre-poids. Tout en réglant les étriers, elle fit ses adieux au dragonien. Il lui demanda une dernière faveur. Ne pas s'engager auprès de ce qui pourrait nuire au peuple prédateur. Comme l'élevage de chiens de guerres et ce qui s'y liait, la fabrication d'armes et ce genre de choses. Elle accepta volontiers, estimant leur devoir ça. Toutefois, ils ne signèrent aucun contrat.
Elle commença par avancer au pas avec son cheval bai, renouant avec d'anciennes sensations oubliées et le pas énergique de l'animal. Lily n'était pas habituée à monter en extérieur, mais se souvenait très bien de la différence de vivacité flagrante entre un cheval au manège et en balade.
Se sentant graduellement en confiance, elle passa au trot, et contourna les obstacles qu'ils auraient pu franchir d'un bond. Elle s'imposa cette allure bondissante le temps de s'échauffer, de continuer à renouer avec la perception et les réactions de ses muscles, et de s'assurer que sa posture convenait. Alors seulement, elle tenta le galop.
Le cheval fonçait comme un dératé. Lily n'eut d'autre choix que de se mettre en équilibre pour rester en selle, les rênes un peu longues et les mains accrochées au milieu de l'encolure. Comme cela lui arrivait souvent après une longue période sans adopter cette position, elle resta en équilibre précaire tout du long. Les pieds, les jambes et le dos en feu, elle parvint à ralentir l'allure et imposer le pas. Elle avait oublié la douleur musculaire engendrée par ce sport. En nage, elle sortit sa boussole pour s'assurer qu'elle ne déviait pas du nord. Pour le moment, non.
Elle passa une jambe au-dessus du pommeau, l'autre, et recommença avec le troussequin. Assise à l'envers, Lily fouilla dans les saccoches pour en sortir un fruit de griê'k et de quoi briser la coquille épaisse. Elle jeta les éclats de coque, et se remit dans le bon sens pour manger. Son cheval ne tarda pas à tenter de manger lui aussi, elle le laissa brouter et souffler un long moment. Savourant la solitude et le calme, elle se laissa bercer par le pas serein de sa monture et les bruissements de la forêt. Le chant des oiseaux, quelques cris d'animaux, le pas du cheval, les végétaux qu'il arrachait puis mâchait en surveillant les alentours, quelques sons de petits animaux prenant la fuite, le vent dans la cime des arbres...
Lily décida de continuer au pas pour le reste de la journée. Les Sel lui avaient recommandé de suivre la rivière sans la traverser, ce qui la ferait arriver en trois à huit semaine au comté de Ronnard, qu'elle trouvait dangereusement proche du comté de Rubis. Ces deux comtés engendraient les pires racistes extrémistes, et bien qu'ils se montrent plutôt bienveillants envers leurs frères et soeurs humains, la jeune femme préférait s'éloigner des frontières et de leurs massacres sanglants à venir. Si l'unification des clans dragoniens ne tombait pas sur une période de sa vie, ça pouvait tomber sur ses descendants. Dans le cas où elle ne parviendrait pas à rentrer chez elle avant.
Elle profita de son avancée tranquille pour s'interroger sur ce qui pouvait l'attendre chez elle, depuis le temps. Réintégrerait-elle le monde réel en sortant du coma ? Ou directement dans sa cuisine, avec une belle bosse ? Et son chiot ? Son appartement, ses factures, ses proches, son travail ? Ele soupira. Nul ne pouvait lui répondre, alors en attendant que Freiyx ou une autre divinité ne daigne lui permettre de retourner chez elle, mieux valait faire sa vie dans ce monde-ci. Les sensations de faim, de soif, de fatigue, le sol et les vêtements qui grattaient et s'infestaient de puces et de parasites lui semblaient bien assez réels pour ne plus penser qu'il s'agissait d'un mauvais rêve.
Ne pouvant rien faire d'autre, elle poursuivit son avancée à un rythme tranquille, fouilla distraitement dans les saccoches en se mettant à l'envers sur la selle, se plongeant dans de longues séries d'interrogations ou savourant le calme ambiant.
Quand la nuit tomba, elle entrava le cheval, lui retira son harnachement et bivouaqua. L'allumage du feu lui prit beaucoup de temps. Le lendemain matin, trempée par la rosée, elle mit au point un petit rituel matinal consistant à s'occuper de la monture, de quelques exercices appris par le maître d'armes puis de prendre soin de son équipement. Elle profita aussi de son absence de contraintes pour renverser les saccoches au sol, afin de se faire un inventaire.
Elle y trouva une dague et un poignard rouillés mais tranchants et solides, quelques vêtements de change, une couverture usée jusqu'à la trame, plusieurs bourses remplies, un briquet, le casse-griê'k, et deux gourdes remplies par ses soins, ainsi qu'un support pour surélever ses feux de camp et limiter le risque de démarrer un incendie.
Comblée, elle reprit sa route en sifflant faux, permettant à sa monture de se délier les muscles, et osa quelques temps plus tard, malgré ses violentes courbatures, un grand galop. La émoire musculaire revenait, elle eut moins besoin de la position d'équilibre pour tenir.
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