Chapitre 2 - Et après ?
L’assemblée médusée se met doucement en branle, comme sortie d’une longue transe. Chacun se déplace à pas chancelants et imprécis. Pochetron-Longuecuite s’approche de sa compagne pour s’agripper l’un à l’autre comme à une planche de salut.
Soudain, Vomie-de-Pétruchienne serre le col de Ginger, bascule la tête de côté et se vide de toute sa réserve de magie en grande partie épuisée. Une odeur âcre les enveloppe, où flotte des relents de haricots pourpre à la franchouillenne dégustés le matin-même. Ils avaient voulu être prévoyants : le sort durerait sûrement une bonne partie de la journée et il leur faudrait tenir avec un unique repas sur les prochaines vingt-quatre heures. Notre héros a à peine le temps de regretter ce choix qu’il bascule sa tête de l’autre côté pour rendre son petit-déjeuner.
Ginger se sent bousculé. Il resserre sa prise sur sa compagne. Avant de devenir la bille d’un flipper géant, notre Charmeur tire doucement Pétruche en avant pour suivre le mouvement de la marée humaine. Ils sont pris dans le flot d’épaves les menant vers la sortie. Une scène à mi-chemin entre le lendemain de fête trop arrosée et une invasion de mort-vivants : certains s’écroulent soudain et roulent sur les caniveaux naturels de chaque côté du chemin ascendant, parfois poussant des cris d’animaux, parfois s’endormant à même la galette fraîchement régurgitée.
Pétruche et Ginger s’épaulent et finissent par entrapercevoir un faible rayon de clair de lune au reflet vermeil. Pochetron-Longuecuite est secoué par la vérité qui s’imprime en lettres distillées dans son esprit : un signe du destin. Les lunes rousses sont rares, les hommes rouquins considérés comme des moins que rien.
Pourtant, il est là, aux premières loges du retour de Ducruel-Beauroctoto et l’astre nocturne lui fait honneur.
Ils continuent à rebrousser chemin jusqu’à ce que leur corps cède, le long d’un sentier forestier où ils s’affalent pour une nuit sans rêve, à la belle étoile.
Tard le lendemain, notre héros émerge difficilement. Le mal de crâne qui explose bruyamment lui donne l’envie de se réfugier à nouveau dans les limbes de la nuit. Mais ces dernières fuient, il est temps de se réveiller. Certains l’ont prévenu des méfaits d’une trop grande prise d’alcool, il n’y a pas cru. L’alcool est l’essence même des charmes, leur allié. Une brûlure acide remonte vers la sortie et il crache de la bile.
— Rahhlala Mamour, la Prohibitude nous a vraiment ramollis. T’as vu à quel état nous sommes réduits ? Si on avait pu s’entraîner, je suis sûre que nous n’aurions pas l’air aussi mal en point, articula difficilement Vomi-de-Pétruchienne.
Elle a raison, la faute n’est pas l’alcool mais ce gouvernement anti-charmes. Sans accoutumance, impossible de dompter les effets secondaires de l’essence magique.
— Tu as raison Bibiche, qu’ils aillent tous pourrir au Tartare !
Ils explosent de rire en s’imaginant la fin imminente de leurs ennemis, mais sont stoppés net par les élancements violents qui en résultent.
— Que fait-on Mamour ?
— … On…
— On quoi ?
— Attends… Je réfléchis. J’y arrive pas, j’ai l’impression que ma tête sert de ballon à une équipe de trolls des cavernes. On se rallonge.
— Et après ?
— Après, on verra.
Ils contemplent le ciel se parer d’une lumière dorée pour décroître vers une teinte rose-orangée de plus en plus prononcée.
— Mamour.
— Quoi ?
— J’ai soif.
— Moi aussi, va falloir qu’on se lève. Ça donne quoi ta tête ?
— Ça fourmille de bébêtes étranges mais j’ai pu le crâne en éruption, et toi ?
— Pareil.
— A trois on se lève : un…deux…trois…
— Attends, j’étais pas prêt.
— Moi non plus. Un…deux…trois…
— Attends, il manque le baiser motivitude.
Pochetron-Longuecuite suit sa belle du regard et la voit rouler comme une crêpe jusqu’à lui. Ils se bécotent doucement comme ils le font à chaque réveil et cette fois, ils sentent tout deux leur machine interne se mettre en branle. Ginger en sent une autre s’activer mais cela ne lui semble pas des plus approprié, il y a plus urgent :
— Comment peut-on aider le Sublimissime ?
Haussement d’épaules.
— Je… Je sais pas, je m’attendais à un mode d’emploi, pas toi ?
— Oui un plan d’action, des directives claires. Au lieu de ça, j’ai l’impression de repartir de zéro.
Elle souffle.
— On fait quoi ? demande-t-elle en l’embrassant.
Il sent le désir grandir. Ce n’est décidément pas le moment, alors que leur guide est de nouveau parmi eux. Il faut agir pour sa gloire !
— Allons à Luthèce, au siège de la Guilde du Grand Rouge. Ils sauront sans aucun doute quoi faire.
— Tu as raison, c’est pas en restant ici qu’on servira à quoique ce soit. Et puis, il nous faut des réserves d’essence magique et eux sauront où nous en procurer. C’est sûr qu’avec la nouvelle, le gouvernement va sévir et les distilleries clandestines vont trembler encore plus qu’avant. Fasse que Ducruel-Beauroctoto soit rapidement notre nouveau dirigeant !
Sur cette ardente prière, ils se lèvent et prennent cahin-caha le chemin de la capitale.
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