Chapitre 5 - La guidance
Ginger ouvrit grand la fenêtre au moment où le Crieur prenait la parole, enfin ce qui aurait dû être le Crieur.
— Franchouillards, on vous ment ! Les Tempérés de l’Abstinence menés par le Générialissime Chaster vous promettent le Champ des Délices si vous vous évertuez à suivre le droit chemin de la Prohibitude, mais ce sont des Charmeurs qui capturent en secret dans les distilleries clandestines, ce sont également des Charmeurs qui m’ont mis aux arrêts et non la Ligue Puritanienne. Vous trouverez à l’Administration la copie du document ratifié pour mon arrestation et les moyens mis à disposition pour ma capture. Je vous offre le choix : boire ou ne pas boire. Pour les Charmeurs et les Non-Pratiquants. Mettre les charmes au service de toute la nation plutôt qu’aux sombres desseins de ses dirigeants. Rejoignez le Sublissime Machielzédec, la liberté et la culture cul-sec !
À peine le gong de fin retenti, Pochetron-Longuecuite perçut une étrange sensation dans le bras gauche. Il souffrait d'un irrépressible besoin de sortir, comme si une main le tirait.
— Mamour, je sens un truc bizarre dans mon bras, souffla Vomie-de-Pétruchienne. Je crois… Je crois…
— Qu’il faut sortir.
— Quoi ? Toi aussi ?
— Oui, répondit Ginger en relevant sa manche pour mettre au jour le tatouage qui pulsait sur sa peau.
Nos deux amoureux se prirent les mains en sautillant sur place pour s’exclamer en chœur :
— Il nous appelle ! Il nous appelle !
L’œil brillant et les mains enlacées, Ginger et Pétruche s’apprêtaient à sortir quand la jeune femme étouffa un hoquet.
— Bibiche ?
— Les Croc’meuh…
— Attends.
Le Charmeur se retourna pour héler le nain, mettant les mains en porte-voix.
— Nainportekoi ! Les Croc’meuh, à apporter je te prie !
Presqu’aussitôt, le nain-à-tout-faire apparut, deux sandwichs en main enroulés dans du papier journal.
— Parfait ! Laisse la lanterne extérieure allumée jusqu’au couvre-feu.
— Bien, maître.
Le majordome les accompagna jusqu’à la porte et referma derrière eux. Pochetron-Longuecuite avait désormais la désagréable sensation qu’une fourmilière entière s’activait dans tout son corps. Il retint de peu les petits bonds réflexes pour ôter les indésirables. Mieux valait presser le pas et rejoindre leur guide au plus vite. Il se tourna vers Pétruche qui elle ne s’était pas privée d’entamer une danse de ver de terre en pleine rue.
Ginger posa les deux mains sur les joues de sa compagne et y apposa deux paires de claques qui laissèrent les joues de sa belle rosies. À son tour, la Charmeuse asséna deux paires de gifles à sa moitié. Ils soufflèrent un grand coup, secouèrent la tête avant de frotter leurs nez l'un contre l'autre.
— Tu as raison, il faut se reprendre, merci Mamour !
— Par-là, indiqua Pochetron-Longuecuite d'une main, glissant ses doigts dans ceux de Pétruche, de l'autre.
— Toi aussi, tu le sens, commenta Vomie-de-Pétruchienne avec un sourire de grenouille.
Son fiancé lui répondit par un visage radieux, la jambe levée près au départ. La Charmeuse fit de même, bref instant suspendu dans cette série d'évènements inédits, puis ils partirent tels deux soldats dans une marche parfaitement synchronisée.
Plus ils circulaient dans les rues et ruelles, plus leur avant-bras irradiait et chauffait de plus en plus intensément, refroidissant dès qu'ils prenaient une direction erronée. Après une bonne heure à fendre les flots de la cité, louvoyer à bâbord puis à tribord, ils arrivèrent en bordure urbaine essoufflés, mais toujours aussi excités.
— Pourquoi sortir de la capitale ? s'étonna Vomie-de-Pétruchienne.
— La discrétion ? Ou peut-être préfère-t-il la campagne, tout simplement... répondit Ginger l'index et le pouce encadrant son menton. Je ne me rappelle pas que mon père m'ait jamais mentionné ce point.
Une charrette les frôla avant de s'arrêter brusquement quelques mètres plus loin. Une tête émergea à l'avant ornée d'un béret lie-de-vin.
— Vous aussi, vous y allez ? demanda l'inconnu en tendant le doigt dans la direction où pulsait leur bras, sans les quitter du regard.
— Oui, osa Pochetron-Longuecuite.
— Montez si vous voulez, il y a un peu de place entre les ballots à l'arrière.
— Merci, mon brave, vous êtes bien aimable, répondit notre héros en se dirigeant vers l'arrière du véhicule.
— Canasson-Beurré-Frais, avec plaisir !
— Moi, c'est Pochetron-Longuecuite et ma fiancée, Vomie-de-Pétruchienne.
— Oula ! Ça chauffe de plus en plus !
— On se dépêche, le pressa Pétruche en tirant sur sa main.
Ils se glissèrent sous la tenture de protection puis s'encastrèrent entre les ballots.
— J'apporte du ravitaillement, s'exclama Canasson-Beurré-Frais en glissant sa tête sous la toile.
— Ohhh merveilleux ! s'extasia la passagère.
Les voyageurs se frottèrent les mains à l'idée de l'alcool qui coulerait bientôt à flot. Ils avaient une terrible envie d'ouvrir un paquetage pour y découvrir les trésors capiteux que leur voiturier pouvait bien posséder. La politesse les retint de justesse.
La charrette s'ébranla avant que le percheron ne reparte à bonne allure.
Entre deux cahotements, Ginger approcha ses lèvres de sa fiancée pour lui chuchoter :
— Franchement, as-tu déjà connu pareille solidarité ? Les partisans sont vraiment de braves gens, élevés comme il se doit.
— Comme je suis heureuse que nos routes se soient croisées, qu'aurait été ma vie sans ton amour et ta guidance ? Une sobriété et une froideur sans fin. Merci Mamour !
Elle déposa un baiser sur son cou, juste sous l'oreille, puis parcourut la ligne jusqu'à l'épaule en laissant de petites bises tout le long du chemin. Une brusque envie de toucher les lèvres de sa belle l'envahit et Pochetron-Longuecuite releva son menton avant d'embrasser avidement Vomie-de-Pétruchienne. Sous peu, il sentit de nouveau son entrejambe se manifester. Décidément, ce n'était jamais le bon moment.
— J'ai très envie... susurra-t-elle.
— Mais ce serait malvenu.
— Je sais...
Ils soupirèrent de concert.
— Viens là, offrit Ginger en passant son bras autour de ses épaules.
— Tu as raison, c'est pas si mal comme ça.
C'est alors que le véhicule fut pris d'un soubresaut plus marqué, sans doute un gros caillou sur la route, et notre héros se retrouva avec une auréole rouge sous le menton qui irradiait douloureusement tandis que sa fiancée se frottait la tête à grand renfort de "Aïe ! Aïe ! Aïe !". Ils décidèrent de garder un minimum de distance afin de ne pas réitérer l'expérience. Ginger, bercé par le mouvement du charriot, finit par s'assoupir.
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