Chapitre 7 - L'assemblée extrapassobre

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— Vous aussi faites partis de la Guilde de la Vouge Rouge ? demanda Canasson-Beurré-Frais.

— Oui, regarde un peu ça !

Pochetron-Longuecuite remonta sa manche pour mettre à nu son bras malingre qui gagna d'un coup en volume alors que quelques gouttes perlaient à son front.

— Et ça alors ?

Leur conducteur releva sa chemise pour dévoiler un ventre rebondi qui se dégonfla à l'œil nu pour être remplacé par des abdominaux saillants. Vomie-de-Pétruchienne approcha son bras de celui de son compagnon pour s'amuser à comparer leur volume, parfaitement identique. Les trois acolytes rigolèrent tout en avalant une nouvelle goulée de rouge.

— J'ai toujours rêvé de pouvoir augmenter ma musculature ou celle d’un autre ! commenta leur voisine, dont la chevelure brune était séparée en deux chignons égaux sur le haut de sa tête.

— Quel est ton essence charmeuse ? Au passage, moi, c’est Vomie-de-Pétruchienne.

— Chabine-la-Bourraine. Je fais partie du Grand Blanc. Voilà ce que je peux faire, dit-elle en pointant un doigt vers le torse de Canasson-Beurré-Frais qui vit aussitôt ses beaux abdominaux fondre à la vitesse d’un glaçon dans un rosé tiédi par le soleil d'été.

— Mes beaux abdos ! s'attrista l'intéressé.

Soudain, des craquements retentissants. Le quatuor se retourna vivement pour voir deux femmes à la musculature disproportionnée se disputer une bouteille de vin. Une table avait en partie cédée sous les coups de poing des deux rivales qui avaient frappé le tréteau en se relevant d’un geste vif.

— Elle est à moi ! cria la première en attrapant la bouteille.

— Non, c'est la mienne, tu t'es déjà enfilé celle d'à côté ! éructa la seconde, en agrippant l’objet convoité des deux mains pour le tirer à elle.

Deux petits groupes s'étaient déjà formés autour des deux protagonistes, chacun soutenant l'une des belligérantes.

— Elles ne vont pas nous gâcher la fête, se lamenta Pétruche.

— Attends, lui dit Chabine-la-Bourraine en buvant cul-sec un nouveau verre d'alcool, et en appelant du coude son voisin de gauche. Hic-Aimé tu m’aides ?

— À quoi ? demanda l’intéressé qui se retournait alors qu’une succession de hoquets le secouait des pieds à la tête.

— À stopper ces deux idiotes qui nous gâchent ce moment joyeux, lui précisa-t-elle.

— Toujours là pour ma grande sœur et pour assurer l’ambiance ! acquiesça ce dernier en posant le contenant qu’il tenait en main d’un mouvement brusque.

Ils tendirent leurs bras vers les deux querelleuses. Aussitôt, leur masse rétrécit, les habits déchirés par leur soudaine prise de muscles pendaient stupidement sur leurs corps amaigris. Pochetron-Longuecuite constata que d’autres invités s’étaient joints pour stopper celles qui mettaient en péril les festivités si longtemps attendues.

— Merci à vous, commença Ginger. Heureusement que certains maîtrisent l’énergie spiritueuse du vin blanc, sinon je ne doute pas qu’il aurait fallu mettre fin précipitamment à ce moment de convivialité. Il n’y a pas de quoi envier le rouge, sans vous cette réception était gâchée.

— Tu vois Chab’, j’te répète tout l’temps qu’il est génial not’ charme ! s’enthousiasma Hic-Aimé.

— Je… commença la concernée alors que ses joues rosissaient.

— Merci ! ajouta Pétruche en faisant une brève accolade à sa voisine de table.

La suite de la soirée se déroula sans incident notoire et les cinq charmeurs en profitèrent pour faire connaissance tout en se lançant de petits défis afin d’éprouver leurs talents magiques. Pochetron-Longuecuite ne se rappelait pas d’un moment plus plaisant dans sa vie, hormis évidemment sa rencontre avec sa promise. Lorsque l’heure du coucher fut annoncée alors qu’une bonne partie des convives gisaient à même le sol, pour la majorité inerte, pour les autres hilares, nauséeux ou jacassant à tout va, ceux encore valides, dont notre petit groupe, furent invités à rejoindre les étages où les chambres du manoir étaient mises à leur disposition. Ils titubèrent en se soutenant les uns les autres, pour arriver cahin-caha au deuxième étage où ils s’enfilèrent dans la première chambre venue pour s’affaler aussitôt sur le matelas. Une cacophonique symphonie de ronflements emplie rapidement la pièce, gagnant peu à peu en volume à mesure que le manoir s’endormait.

Lorsqu’il se réveilla, Pochetron-Longuecuite sentit quelque chose de moelleux et de moite collée à son visage. Il ouvrit un œil, mais ne vit qu’un rai de lumière obstrué par la masse sombre. Il voulut l’ôter d’une main, mais cette dernière semblait prise au piège. Il tenta avec l’autre bras et, cette fois, il put dégager ce qui était en définitive une main appartenant à Canasson-Beurré-Frais qui gisait en étoile sur le dos à son flanc gauche. De l’autre côté Vomie-de-Pétruchienne s’agrippait comme à une planche de salut ou peut-être comme à la peluche de sa prime enfance au bras droit de Ginger. Ce dernier fit l’anguille pour glisser vers le bord afin de poser les pieds au sol, coincés entre ses deux compagnons de route. Quelque chose de moelleux grogna sous ses orteils. Il tâtonna du bout du pied pour trouver un espace libre et dans un semi-grand écart il put enfin tenter de se redresser. Mal lui en pris, une douleur explosa dans son crâne. Il se rallongea et sentit la prise de sa compagne se resserrer écrasant son bras ; en cet instant il aurait aimé posséder le don de Chabine-la-Bourraine.

Puis son attention fut happée par la sensation moelleuse de la poitrine comprimée. La réaction matinale ne se fit pas attendre. Pourquoi penser à cela alors qu’il avait la gueule de bois, qu’il était entouré d’il ne savait combien de personnes pour empêcher toute intimité et qu’une sensation d’écrasement fourmillait dans tout son bras droit ? Décidément, son corps ne pouvait pas le laisser tranquille.

Il fallait se dégager de là. Il se hissa vers la tête de lit, gagnant centimètre après centimètre telle une taupe qui chercherait à passer un conduit étroit après s’être gavée de vers. Il eut la sensation que son bras s’arrachait, mais heureusement sa compagne changea de position pour lui tourner le dos et sa progression se fit enfin plus aisée. Arrivé en haut, Ginger roula lentement jusqu’au bord du lit, marcha à quatre pattes jusqu’à son sac de voyage où il attrapa un flacon. Ce dernier contenait des gélules de menthe poivrée et de citron qui mettraient fin dans la minute à ce fichu mal de tête. Peu après, ses compagnons de beuverie s’éveillèrent : d’abord sa fiancée, suivie de peu par leur chauffeur, puis par le frère et la sœur qui s’étaient écroulés à même le sol.

Un puissant gong résonna à travers les étages faisant vibrer les murs. Ceux qui dormaient toujours avaient dû choir de leur couche, sans parler de ceux qui n’avaient pas encore traiter les élancements dus aux excès de la veille et qui, assurément, s’étaient sentis comme le battant d’une cloche d’église sonnée à la volée.

Tous se dirigèrent dans le couloir pour suivre le flot de revenants vers la Grande Salle. Ducruel-Beauroctoto se tenait déjà debout, les bras posés sur le pupitre, accueillant ses fidèles avec un sourire amical. Lorsque chacun fut installés, pour les moins chanceux, affalés dans le fond de la pièce, pour notre petit groupe peu ou prou à la même place que la veille, le Sublimissime Machielzédec débuta.

— Mes chers fidèles, je vois que vous avez fait honneur à la réception que nous vous avons offerte. La grande majorité a profité de l’occasion pour dérouiller ses pouvoirs, et j’ai noté comme nombre d’entre vous ont trouvé le moyen de s’entraîner malgré la censure, le couvre-feu et la menace. Bravo à vous pour votre résistance ! Le but de cette assemblée est simple : faire de chacun d’entre vous les sujets de la révolte. Il nous faut secouer le pays, semer le doute dans les esprits étriqués par le puritanisme de la Prohibitude. Ainsi le peuple nous aidera à ma reconquête du pouvoir pour offrir à chacun la liberté et la joie de vivre à laquelle il aspire et qu’il mérite ! Lorsque nous sentirons s’embraser la flamme de la colère, le gouvernement n’aura d’autre choix que d’organiser un conseil extraordinaire afin de gérer cette situation de crise. Et alors, je leur renverrai la monnaie de leur pièce. Une belle brochette de statues qui disparaîtront dans nos bases souterraines. Puis je restaurerai les Guildes, rendrai leur travail aux tenanciers de bar et aux cavistes et abolirai le couvre-feu. Tout ne sera pas alcoolisé, mais l’alcool sera partout ! Chacun pourra jouir librement de ses pouvoirs et partager le plaisir et la convivialité de l’alcool avec les Non-Pratiquants. Liberté et culture cul-sec !

La joie se répercuta en échos dans toute la Grande Salle pendant de longues minutes avant que l’ancien dictateur ne parvienne à obtenir le silence. Sir Hardbeuve prit alors la parole :

Comme vous l’avez compris, il va falloir faire preuve de patience, d’une certaine discrétion et de pouvoir de persuasion. Au dehors, vous trouverez des stands avec des prospectus à distribuer, les mémos pour convaincre de nouveaux fidèles, des fioles d’essai gratuit à distribuer contre un bon d’engagement à participer aux réunions informatives dont vous trouverez la liste avec les jours et les heures au dehors. Pour patienter le temps que chacun reçoive ce dont il a besoin, vous pouvez profiter des jardins à l’arrière de la propriété où des jeux de croquets, de balles aux prisonniers et de cerceaux sont à votre disposition. Merci de votre dévouement à la cause et de votre implication dans la reconquête. Vive la Libertitude !

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