Chapitre 9 - Retour au bercail
Ils repartent donc, vers la gauche cette fois-ci, et découvrent un chemin en briques qui les mène vers l’avant du domaine. Il y a encore la queue, mais pas plus de cinq ou six personnes par file. Ils décident de se répartir les différents étals et de récupérer le matériel nécessaire pour chacun : prospectus, bons d’engagement, fioles d’essai gratuite, sachet surprise à l’attention des participants à cette première assemblée extrapassobre, liste des manifestations à venir.
— Vous rentrez comment ? s’enquiert Canasson-Beurré-Frais.
— À pieds, répond en premier Pétruche.
— En chariostop, précise Chabine-la-Bourraine en ouvrant une Balourdise de Champs de Braies aromatisée à l’abricot qu’elle dépose sur sa langue avec contentement.
— Je vous remmène ? propose Canasson.
Ils se sondent rapidement du regard.
— Avec plaisir ! répondent-ils à l’unisson.
— En bonne compagnie, le voyage sera d’autant plus agréable, conclut Pochetron-Longuecuite.
Tous se dirigent vers l’intérieur du manoir afin de récupérer leurs effets. Puis ils suivent le chauffeur jusqu’à sa charrette où le Perche-rond termine sa ration de foin à la levure, son ventre gonflant à vue d’œil sous l’effet de la biochimie désormais à l’œuvre dans son estomac. Une fois installés avec plus d’aisance, le chargement ayant été lesté au domaine après règlement de la facture de livraison, la charrette s’ébranle.
— Vous êtes originaires du coin ? demande Pochetron-Longuecuite.
— De Lutèce même, indique Hic-Aimé. Nos parents sont des notables de l’ancienne administration de la Confrérie.
— Moi, je suis originaire de Bretagnôle, mais j’ai emménagé à la capitale pour servir de relais avec la résistance bretagnôlienne. Mes parents ont un bar clandestin près de Saint-Brieuvage, dévoile Canasson-Beurré-Frais. Et vous ? demande-t-il en se retournant pour pointer le jeune couple du menton.
— Ginger a grandi dans le centre de Lutèce, moi, j’ai grandi en Bourguivrogne. J’ai emménagé dans la capitale pour rejoindre Mamour, précise-t-elle en regardant son homme avec des yeux de biche.
Ce dernier ne peut s’empêcher de déposer un baiser sur son front en lui souriant tendrement.
— Regarde comme ils sont mignons, chuchote Chabine-la-Bourraine à son frère en soupirant, j’espère connaître ça un jour.
— Mais oui, Chabine ! s’enthousiasme Pétruche. Il faut croire en sa chance et laisser faire le destin. Mes parents n’ont pas approuvé quand ils ont su les convictions de mon Popoche, surtout mon père Non-Pratiquant qui soutient la Prohibitude. Alors je suis montée à la capitale.
— Ce n’est pas trop dur d’avoir eu à choisir ? demande la Lutécienne avec sollicitude.
— Ce n’est pas une décision facile, mais je l’aurais regretté toute ma vie si j’avais laissé filer l’homme de ma vie. Ma mère a fini par comprendre et on garde contact. Je suis triste parfois, en y pensant, mais je suis heureuse dans le fond. Et grâce à Mamour j’ai découvert notre guide, un homme extraordinaire ! Contrairement à ce que clame la propagande d’état, conclut-elle en fronçant les sourcils. Mon père est un envieux, c’est tout.
— Ces jaloux qu’ils aillent pourrir dans le Taudis des Acares Tare-tares ! s’enflamme le Bretagnôlien. Notre charme, ça nous vient pas tout cuit dans la bouche, y faut du travail ! Et savoir tenir l’alcool. Ce qu’on a bien perdu de nos jours. C’est y pas malheureux ! Et puis faut gérer les conséquences de notre Essence, z’ont pt’être envie d’avoir la peau jaunie ou un cancer du pancréas pour avoir défendu fièrement son pays ?
— Arrête, y’a beaucoup d’exagération, l’alcool peut pas faire autant de dégâts avec tout ce qu’elle nous offre. Moi j’dis, c’est le discours des tempérés, corrige Pochetron-Longuecuite.
— T’es sûr ? demande Chabine.
— Evidemment, renchérit-il, soutenu par un acquiescement de sa bien-aimée.
La discussion se poursuit, animée, jusqu’à leur arrivée aux abords de la capitale. Canasson-Beurré-Frais propose galamment de déposer chacun jusqu’à sa demeure en commençant par les plus éloignés, Chabine et Aimé qui habitent l’ouest de la cité avant d’amener les amoureux chez eux dans le centre, pour finir par le sud-est où lui-même résident. Ils s’échangent leur référence de corbeau- touwite se promettant de se revoir bientôt.
À peine Ginger et Pétruche franchissent-ils le seuil de la maison, qu’une étrange impression les saisit. Ils restent quelques secondes figés, comme si le temps venait de les mettre sur pause. Ils se regardent.
— Toi aussi… commence la Bourguivrogne.
— Je crois.
— C’est vide, hein ?
— Carrément. Cette ambiance fraternelle me manque déjà, souffle Pochetron-Longuecuite.
— On va regarder l’agenda pour bloquer quelques dates des prochaines réunions de soutien au retour du Sublimissime.
— Tu as raison, répond Ginger en souriant, tu sais toujours comment remettre un arc-en-ciel dans un moment terne. Qu’est-ce que je ferais sans toi ?
Nainportekoi apparaît au même instant, l’un des clones les bras tendus afin de réceptionner les manteaux, l’autre portant un plateau avec deux verres dans lesquels ondulent un liquide jaune citron.
— Tu as raison Nainportekoi, nous avons assez bu ces deux derniers jours, un petit dépuratif nous fera le plus grand bien, le remercie Pétruche.
— À la tienne ! Bibiche, trinque Ginger.
— À la tienne et au Sublimissime ! renchérit Pétruche.
Annotations
Versions