Chapitre 10 – Trésorerie vacillante
Le lendemain, tard dans la matinée, et alors que nos deux charmeurs sirotent un nouveau dépuratif afin de terminer le nettoyage de leur estomac, le corbeau-touwite toque trois fois au carreau. Un courrier administratif vient d’arriver. Pétruche aurait préféré entendre un seul coup, cela aurait signifié que sa mère a répondu à sa lettre. Elle soupire en s’affalant sur la table.
— Pourquoi ne m’a-t-elle pas encore écrit ?
— Cela ne fait que deux jours, répond Ginger en se levant pour ouvrir la fenêtre avant que le volatile ne réitère ses coups de bec.
Tout en se rasseyant, il grogne :
— Grmmpf ! Le relevé mensuel de la banque.
— Et ça dit quoi ?
— Qu’il faut que je cherche un travail, soupire-t-il après avoir dérouler le papier. La somme laissée par mon père s’épuise.
— Moi aussi alors, se lamente la charmeuse.
— C’est à mon tour, j’ai profité du pécule paternel pendant que tu vendais des fouées pour Truffe-du-Hérault.
— Mais je me vois pas rester seule ici, je vais m’ennuyer… Pourquoi a-t-il fallu que Truffe-du-Hérault s’entiche de cette Côte de poivrencienne !
— C’est l’occasion de voir autre chose, après cinq ans à travailler pour lui. L’amour a ses raisons, dit-il en embrassant tendrement sa moitié.
— Comment veux-tu que je reste en colère contre mon ancien patron présenté ainsi ? Mais trois jours pour mettre la clé sous la porte et traverser presque toute la Franchouille, c’est plus de l’amour, c’est de l’embrasement !
— Qu’est-ce que tu aimerais vendre ? détourne en douceur Ginger.
— Petite, j’accompagnais parfois Bonne Maman au marché. Elle fabriquait des bougies parfumées. Cela sentait un doux mélange d’épices et de fleurs.
— Eh bien voilà, tu pars à la recherche des ciriers du centre-ville et tu vois s’il cherche une vendeuse. Pendant ce temps, je vais à l’Administration m’inscrire sur la liste active des chercheurs de besogne.
— Je prends un petit kawa et je m’habille.
— J’y vais de ce pas avant que la motivitude ne s’évanouisse comme une flaque d’eau en plein été. Je t’aime !
— Je t’aime Mamour, répond Pétruche en embrassant son prince pas tout à fait charmant[1].
Pochetron-Longuecuite part dans son bureau pour rassembler quelques papiers, valide avec Nainportekoi la liste des tâches de la matinée puis sort dans la rue, à onze bien tassé. Il y règne une atmosphère de calme avant la tempête : on peut déjà sentir les effluves des tavernes et marchands ambulants qui préparent le repas du jour, prémices annonciateurs des bourrasques imminentes, ou le regard de quelques affamés qui ne peuvent s’empêcher de lorgner sur la nourriture tant désirée.
Notre héros hâte le pas. Bien qu’il ait toujours ressenti une joie intérieure dans l’animation de la foule, il se rend à l’urgence pratique d’arriver à l’Administration avant la pause méridienne fatidique, sans avoir à jouer des coudes et à se faire écraser les orteils un certain nombre de fois, ou plutôt un nombre de fois certain.
Il a une soudaine envie d’acheter un coq-aux-raisins à déguster pour le déjeuner, mais se rappelle, déçu, qu’il a commandé une gratinade-de-dos-de-vandoise-finoise à son intendant avant de quitter la maison. Ses pensées le ramènent de nouveau au fameux coq-aux-raisins pour s’outrer de la modification de cette recette afin de correspondre aux interdits de la Prohibitude, qui a mis fin à toute recette à base de vin pour la transformer avec des substituts de fruits voire de légumes. Au moins, cela lui fait passer l’envie d’en savourer et une douce colère l’accompagne devant le nombre de restrictions imposées au peuple depuis l’arrivée de ce gouvernement. Une légère satisfaction vient teinter le fond de son humeur, celle de voir la révolution en marche, ce qu’il a appelé de ses vœux sans pour autant l’espérer de son vivant. Il conclut mentalement, alors que le bâtiment de l’Administration se dessine au fond de la place où s’affèrent les marchands ambulants, que la première recette qu’il demandera à son majordome après la restauration du Sublimissime sera un coq-au-vin.
Il pousse le battant du Bureau de la Besogne un sourire satisfait sur les lèvres.
[1] L’habitude incrustrée sur Pochetron-Longuecuite comme une tâche de cassis ou de jus de tomate consiste à laisser choir ses vêtements à travers la maison à l’image du Petit Poucet, sauf que ce dernier cherchait à retrouver son chemin, lui. Par ailleurs, notre héros n’a jamais su accorder les couleurs et s’obstine à refuser l’aide de sa moitié afin d’harmoniser l’ensemble ; au moment où ces lignes sont écrites, il porte une veste rouge avec un pantalon tirant sur un rose fuchsia agressant l’œil de toute personne dont il traverse le champ de vision.
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