Chapitre 13 - Cathleen
J’étais allongée dans l’obscurité à écouter la nuit. J’entendais mon rideau épais être baladé par le vent. Le bruissement du tissu épais lorsque le vent le repoussa avant qu’il ne soit aspiré et ne se plaque contre la fenêtre. Je sentais la chaleur de l’été alors que je repoussai un peu ma couverture. J’entendis ma chatte s’agiter sur mon fauteuil à roulette devant mon bureau. Je me frottai le visage, le vent repoussa mon rideau avec violence, le bruissement me secoua un peu de ma torpeur, et j’ouvris avec difficulté les yeux. La chambre était bien sûr plongée dans l’obscurité. Mon chat émit un petit miaulement, sauta de la chaise de bureau, avant de se diriger vers la porte où elle gratta un peu jusqu’à ce que cette dernière s’ouvre. Je portai une main à mes yeux pour les protéger de la lumière qui filtrait du palier avant de suivre le chemin de ma chatte qui miaulait, comme à son habitude, pour quelque chose. Mes doigts crochetèrent la porte déjà entrouverte pour la pousser doucement et avancer. Je cillais, ce n’était pas le parquet, c’était le carrelage de la cuisine, sur le plan de travail il y avait un plat en verre avec des choux que ma sœur avait fait, ainsi que le réveil aux grands chiffres rouges qui auraient dû être sur le palier. À part les bruits de l’animal, le silence rodait autour de moi, je ne percevais pas les bruits de ma famille. Ma chatte miaulait toujours, je la suivis doucement jusqu’à sa gamelle de croquettes. Pleine. Alors pourquoi elle miaulait ? Je posais un genou par terre pour la prendre dans mes bras…
Je sentis une main prendre la mienne et je battis des paupières avant de me redresser un peu. L’hôpital, l’odeur… Je tournai la tête vers la personne et souris doucement à ma mère avant de me frotter les yeux pour me tirer de mon sommeil. Elle me laissa faire avec un sourire, elle aussi… elle souffrait. Tout le monde souffrait autour de moi. Je passai une main sur mon crâne avant de m’asseoir toujours en silence. Ma mère avait l’habitude maintenant que je fusse endormie quand elle venait. Elle se détourna pour me servir un verre d’eau qu’elle me tendit, je le pris avant d’en boire une gorgée. J’avais la bouche comme emplie de coton. Ce n’était pas agréable.
« Coucou ma puce, comment tu vas aujourd’hui ? »
Elle avait dû voir le médecin avant d’arriver, je n’aimais pas ces rendez-vous et si je pouvais y échapper… Je le faisais. C’était sans aucun doute stupide, mais connaître ne m’aidait pas. Je savais ce que j’avais, et je savais que je guérirais, il me fallait juste un peu de temps. Ma mère préférait tout savoir. Pas moi, vraiment pas. Les termes médicaux et les pronostics, c’était… vraiment pas mon fort. Alors, je lui souris :
« Coucou maman, ça va et toi ? La route est pas trop longue ?
- Ça va, on s’y fait, il n’y avait pas trop de camions aujourd’hui.
- Comment va ma Princesse ?
- Aussi casse-pieds que d’habitude. »
J’eus un petit rire, ma chatte était infernale, c’était vrai. Elle avait ses habitudes et c’était elle qui décidait ! Pas un autre. Elle ne s’appelait pas Princesse pour rien. Mais je l’aimais quand même cette boule de poil roux, quand elle était câline c’était une vraie crème qui pouvait rester des heures collées à moi. Entre deux ronronnements. C’était agréable de passer une heure avec elle sur les genoux à bouquiner. Ce qui l’était moins c’était lorsqu’elle venait marcher sur mon clavier d’ordinateur pour avoir de l’attention. Mais c’était un chat, comment lui en vouloir plus de quelques secondes ? Sauf quand elle faisait une énorme bêtise, mais elle était si sage le reste du temps. Je discutais un peu avec ma mère sagement un peu de tout et de n’importe quoi, cette dernière me montra quelques photographies de ma petite boule de poil qui dormait roulée en boule dans mon pyjama. Mon père ne pouvait pas venir tout le temps, il ne pouvait que le week-end, et ma famille je n’aimais pas trop les voir ici, c’était… désagréable pour moi. Personne n’aimait discuter dans une chambre d’hôpital, sauf lors des sorties. Alors là je voudrais bien voir ma sœur et le reste de ma famille, mais pas avant. Ma mère c’était déjà complexe pour moi d’affronter son regard, même si tout le monde le savait que je ne souhaitais pas ça. Personne ne voulait faire subir ça aux siens. Je discutais longuement avec ma mère, j’esquivai vivement la discussion autour de ma maladie, je ne voulais pas en parler, vraiment pas. Je le vivais, je ne voulais pas en rajouter. Ma mère finit par repartir après un petit moment toutes les deux. L’infirmier passa me voir, je lui souris gentiment.
« Il y a groupe de parole aujourd’hui. Tu veux y aller ?
- Non, je me sens trop fatiguée…
- De base tu n’y allais pas beaucoup. »
C’était plus un constat qu’une remarque insinuant quelque chose. Il rangea un peu la chambre, vérifia les perfusions et me sourit avec gentillesse avant de repartir. Je m’appuyai à nouveau contre mes oreillers avant de tendre la main pour prendre un de mes livres au hasard, le sort avait décidé de me faire lire Reckless de Cornellia Funke. Soit, j’aimais ces livres, tout comme sa trilogie précédente Cœur d’Encre. Je posai le livre sur la tablette avant de recommencer ce livre que j’avais déjà lu et relu plusieurs fois. Et c’était toujours un plaisir. Le roman était trop lourd pour moi, sur la tablette c’était beaucoup plus facile, j’avais uniquement à tenir la couverture. Je me frottai les yeux de temps à autre. J’avais de plus en plus de mal à rester réveiller, surtout après les chimiothérapies. Et j’en avais eu une il y a quelques jours, ce qui expliquait également pourquoi je vomissais régulièrement actuellement. En plus de quelques saignements de nez. Je saisis un mouchoir avant de le plaquer sous mon nez, cela faisait quelque temps tient. Un long soupir franchit mes lèvres et d’un geste doux je refermais mon livre. J’étais pour l’instant trop épuisée pour lire à nouveau. Je regardais le plafond pendant un long moment, patientant simplement pour que le carmin arrête de souiller mon mouchoir. Ça, j’en avais une consommation importante. Après un long instant d’hésitation, je finis par tendre la main pour saisir mon portable, d’un doigt fatigué, je fis glisser les pages des réseaux sociaux sans même réellement y porter un intérêt quelconque. C’était trop fatiguant pour moi. En réalité, je devrais me poser la question de qu’est-ce que je pouvais faire sans me fatiguer ? Dormir. C’était une bonne chose de dormir, mais je ne pouvais pas faire que cela toute la journée. Je posais le casque sur mes oreilles avant de fermer les yeux.
Mon esprit dériva lentement au creux des notes de musique, je m’éloignais de l’hôpital, m’enfonçant dans des endroits lointains, où je me sentais bien, des voyages que j’avais faits ou que j’imaginais encore. Après le master j’aimerais partir quelque part. En Norvège, en Island… Quelque part loin de tout, seule, peut-être avec Azelie, je le savais pas encore. J’imaginais seulement des paysages, des sensations, le soleil sur ma peau. Quoi qu’avec ma peau j’allasse sans aucun doute éviter de m’exposer au soleil sans m’être enduite soigneusement de crème solaire et être protégée par diverses couches de vêtements. Je craignais le soleil et n’aimais nullement me faire brûler par le soleil. Je restais immobile à respirer par la bouche en attendant que j’arrête de saigner du nez. J’ouvris de temps à temps les yeux en regardant le mouchoir. Je pus enfin le jeter à la poubelle avant de me replonger délicatement dans ma musique. Mon souffle s’apaisa de lui-même, j’attendais en somnolant que le temps passe. Parfois, je changeais simplement la musique, passant de quelques ballades celtiques à des morceaux de métal plus énergique.
J’entendis la porte s’ouvrir et ôtais mon casque et dans le même geste éteignis mon portable. Je souris à Azelie qui s’approcha pour déposer un petit baiser sur mes lèvres.
« Tu as du sang sous le nez.
- J’ai saigné du nez il y a un moment.
- J’vois. Ça va mieux maintenant ?
- Je suis très fatiguée, mais ça va. J’ai eu une séance il y a quelques jours.
- Ouais, tu m’avais dit. Ça te dérange que je t’emprunte tes toilettes ?
- Vas-y si tu le souhaites.
- J’adore quand tu causes comme une vieille. »
Je lui fis une grimace, j’avais l’habitude qu’elle me taquine sur ma manière de parler, mais je l’avais toujours fait ainsi, je n’allais pas changer pour elle. J’étais moi et cela convenait bien assez pour le reste du monde.
« PUTAIN DE FILS DE PÉLICAAAAAAAAAN ! »
Je sursautai, en quelques secondes je m’étais légèrement assoupie, en rouvrant les yeux je vis Azelie sauter sur un pied et se tenir de l’autre. Eh bien ? Qu’est-ce qu’il s’était passé ? Elle devait s’être encastrée le pied dans l’embrasure de la porte. J’eus un petit rire amusé par la situation :
« Tu t’es cognée ?
- Sa mère le phacochère ! Oui ! J’me suis défoncée le pied putain !
- Tu devrais faire plus attention.
- À quoi ? Mon langage ? Ou où je mets les pieds ?
- Les deux. »
Elle rit avant de refermer la porte derrière elle pour s’installer près de moi. À nouveau elle glissa sa main dans la mienne pour la serrer tout doucement. J’avais l’impression d’être une poupée fragile qu’on avait peur de casser, je serrais doucement sa main en retour.
« Comment se passent tes révisions ?
- Tranquille tu sais, j’ai encore toutes les vacances pour réviser.
- Avec les fêtes tu vas avoir du mal.
- Mais non roh ! Tu m’connais !
- Justement. »
Elle me regarda et je lui souris avant de rire un peu, Azelie secoua la tête.
« T’es grave. Ça va, j’suis pas non plus en échec scolaire.
- Non, mais c’est les Masters après, je suis inquiète que tu ne puisses avoir ton préféré.
- T’inquiète, je gère. Et toi ?
- Je travaille comme je peux, mais je fatigue beaucoup en ce moment, alors… je ne peux pas réellement présenter quoi que ce soit. J’ai eu beau rendre des dossiers que j’avais eus avant, ce n’est pas pareil.
- Tu vas… redoubler ?
- Il semblerait, effectivement. Mais, j’ai un excellent certificat médical. »
Azelie éclata de rire et secoua la tête avant de presser ses lèvres sur mes doigts.
« J’préfère qu’t’te repose que t’étudie pour des exams qu’tu passeras pas.
- Ça m’occupe.
- Laisse ton p’tit cerveau tranquille. Regarde des séries complètement connes. Ça t’reposera.
- Tu as une sélection à me proposer ?
- Regarde les séries d’équitation, c’toujours pareil et c’est complètement con. Pas d’risques pour tes neurones.
- Tu t’y connais en équitation ?
- Non et même si moi j’capte qu’y des trucs nuls ça t’dis l’niveau. »
J’eus un rire en secouant la tête. Intenable. Elle continua de faire la pitre jusqu’à ce que l’heure des visites soit finie, comme d’habitude, elle m’embrassa avec tendresse avant de sortir après un dernier signe de main. Je lui rendis avant de m’appuyer sur mes oreillers, épuisée.
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