Chapitre 2 : Arrivée à Rio de Janeiro
Le vol fut long, presque interminable, mais Pauline, déterminée à maîtriser chaque point de sa présentation, passa des heures les yeux rivés sur ses notes, des mots dansant sous ses paupières lourdes. Par moments, elle jetait un coup d'œil par le hublot, espérant que le paysage en-dessous dissiperait son stress. « Et si je me trompe sur un chiffre ? » pensa-t-elle, une angoisse surgissant au creux de son estomac. Elle se força à respirer profondément pour calmer cette petite voix.
Lorsqu’elle posa enfin le pied à Rio de Janeiro, l’air chaud et moite la saisit, différent de l’atmosphère plus fraîche qu’elle venait de quitter. Elle inspira profondément, savourant un instant l’odeur d’embruns qui flottait dans l’air, avant de chercher des yeux le chauffeur avec l’enseigne de son nom.
À l’hôtel, Pauline déposa son sac avec un soupir de soulagement, s’étirant pour dénouer ses muscles engourdis. La première chose qu’elle fit : courir vers la salle de bain pour une douche bienvenue, savourant l'eau qui effaça la fatigue du voyage. En ressortant, elle attrapa son téléphone pour vérifier l'heure et les messages : le rendez-vous avec Jeff approchait.
Elle se dirigea vers la garde-robe et examina ses vêtements, hésitante. « Trop formel ? Trop décontracté ? » Elle opta finalement pour une robe légère, parfaite pour la chaleur de Rio, tout en gardant un air professionnel. Sur le chemin du restaurant près de la plage, elle se surprit à sourire en voyant les couleurs éclatantes des maisons, la musique joyeuse qui s’échappait d’un café, et les rues animées remplies de passants. L’atmosphère vivante et un peu chaotique apaisa peu à peu sa nervosité.
Quand elle arriva à la terrasse du Bar Garota de Copacabana, elle chercha Jeff du regard. Il était déjà là, reconnaissable à ses cheveux et sa barbe poivre et sel, charismatique malgré son aspect quelque peu négligé. Il l’attendait en consultant le menu, un sourire chaleureux illumina son visage lorsqu’il la vit approcher. Tout en avançant, elle scrutait l’horizon, agitée. Le bruit des vagues s'écrasant doucement sur le rivage n’arrivait pas à apaiser son esprit. En s’asseyant en face de lui, un mélange de nostalgie et d'appréhension l’envahit.
— Pauline, c’est un plaisir de te revoir après tout ce temps, dit-il avec un sourire sincère en lui tirant une chaise, tel un gentleman. Que désires-tu boire ?
— Un martini s’il te plaît Jeff, répondit-elle simplement tout en essayant de se donner une contenance, un nœud dans la gorge et elle continua dans sa lancée :
— Je suis heureuse de te revoir également, quel bonheur de te retrouver. As-tu fait bon voyage ? quand es-tu arrivé ?
— Il y a deux jours, je vis au Brésil maintenant, dans un village à Munduruku, proche de la Tapajos river à quelques heures de Sao Paulo, mon trajet fut moins long que le tien. Tu devrais passer me voir là-bas si tu as le temps avant de repartir vers la France.
— Je verrais car j’ai un emploi du temps professionnel qui ne laisse que peu de place à l’imprévu, dit-elle le visage illuminé de bonheur.
— Pauline, tu es devenue une femme éblouissante et une professionnelle d’un talent remarquable. Je suis avec intérêt tes avancées et tes recherches scientifiques. Un grand bravo à toi, j’ai hâte d’assister à ta conférence demain. Je suis certain que tes parents veillent sur toi avec fierté de là-haut.
— Merci, ça me touche. J’essaie de suivre leurs traces comme tu vois. Et toi, comment vas-tu depuis tout ce temps ?
— Je fais ce que je peux. Je suis toujours à la recherche de nouvelles expérimentations scientifiques, ça avance. Tu sais, je pense souvent à tes parents. Leur absence est toujours présente et douloureuse, dit-il en portant sa main droite sur son cœur.
— Oui, c’est difficile. J’ai souvent des souvenirs qui resurgissent...
— Je comprends… Leur mémoire vit à travers nous.
— Jeff… merci encore d’avoir accepté ce dîner. En plus du plaisir de te voir, il y a… autre chose dont j’aimerais discuter avec toi.
— Bien sûr, je t’écoute, lui dit Jeff, légèrement surpris, mais toujours souriant.
Pauline posa son verre de vin, se concentrant pour ne pas laisser paraître son trouble.
— J’ai… comment dire, quelques questions. Je sais que ça peut paraître étrange, mais tu as connu mes parents avant… enfin, avant leur accident. Et parfois, je me dis que… qu’il me manque des morceaux de leur histoire.
— Je comprends. Ils étaient des personnes admirables, tu sais. Je serais heureux de te raconter ce que je sais, bien sûr, répondit Jeff en fronçant les sourcils, avec une compassion discrète.
Pauline hocha la tête, visiblement soulagée de la réaction de Jeff.
— Merci… c’est difficile d’en parler, mais il y a toujours des choses que je ne comprends pas, des zones d’ombre, tu vois ? Comme cet accident… j’ai toujours eu l’impression qu’il y avait quelque chose de non-dit.
— Je vois. C’est légitime que tu te poses des questions, surtout après un événement aussi… brutal. Peut-être que certaines choses ont été occultées pour te protéger.
— Oui, c’est ce que je me disais. Mais avec le temps, cette protection devient presque plus lourde. Si tu as des souvenirs ou des détails à partager, même infimes, je pense que ça m’aiderait.
— Eh bien, je ne peux pas dire que je connais tous les détails, mais il est vrai que cet accident a toujours été entouré de… disons, quelques interrogations. Des choses que personne n’a vraiment expliquées, dit Jeff hésitant, mais touché par sa démarche.
— C’est ce que je ressens aussi. Mais est-ce que tu as remarqué quelque chose, à l’époque ? Des détails, même anodins ? murmura Pauline tout en s’accrochant à ses mots.
Elle prit une gorgée de son verre pour se donner du courage.
— D’ailleurs, tu as travaillé avec mes parents, non ? Je sais que cela fait très longtemps, mais... tu te souviens d’eux ?
Le sourire de Jeff devint plus sérieux, presque nostalgique.
— Oui, bien sûr. Tes parents étaient des piliers de l'équipe. Ta mère, avec sa rigueur et son calme, et ton père... Il était toujours celui qui lançait les idées les plus folles ! dit-il en riant doucement. Ils formaient un duo assez incroyable, tu sais.
Pauline sentit un pincement au cœur. Elle prit une inspiration, hésita un instant avant de continuer.
— Ça a dû être… un peu difficile pour eux de tout quitter comme ça, non ? Je veux dire… il y avait une raison particulière ?
Jeff la regarda, semblant peser ses mots.
— Tu sais, je ne veux pas parler pour eux, mais... oui, il y avait certaines tensions vers la fin. Ils étaient tous les deux passionnés par leur travail, mais des divergences sont apparues, des priorités différentes aussi. Ils ne disaient pas grand-chose, toujours très discrets, mentit-il.
Pauline hocha la tête, pensive, tout en baissant les yeux et jouant avec son verre.
— Ils te protégeaient beaucoup, tu sais, c’est une des raisons qui fait que tu portes aussi le nom de jeune fille de ta mère. Je crois qu’ils voulaient que tu puisses suivre ton propre chemin sans sentir le poids de leurs difficultés, affirma-t-il.
Un silence s'installa, chargé de non-dits. Pauline se sentait à la fois reconnaissante et un peu frustrée. Elle releva les yeux vers Jeff, décidée à poser la question qui lui brûlait les lèvres.
— Est-ce que... tu sais s’ils ont regretté leur décision ? Est-ce que ça leur a pesé de tout quitter ?
Jeff prit une longue inspiration.
— Malheureusement, nous ne le saurons jamais, mais honnêtement, Pauline, je pense qu’il y a eu des moments de doute, oui. Mais ils étaient aussi très fiers de toi, ils seraient, j’en suis convaincus très fière de ce que tu as accomplis de ton côté. Tu es la nouvelle génération, tu as des raisons de tout réinventer.
Le cœur de Pauline se serra. Sans même s’en rendre compte, ses doigts nerveux agrippaient le bord de la nappe en tissu. Cette discussion à la fois tant espérée et redoutée, résonnait en elle. C'était le début d'une révélation qui pourrait enfin lever le voile sur la mystérieuse disparition de ses parents.
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