Chapitre 14 : L’Éveil des Ombres

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Les mois s’écoulèrent dans le laboratoire isolé d’Afrique du Sud, et avec eux, les expériences devinrent de plus en plus audacieuses. Les découvertes s’accumulaient, ouvrant des portes que la science n’avait jusque-là jamais osé franchir. Kennywood et son équipe étaient enivrés par le sentiment d’explorer des territoires inédits, là où la science et la magie se confondaient. Pourtant, à mesure que leur travail progressait, des phénomènes étranges commencèrent à apparaître, d’abord imperceptibles, presque insignifiants, mais bientôt trop troublants pour être ignorés.

Au début, ces événements prirent la forme de détails facilement explicables par la fatigue ou l’excitation : des objets qui semblaient changer de place sans qu'on s’en aperçoive, des instruments qui vibraient légèrement sans raison apparente. Les chercheurs étaient absorbés par leurs succès. La réalité autour d’eux semblait se plier à leurs découvertes, mais cela ne les dérangeait pas. Ils pensaient simplement que les altérations provoquées dans leurs laboratoires commençaient à prendre effet, qu’ils touchaient enfin à cette structure sous-jacente de l’univers qu’ils cherchaient à comprendre et à manipuler.

Cependant, avec le temps, ces phénomènes devinrent plus étranges, plus tangibles. Les échos se mirent à résonner dans les longs couloirs déserts du complexe, bien après que les dernières discussions des chercheurs se soient éteintes. Parfois, des bruits sourds retentissaient dans des pièces vides, et quand ils s'y rendaient pour en chercher la source, il n’y avait rien, seulement l'étrange sensation que quelque chose les observait depuis l'obscurité. Certains prétendaient voir des ombres se mouvoir à la périphérie de leur vision, glissant sur les murs comme des ombres animées, mais disparaissant dès qu’on les regardait directement. D'autres rapportèrent avoir entendu des murmures : des voix basses, comme des susurrements dans des langues anciennes, émanant des coins les plus reculés du laboratoire.

Kennywood, toujours aussi déterminé, refusait de céder à la panique.

— Ce sont des effets secondaires de notre travail, des distorsions de la réalité que nous avons provoquées, répétait-il à ses collaborateurs pour les rassurer.

— C'est le signe que nous approchons d'une percée majeure.

Mais derrière ses assurances, une inquiétude croissante commençait à sourdre, même chez lui. Ces événements ne correspondaient à aucun des schémas prévus par leurs expériences, et ce qu’ils vivaient échappés peu à peu à toute tentative de contrôle.

Les incidents, d’abord discrets, devinrent rapidement impossibles à ignorer. Des portes claquaient seules au milieu de la nuit, des lumières vacillaient sans cause électrique. Le personnel scientifique, jusqu'alors pragmatique, commençait à ressentir une peur qu’ils n’osaient exprimer à voix haute. Même Jeff Davis avait des doutes quant à la suite du projet, se disant que l’aide de Léa et André Wullschleger aurait été précieuse dans cette accalmie. Il n’y avait pas de logique dans ce qu’ils vivaient, pas de théorie scientifique pour expliquer ces ombres mouvantes, ces sensations de présence invisible. Ce qui était autrefois un havre de science avancée était désormais empreint d’une atmosphère oppressante, une menace silencieuse qui se faisait sentir dans chaque recoin du laboratoire.

Les chercheurs tentaient de se convaincre que tout cela était le résultat de leurs manipulations, des incidents collatéraux liés à la déformation de la réalité. Mais au fond d’eux, ils savaient que quelque chose de plus profond se jouait. Il ne s’agissait plus simplement d’altérer la trame de la réalité. Quelque chose s’éveillait dans les interstices, quelque chose d’ancien, d’oublié depuis des millénaires. Les textes anciens avaient mentionné des dangers, des forces qui n’étaient pas seulement inaccessibles, mais hostiles à l’humanité. Mais ces avertissements avaient été balayés par l'obsession de la découverte, et maintenant, ils en payaient le prix.

Une nuit, alors que la tension dans le laboratoire atteignait son paroxysme, un événement tragique marqua un tournant. L’un des chercheurs de l’équipe du laboratoire du niveau -3, un jeune homme de trente-cinq ans, brillant nommé Paul Carginol, disparut sans laisser de trace. Carginol, jusque-là toujours méticuleux et prudent, était celui qui doutait le moins des découvertes de Kennywood, et le dernier à exprimer la moindre peur face aux événements étranges. Cette nuit-là, cependant, après avoir travaillé tard dans une section reculée du complexe, il ne rentra jamais à son poste. Les équipes de recherche furent mobilisées, fouillant chaque pièce, chaque recoin, mais en vain. Carginol s’était évaporé.

La seule chose retrouvée dans son espace de travail fut son carnet de notes, posé ouvert sur une table. Ce qui frappa immédiatement ceux qui le ramassèrent fut l’état de l’objet : sa couverture était imbibée d’une substance noire, inconnue. Cette matière semblait pulser, vivante, s’étendant lentement comme une ombre mouvante. Le carnet lui-même était tâché, comme si la noirceur avait tenté de l’absorber, déformant certaines pages, les rendant illisibles. À l’intérieur, les notes de Carginol avaient changé. Là où ses recherches étaient auparavant d'une clarté scientifique rigoureuse, les dernières lignes devenaient incompréhensibles, remplies de dessins frénétiques, des gribouillis de cercles et de symboles rappelant étrangement ceux des manuscrits anciens.

Les scientifiques, en découvrant ce carnet, restèrent figés d’horreur. Ils savaient tous ce que cela signifiait, bien qu’aucun ne veuille le formuler à haute voix : Paul Carginol avait été touché par quelque chose qui dépassait la simple manipulation génétique ou physique. Loin d’être simplement modifié par leurs expérimentations, il semblait avoir été englouti, dévoré par une force qui se cachait derrière les réalités altérées. Mais ce qui était encore plus terrifiant, c’est que cette force se manifestait désormais dans le monde réel, à travers la substance noire et les événements inexplicables.

Les jours qui suivirent la disparition de Carginol plongèrent le laboratoire dans une atmosphère de peur palpable. Personne n'osait plus travailler seul, et chaque bruit, chaque ombre, devenait source d’angoisse. L’équipe savait que quelque chose d’ancien et de terrifiant s’était éveillé au cœur de leurs travaux. Ce qui, autrefois, avait été un projet scientifique audacieux était maintenant devenu un cauchemar. Les chercheurs avaient pénétré trop loin dans l’inconnu, et la réalité elle-même semblait se retourner contre eux.

Mais pour Kennywood, il n’était plus question de reculer. Loin de freiner son obsession, la disparition de son confrère renforça sa conviction : ils étaient sur le point de découvrir une vérité que personne n’avait jamais effleurée. Au-delà des phénomènes terrifiants et des risques, il restait convaincu que la clé du pouvoir absolu se trouvait dans les mystères qu’ils étaient sur le point de dévoiler. Et rien, pas même la menace de forces invisibles et incompréhensibles, ne pourrait l’empêcher d’aller jusqu’au bout.

Ils prirent toutefois pour une sécurité évidente, la décision de quitter leur laboratoire en Afrique du Sud, conscients que leurs recherches avaient franchi des limites dangereuses et qu'ils devaient revoir tous leurs calculs dans un endroit neutre, repartir de zéro. L'angoisse les tenaillait alors qu'ils réalisaient que la connaissance qu'ils convoitaient pouvait ne pas être aussi innocente qu'elle le paraissait. Les phénomènes étranges qui avaient commencé à perturber leurs travaux résonnaient encore dans leurs esprits, tels des échos d’avertissements sinistres. Dans une hâte fébrile, ils choisirent de faire une pause pour réévaluer leurs découvertes, espérant échapper aux conséquences d'une quête devenue frénétique.

Leurs discussions tourbillonnaient autour de la table, et les visages étaient marqués par une inquiétude palpable.

— Un nouveau départ est nécessaire, murmura Kennywood, le regard sombre.

Tandis que ses associés acquiesçaient, absorbés par le poids de leurs décisions. Ils choisiraient désormais un nouveau complexe, plus éloigné des préoccupations éthiques qui les rongeaient. Ce serait en Amérique du Sud, dans les vastes forêts du nord du Brésil, que leur refuge se construirait. Un lieu encore plus isolé, où ils pourraient poursuivre leurs expériences à l’abri des regards et des anomalies inquiétantes.

Mais au fond d'eux, une inquiétude persistait. Le sentiment que quelque chose de plus grand, de plus ancien, les observait. Ils avaient pénétré des domaines interdits, et les conséquences de leurs actes ne tarderaient pas à les rattraper. Les ombres s’allongeaient, les murmures des bois semblaient porter un avertissement, comme si la nature elle-même protestait contre leurs ambitions démesurées. Une nuit, alors qu’ils s’apprêtaient à quitter le laboratoire, une série de bruits étranges retentit à l'extérieur, faisant vibrer les murs. Leurs cœurs s’emballèrent, un frisson glacial leur parcourut l’échine.

— Qu'est-ce que c'était ? demanda Selina, la voix tremblante, tandis que tous se figeaient, leurs yeux rivés sur la porte.

Kennywood, bien que déterminé à poursuivre sa quête, ne put s’empêcher de ressentir un frisson d’appréhension.

— C’est probablement juste un animal, tenta-t-il de rassurer.

Mais la tension était déjà palpable. Les grondements continuèrent, comme un appel lugubre de la forêt, une mise en garde venue d’un monde que leurs recherches avaient réveillé.

Ce nouveau départ, qu’ils espéraient salvateur, s’annonçait déjà chargé de dangers insoupçonnés. Dans la chaleur étouffante du laboratoire, l’angoisse s'intensifiait. Ils s'apprêtaient à entrer dans un royaume où les forces qu'ils croyaient pouvoir contrôler pourraient se révéler bien au-delà de leur entendement. Avant de quitter définitivement le laboratoire, Kennywood, Jeff, Selina prirent une décision finale, aussi impitoyable que calculée : ils ordonnèrent l’installation d’explosifs au niveau le plus profond du complexe souterrain, là où se trouvaient les cobayes. Le cinquième niveau, isolé du reste du monde, enfermait les sujets d’expérimentation des êtres modifiés, désormais perdus entre leur humanité et les forces inconnues qui les habitaient.

Le plan était simple : tout effacer. Les preuves de leurs recherches, les cobayes, les anomalies qu’ils avaient créées… tout devait disparaître dans un seul souffle de destruction. Ils ne pouvaient risquer que ces expériences, devenues incontrôlables, leur échappent. Les charges étaient minutieusement placées, prêtes à réduire le laboratoire à un tas de décombres, enterrant à jamais les atrocités qui y avaient été commises. Du moins, c'est ce qu'ils espéraient

.

Alors que les derniers préparatifs étaient faits, le tic-tac des compteurs d'explosifs résonnait dans l’air étouffant du laboratoire. Les cobayes, ignorants du sort qui les attendait, gisaient dans leurs cages, les yeux remplis d’un mélange de peur et d’étrangeté, certains encore sous l’emprise des mutations récentes. Les alarmes silencieuses étaient prêtes à se déclencher. Kennywood et son équipe n'éprouvèrent aucune compassion ; pour eux, ces êtres n'étaient plus humains, mais de simples instruments qui avaient rempli leur rôle.

L’équipe du Professeur Kennywood et plusieurs membres du personnel du complexe montèrent en surface, quittant les niveaux souterrains, et prirent la route, laissant derrière eux ce passé perturbant, persuadés que leur départ marquait la fin de cette sombre aventure. Le compte à rebours des explosifs commençait alors que leurs véhicules disparaissaient au milieu de la chaine de montagnes Drakensberg et de la forêt.

Mais la forêt, elle, n’oublierait pas. Les arbres murmuraient, et une ombre semblait s’éveiller au cœur de ce lieu ancien et sacré. Une force indéfinissable, alimentée par les rituels occultes et les mutations des cobayes, rampait dans les profondeurs, au-delà de la compréhension des chercheurs. Une connexion invisible liait désormais cette forêt et les créatures qu'ils avaient laissées derrière eux, vivant, au seuil de l'oubli.

Ignorant ces signes, Kennywood, Jeff, et Selina roulèrent vers une nouvelle destination, pensant avoir échappé à tout danger. Pourtant, une ombre silencieuse les suivait, se faufilant entre les arbres, prête à frapper au moment le plus inattendu. À chaque tournant de la route, la forêt semblait se resserrer, comme un piège lentement refermé.

Les secondes s'égrenaient, le temps pressait. La question demeurait : seraient-ils jamais vraiment à l’abri ? Tandis que les derniers chiffres du détonateur clignotaient dans l’obscurité, quelque chose d’inhumain se mit en mouvement sous terre, une puissance qu’ils n’avaient pas prévue.

Leurs explosions allaient se déclencher… mais le véritable cauchemar ne faisait que commencer. L’ombre les suivait, prête à frapper au moment le plus inattendu, et la question demeurait : seraient-ils jamais vraiment à l’abri ?

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