Partie 2 / Chapitre 11 : Les Manuscrits de l’Oubli

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Une vingtaine d’années plus tôt, c'est ici que tout avait commencé. Le lieu où les rêves s’étaient brisés et les vérités avaient été révélées. Dans les profondeurs d’une bibliothèque souterraine oubliée, un lieu que même les légendes avaient cessé d’être mentionnées. Une équipe de chercheurs et d'archéologues fouillait des archives abandonnées depuis des siècles, le professeur Kennywood, un américain âgé d’une cinquantaine d’années, passionné malgré son allure stricte, dirigeait les opérations. À ses côtés, Léa et André Wullschleger, un couple de scientifiques franco-allemand, des trentenaires inséparables, et spécialisés dans leurs domaines respectifs, scrutaient d’anciens manuscrits avec minutie. Non seulement experts dans leurs disciplines, ils possédaient également des connaissances approfondies en paléographie. Léa, grâce à son œil acéré pour les symboles anciens, et André, avec sa capacité à décrypter des langues depuis longtemps disparues, apportaient chacun une expertise complémentaire qui enrichissait leur travail d’analyse.


Jeff Davis, physicien, au cheveux longs et frisées attachés en queue de cheval, la quarantaine bien affirmée, arborait son air habituel de calme réservé. Toujours en retrait, il préférait observer discrètement, captant chaque détail avec la précision d’un scientifique chevronné. Derrière ses lunettes à monture fine, ses yeux examinaient un vieux globe poussiéreux, comme s’il cherchait à y déceler des secrets oubliés du monde. Sa présence, bien que silencieuse, imposait un respect certain, témoin de son esprit méthodique et de son insatiable curiosité, tandis que Selina Rochard, française et benjamine de l’équipe à seulement vingt-huit ans, était une véritable tornade d’énergie et de talent. Ses doigts glissaient sur le papier à une vitesse fulgurante, capturant chaque détail avec une précision instinctive. Derrière ses lunettes légèrement glissées sur le bout de son nez, son regard vif témoignait de son esprit en ébullition, avide de nouvelles découvertes. L’excitation de la recherche semblait la porter, son enthousiasme contagieux illuminant la pièce. Bien qu’encore jeune, Selina avait déjà prouvé qu’elle pouvait rivaliser avec les plus grands esprits scientifiques, et son ambition la poussait toujours à aller plus loin, à défier l’inconnu.


Non loin d’eux, Le Père Santiago, de nationalité brésilienne qui, avant de répondre à l’appel de la foi et de consacrer sa vie à l’Église, avait toujours nourri une profonde passion pour l’histoire et les civilisations anciennes. Fasciné par les mystères enfouis du passé, il avait entrepris des études d'archéologie, désireux de comprendre les racines de l'humanité et les cultures qui avaient marqué le monde. Pour lui, explorer des vestiges anciens n'était pas seulement une quête scientifique, mais aussi une manière de mieux saisir la place de l'Homme dans l’univers et la dimension spirituelle des civilisations disparues. Cependant, au fur et à mesure qu’il avançait dans ses recherches, il ressentait un appel plus profond, une soif de vérité spirituelle qui allait bien au-delà des découvertes matérielles. C'est alors qu'il décida de rejoindre les ordres, convaincu que sa vocation spirituelle et son amour pour l’histoire pouvaient coexister et même se renforcer mutuellement. Pour lui, les deux disciplines, bien que différentes, étaient des voies complémentaires pour comprendre la condition humaine et son rapport au divin. C’est donc tout naturellement qu’il accepta la proposition du professeur Kennywood de les rejoindre dans cette quête. Il suivait le groupe de chercheurs et inspectait avec une ferveur toute religieuse les reliques sacrées dispersées parmi les livres. Passionné par la découverte de manuscrits oubliés et d’objets religieux anciens, il murmurait une prière silencieuse à chaque page tournée, conscient que leur quête pourrait les mener à des révélations bouleversantes pour l’Église et l’humanité.


Les lieux exhalaient une lourde odeur de poussière et de pierre humide. Les plafonds étaient bas, les étagères surchargées de livres dont les pages, friables et jaunies par le temps, semblaient ne tenir ensemble que par miracle. Seuls les échos de leurs pas et le grincement de leurs instruments venaient troubler le silence sépulcral qui régnait en maître dans cet abîme de savoir.


Le professeur Kennywood, homme au regard noir perçant et aux mains toujours tachées d'encre, était passionné par les mystères du passé, il avait consacré sa vie à l’étude des civilisations disparues. Il était l’un des rares chercheurs de son temps à croire que certaines connaissances anciennes avaient volontairement été oubliées ou dissimulées, car trop dangereuses pour l’esprit moderne. Cette bibliothèque secrète, nichée dans les entrailles de la terre, représentait pour lui la promesse d’une révélation, qu’il espérait plus grande que tout ce qu’il avait découvert jusqu’alors.


Ce jour-là, alors que l'équipe explorait minutieusement les étagères et les coffres poussiéreux, Kennywood fit une découverte singulière. Derrière une pile de parchemins inutiles, dévorés par le temps et les mites, il remarqua un amas de manuscrits en lambeaux. À première vue, ces documents n’étaient guère différents de ce qui jonchait les lieux, mais quelque chose d’invisible sembla attirer l’attention du professeur. Ses doigts habiles retirèrent délicatement les feuillets abîmés par l’humidité, révélant des pages à moitié effacées mais dont certaines semblaient étonnamment bien conservées, comme si une force mystérieuse les avait protégées du temps.


Les autres membres de l’équipe, intrigués par le silence soudain du professeur, s’approchèrent, Kennywood s’agenouilla devant les manuscrits, une lumière vive dans les yeux. Alors qu’il feuilletait prudemment les pages, ils réalisèrent que ces textes étaient rédigés dans une langue qu’aucun d’eux n’avait jamais vue. Ni un alphabet ancien, ni une langue éteinte connue. C’était une écriture complexe, presque organique, faite de lignes sinueuses qui rappelaient autant les racines des arbres que les connexions neurales d’un cerveau.


Le Père Santiago, toujours à l’affût des mystères cachés dans les textes sacrés, s’avança à son tour. Ses yeux brillèrent derrière ses lunettes en découvrant l’écriture. Il s’accroupit aux côtés du professeur, passant un doigt hésitant au-dessus des lignes étranges sans les toucher.


— C’est fascinant, murmura-t-il avec une déférence palpable.


— J'ai étudié de nombreux manuscrits au fil des années, certains aussi anciens que les Évangiles apocryphes, mais cela... cela dépasse tout ce que j’ai pu voir, poursuivit-il.


Il se redressa légèrement, comme pour mieux examiner les symboles sous un nouvel angle.


— Regardez à cet endroit, ces tracés semblent presque vivants, dit-il, absorbé par les formes sinueuses.


— Cela me rappelle certaines représentations mystiques dans les textes médiévaux, où l’on cherchait à illustrer la connexion divine avec l’homme, mais ici, il semble que nous soyons face à quelque chose de plus ancien encore, peut-être issu d’une époque pré-religieuse, antérieure aux premières croyances organisées. Une forme d'écriture primitive qui pourrait être bien plus qu'un simple langage, continua-t-il.


Son enthousiasme contagieux fit écho parmi les autres, qui écoutaient avec attention. Le Père Santiago se tourna vers Jeff et André.


— Cela pourrait nécessiter une étude approfondie, peut-être une combinaison d’analyses théologiques et scientifiques.


Il marqua une pause, jetant un coup d'œil à Léa.


— Si ces symboles sont plus qu’un langage, ils pourraient avoir une signification spirituelle profonde. Peut-être un message destiné à être découvert seulement maintenant.


Pourtant, ce qui frappa le plus l’équipe, au-delà de l’obscurité de cette langue inconnue, furent les diagrammes étranges qui accompagnaient les textes. Au premier regard, ils auraient pu être pris pour de simples croquis, mais à mesure que les chercheurs les examinaient, leur complexité géométrique et symétrique apparaissait. Des formes imbriquées, des cercles inscrits dans des triangles, des lignes courbes se croisant avec une précision déroutante. Tout dans ces dessins évoquait un ordre mathématique et une logique qui échappaient aux paradigmes de la science moderne.


— Ce ne sont pas des illustrations, murmura le professeur Kennywood, les yeux rivés sur l’un des schémas les plus élaborés.


— Ce sont des représentations… mais de quoi ?


Un silence lourd s’abattit sur la pièce. Chacun des membres de l’équipe ressentait la même chose : ces symboles cachaient une vérité que personne n’osait encore formuler.


Après avoir soigneusement enveloppé les manuscrits dans des tissus de protection, l'équipe quitta la bibliothèque souterraine, le cœur battant d'excitation. Le trajet jusqu'à leur laboratoire se fit sans bruit, chacun absorbé dans ses pensées, conscient de la portée potentielle de leur découverte. Une fois sur place, le professeur Kennywood ordonna que les textes soient placés sur une grande table centrale, sous une lumière tamisée. Avec une rigueur scientifique, il rappela à tous l'importance de manipuler les manuscrits anciens avec soin. Avec quiétude, chacun enfila des gants en coton blanc pour éviter d’endommager les fragiles pages, dont l'âge se mesurait en siècles. Sous la lumière douce, les textes semblaient presque mystiques, et chaque geste devenait une cérémonie soignée, respectueuse du passé et de son précieux héritage. Les appareils d'analyse étaient prêts, et les instruments de haute précision étincelaient dans l’attente.


Léa et André s’installèrent immédiatement, déployant leurs outils de décryptage tandis que Jeff préparait les scanners pour une analyse approfondie de la texture et de la composition des manuscrits. Le Père Santiago, quant à lui, s’assit avec une tranquillité presque méditative, ses mains jointes devant lui. Ses yeux sombres parcouraient les lignes mystérieuses avec une attention particulière, comme s’il cherchait à en déchiffrer non seulement le sens littéral, mais aussi une vérité plus profonde, cachée entre les mots. Sa respiration était lente, rythmée, comme s’il entamait une prière silencieuse. Chaque symbole, chaque courbe sur le parchemin semblait porter un poids spirituel que lui seul pouvait percevoir. Dans cette concentration presque sacrée, on sentait que ce n’était pas simplement un texte ancien qu’il examinait, mais une quête d’illumination. L'atmosphère, chargée d’une tension feutrée, marquait le début d’une longue et minutieuse étude, où chaque symbole pourrait révéler des secrets enfouis depuis des millénaires.


Peu à peu, au fil des semaines d’étude et de décodage, une question obsédante s’immisça dans l’esprit des chercheurs. Et si ces anciens textes n’étaient pas de simples écrits mystiques ? Et si ces diagrammes, ces textes inaccessibles, représentaient la structure même du monde, une réalité invisible aux yeux des hommes modernes ? Une réalité que la science contemporaine n'avait jamais effleurée.


C’était une idée vertigineuse, presque hérétique dans son essence. La frontière entre la science et l’ésotérisme, entre la raison et la superstition, vacillait dangereusement. Les découvertes de l’équipe, aussi fascinantes qu’inquiétantes, semblaient suggérer que cette langue inconnue décrivait une forme de savoir oubliée. Un savoir qui touchait à l'essence même de la réalité. Les diagrammes géométriques n’étaient pas de simples ornements, ils représentaient des forces invisibles, des lois qui échappaient aux mathématiques conventionnelles, mais qui pourtant régissaient l’univers.


Et puis, une découverte bouleversa tout.


Alors qu’ils progressaient lentement dans la traduction approximative de certains fragments, ils tombèrent sur un mot récurrent. Un mot qui, après des jours de réflexion, fut identifié comme « magie ». Mais pas la magie des contes et légendes, pas celle des superstitions médiévales ou des fables pour enfants. Ce mot semblait décrire une forme de pouvoir, une force qui se manipulait comme on manipulerait l’électricité ou la gravité. Une science cachée derrière des symboles anciens, capable de transformer la trame même de la réalité.


— Ce n’est pas de la sorcellerie, déclara Kennywood, son ton grave résonnant dans la salle.


— C’est une science… une science que nous n’avons jamais comprise, continua-t-il.


L’équipe, d’abord sceptique, fut peu à peu gagnée par une fébrilité nouvelle. Chaque schéma, chaque texte traduit, renforçait l’idée que les anciens avaient découvert quelque chose de bien plus profond que des rituels ésotériques ou des invocations mystiques. Ils avaient codifié une science des forces cachées, des lois sous-jacentes qui contrôlaient le monde matériel et immatériel. Une science que le monde moderne, avec toute sa technologie et ses progrès, avait oubliée.


Mais ce savoir, vieux de plusieurs millénaires, avait-il été volontairement effacé de l’histoire, pour protéger l’humanité de son propre pouvoir destructeur ? Ou bien était-il tombé dans l'oubli à cause de sa nature même, trop complexe et dangereuse pour être manipulée sans risques ?


Alors que les chercheurs plongeaient plus profondément dans ces découvertes, une inquiétude croissante s’empara d’eux. Ce qu’ils avaient déterré ici n’était pas qu’un savoir perdu. C'était un pouvoir qu'il valait peut-être mieux ne jamais tenter de comprendre. Un pouvoir capable de distordre la réalité à sa volonté, mais à quel prix ?

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