Chapitre 12 : Le laboratoire du Réel
La découverte des manuscrits anciens avait plongé le professeur Kennywood et son équipe dans une frénésie intellectuelle palpable. Le laboratoire fourmillait d’énergie, d’interrogations et de théories. Un matin, après avoir épluché les derniers fragments de texte, le professeur leva les yeux vers ses collègues, son visage éclairé d’un enthousiasme presque fiévreux.
— Vous comprenez ce que cela signifie ? Ce n’est pas seulement de l’histoire, murmura-t-il, en feuilletant avec délicatesse les pages jaunies sous les regards impatients de ses collaborateurs. C’est une science... ou quelque chose qui pourrait le devenir.
À ses côtés, Selina Rochard, benjamine de l’équipe, secoua la tête, partagée entre fascination et scepticisme.
— Professeur, vous ne pensez tout de même pas qu’on pourrait... appliquer ces connaissances ? Je veux dire, ce serait... risqué, non ?
Un sourire énigmatique se dessina sur le visage du professeur Kennywood.
— Et si le risque en valait la peine ? Imaginez… repenser notre réalité, repousser ses frontières !
Ils échangèrent des regards lourds de tension et d’inquiétude. Après des mois de réflexions intenses, d'analyses méticuleuses et de discussions à huis clos, la décision s'imposait d’elle-même. Il ne s’agissait plus seulement d’étudier ces manuscrits. Selina finit par hocher la tête, un mélange de crainte et de détermination dans les yeux.
— Alors, recréons cette science, souffla-t-elle.
Sous la direction visionnaire de Kennywood, le laboratoire secret s’était implanté dans une région isolée d'Afrique du Sud, à l’abri des curieux. Cet endroit, à la fois reculé et stratégique, leur offrait une liberté précieuse. « Enfin, la paix, » avait pensé Kennywood en posant son sac le jour de leur arrivée. Il observait la vallée montagneuse du Drakensberg qui s’étendait devant lui, protégée par des kilomètres de forêts et d'immenses rochers. Ici, les seuls témoins seraient les oiseaux et peut-être quelques visiteurs téméraires.
Dans la salle principale du laboratoire, le professeur André Wullschleger parcourait les installations avec satisfaction. Il effleurait du bout des doigts les instruments de pointe disposés sur les tables.
— C’est vraiment tout ce dont on a besoin… et même plus, fit-il remarquer à Kennywood, qui hocha la tête avec un sourire énigmatique.
— Ces « bienfaiteurs » n'ont pas lésiné, en effet, répondit Kennywood.
Il esquissa un sourire un peu crispé en repensant à la poignée de hauts dignitaires qui avaient financé le projet. Leur intérêt dépassait de loin la science pure. « Des gens plus influents qu'il n'y paraît », murmura-t-il à voix basse, comme pour lui-même. Ses yeux brillaient d’un éclat étrange, mi-inquiet, mi-exalté.
Wullschleger, intrigué, se pencha vers lui.
— Ces gens… ils espèrent quoi, exactement, de nous ? Des réponses aux questions qu'ils ne peuvent pas poser ouvertement ?
Kennywood le dévisagea, sa voix baissant d’un ton.
— Ils cherchent à… découvrir une vérité qu’ils pourront manipuler. Chacun pour ses propres fins. Mais leurs motivations ne nous concernent pas. Pas pour l’instant.
Leur conversation s'interrompit lorsque les portes automatiques s’ouvrirent en silence. Derrière eux, la jeune chercheuse, Selina, déposa une pile de manuscrits anciens sur la table. Les symboles ésotériques des textes projetaient des ombres étranges sous la lumière froide des néons.
— Ces… précieux ouvrages…, balbutia-t-elle, Ils sont si denses que l'on dirait… des énigmes à eux seuls.
Elle leva les yeux vers Kennywood, en quête de réponses.
Il croisa les bras, se plongeant dans l'observation des symboles.
— Ces écrits sont la base de notre travail ici, Selina, dit-il, la voix empreinte de mystère. Une science oubliée, presque légendaire. Notre tâche est de les interpréter, de les traduire en un langage que la technologie moderne peut comprendre.
La jeune femme frissonna.
— Alors… tout ce que nous faisons ici… c’est plus qu’un simple projet scientifique ?
André Wullschleger s’esclaffa légèrement, sans cesser de parcourir les lignes énigmatiques.
— Bienvenue dans l'inconnu, Selina. La frontière entre la science et le mysticisme est plus floue que tu ne l’imagines.
— Ce que nous avons ici, mes amis, n'est pas une simple relique du passé, expliqua Kennywood à son équipe avec une ferveur nouvelle.
— C’est une clé. Une clé pour réécrire la structure de la réalité elle-même.
Ces textes anciens dépeignaient des sorciers d'autrefois manipulant le temps, l’espace et même les pensées humaines à travers des rituels, des incantations et des symboles gravés. Les chercheurs modernes, cependant, avaient un avantage que ces anciens ne pouvaient même pas imaginer : la science génétique et les technologies de manipulation moléculaire. Kennywood fixa les pages du manuscrit, un frisson d'excitation parcourant sa colonne vertébrale. Il en avait toujours rêvé : l’idée que la biologie, qu’il avait étudiée avec passion, pourrait un jour rencontrer ces forces mystérieuses. Son regard se posa sur un passage particulier, décrivant des changements dans la structure de l’âme humaine. Il se pencha en avant, une flamme intérieure perceptible. « Si l'ADN humain était une sorte de code, alors pourquoi ne pas l'utiliser pour manipuler la réalité ? » se dit-il, un sourire léger naissant sur ses lèvres.
Il se leva soudainement, les idées bouillonnant dans son esprit comme une réaction chimique en plein développement. « Pourquoi ne pourrait-on pas faire ce que ces sorciers faisaient, mais avec la précision et la rigueur de la science ? Les anciens modifiaient la réalité avec des rituels, des symboles et des incantations, mais et s'ils avaient eu accès à quelque chose de plus fondamental ? Une structure pure, une trame à l'intérieur même du vivant. L'ADN. C’était un code, tout comme celui qui tissait la réalité elle-même. »
Le professeur s'arrêta devant le tableau, comme hypnotisé par l’idée. Il se tourna vers ses notes éparpillées sur le bureau. « Une séquence de gènes… manipulée correctement… pourrait-on coder la magie dans la matière vivante ? » murmura-t-il, plus pour lui-même que pour qui que ce soit. Son esprit s'emballait, les possibilités se multipliant à une vitesse folle. L’ADN était, en effet, une trame comparable à celle de la réalité. Une suite de séquences codées qu'on pouvait modifier pour, qui sait, des résultats bien au-delà de ce qu'il avait osé imaginer jusque-là.
Aux côtés de leurs collègues, les professeurs Léa et André Wullschleger, respectivement généticienne et bio-physicien, travaillaient avec une concentration quasi frénétique. Les dernières découvertes qu'ils avaient faites attiraient déjà l’attention du professeur Kennywood, qui se penchait intensément sur les diagrammes énigmatiques étalés devant lui. Ses yeux brillaient d’un éclat presque fébrile en parcourant les symboles géométriques complexes, cherchant à percer leur secret.
— Regardez ça, murmura Léa en désignant un symbole particulier. Ces lignes, ces courbes... elles pourraient bien être des instructions codées pour manipuler les éléments fondamentaux de la nature. Si nous réussissons à les déchiffrer, tout pourrait changer.
André, les sourcils froncés, se pencha sur le diagramme.
— Mais à quoi cela servirait-il ? Manipuler la structure de la réalité elle-même... Ce n’est pas rien.
Kennywood, plus enthousiaste que jamais, interrompit le couple.
— Et si c’était exactement ce que nous cherchons ? Des séquences qui, intégrées à l’ADN humain, pourraient provoquer des mutations contrôlées. Imaginez... la possibilité de réécrire les lois naturelles, d’influer sur la matière à un niveau fondamental.
Léa fixa le professeur, tiraillée entre doute et excitation.
— Et les risques ? Nous flirtions déjà avec l'inconnu avant. Mais là… Ce n’est pas juste une question de science. C’est une question d’éthique.
André se leva brusquement, concentré sur les graphiques, l'angoisse visible sur son visage.
— Léa a raison professeur Kennywood, on ne peut pas ignorer ça. C’est bien plus que ce que nous imaginions. Ces diagrammes, ils semblent être liés à ces anciens textes. Mais si… si ce qu'ils disent est vrai ?
Les membres de l’équipe échangèrent un regard silencieux. La tension montait, non seulement entre les éléments de la nature qu'ils manipulaient, mais aussi entre leurs convictions et la science qu'ils poursuivaient. Le danger était tangible. L'excitation grandissait, mais à mesure qu'ils s’approchaient de leur objectif, l'incertitude se faisait de plus en plus pesante.
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