Chapitre 15 : Les expériences de l’Horreur

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Le problème de ses collègues étant désormais « résolu », Kennywood, toujours implacable et sans la moindre once de remords, poursuivit ses objectifs secrets avec une froide indifférence. Sans plus aucun frein moral pour contenir ses ambitions démesurées, il plongea tête baissée dans ses projets macabres, décidé à exploiter tout le potentiel des manuscrits. Malgré les récents déboires rencontrés lors de l'essai avec Kwame, la poursuite des expériences fut menée dans le plus grand secret, s'appuyant sur les travaux initiés du vivant du regretté couple Wullschleger.


Entourées d’une discrétion paranoïaque, Kennywood, bien qu’obsédé par la réussite, comprenait l'importance de ne pas attirer l’attention des autorités, ni des sceptiques. Il avait mis en place un réseau complexe de faux projets et de documents pour masquer ses véritables activités. Les volontaires humains qui s’ensuivirent, naïfs et avides de croire en des promesses de traitements médicaux révolutionnaires, furent recrutés sous couvert de recherches sur des maladies rares et incurables. Ils n’avaient aucune idée que leur ADN allait être manipulé de façon radicale, modifié à l’aide de fragments tirés des mystérieux diagrammes, soigneusement codés dans leurs séquences génétiques.


Kennywood observait les échantillons sous le microscope, une lueur presque fébrile dans les yeux.


— Regarde ça, murmura-t-il, attirant l’attention de Lydia, une de ses assistantes principales.


Elle se pencha, ajustant rapidement les lentilles.


— C’est… incroyable. On dirait que les cellules reconnaissent les séquences. Elles ne se défendent pas, elles… accueillent les modifications.


Kennywood esquissa un sourire.


— Accueillent ? Non, Lydia. Elles obéissent.


Lydia hésita.


— Mais si elles obéissent, à quoi exactement ? Ces séquences… On ne sait pas d’où elles tirent leur logique. Et si on déclenchait quelque chose qu’on ne peut pas arrêter ?


Il releva les yeux vers elle, un éclat presque menaçant dans son regard.


— Les grandes découvertes ne se font pas sans risques. Nous savons ce que nous cherchons. Reste à savoir si l’univers est prêt à nous le révéler.


Le silence qui suivit était chargé. Dans la pièce voisine, deux volontaires attendaient leur tour, inconscients des murmures scientifiques autour de leurs destins.


Lorsque le moment vint d’injecter la première série de modifications, Lydia serra nerveusement le flacon.


— Professeur, balbutia-elle d’une voix angoissée, si ça tourne mal, on….


— Rien ne tournera mal, coupa-t-il, sa voix tranchante. L’humanité a stagné trop longtemps. Si nous voulons maîtriser ces forces, nous devons franchir les limites que d’autres n’osent même pas approcher. Maintenant, donne-moi l’aiguille.


Les probantes ne montrèrent au départ aucun signe alarmant. Sous l’éclairage clinique, Kennywood et son équipe observaient les premiers résultats en temps réel. Jeff Davis, non loin d’eux, s’exclama :


— Regarde leurs cellules, dit-il, incrédule. Elles changent. Non, elles… répondent, comme si elles attendaient cette intervention depuis toujours.


Lydia croisa les bras, mal à l’aise.


— Ça pourrait être une simple adaptation. Ou peut-être… une erreur que nous interprétons mal.

Kennywood ignora la remarque. Il approcha des volontaires, scrutant leurs visages.


— Comment vous sentez-vous ? demanda-t-il.


Un des sujets d’études, un homme d’une trentaine d’années, ouvrit lentement les yeux.


— Étrangement… bien. Comme si quelque chose en moi venait de se réveiller.


Lydia se raidit.


— Un réveil ? Qu’est-ce que ça veut dire ?


Mais Kennywood souriait déjà, satisfait.


— Ça veut dire que nous sommes sur la bonne voie, cru-t-il


C’est alors que les premiers signes d’anomalies firent leur apparition, discrets au début, mais assez perturbants pour plonger le groupe dans une inquiétude croissante.


— Ça a commencé il y a deux jours, confia un sujet, visiblement nerveux, en frottant ses tempes. Je sens… quelque chose. Comme si tout autour de moi vibrait, mais pas d'une manière normale. C’est… trop intense.


Un autre hocha la tête, l’air absent.


— Et ces chuchotements… Vous les entendez aussi ? Ils ne parlent pas vraiment, mais… c’est comme s’ils étaient là, dans ma tête.


Les chercheurs prirent des notes, jetant de brefs regards inquiets vers Kennywood, qui observait la scène sans ciller.


Au fil des jours, les témoignages devinrent plus alarmants. L’un des sujets, une jeune femme d’une quarantaine d’années, nommée Mara, éclata en sanglots lors d’une session d’observation.


— Ils sont là ! Juste là, je le sais ! cria-t-elle en pointant un coin vide de la pièce. Ses yeux étaient grands ouverts, remplis de terreur. Vous ne les voyez pas ?! Ces… ombres ? Elles bougent, elles me regardent…


Un autre, le visage blême, murmura :


— Hier soir, je… je n’étais plus là. Je me suis retrouvé dans un endroit étrange, un désert, mais le ciel était… vivant. Il changeait constamment, comme s'il respirait. Puis, tout s’est brisé et je me suis retrouvé par terre au milieu de ma chambre.


Les chercheurs s’échangeaient des regards de plus en plus nerveux.


— Ces symptômes sont loin d’être anodins, souffla l’un d’eux en aparté.


Mais Kennywood ne partageait pas leur inquiétude.


— Ce sont des révélations, pas des anomalies, déclara-t-il avec conviction, en croisant les bras devant les écrans où défilaient les données. Leur perception se réadapte, c’est tout. Chaque crise est une étape dans leur évolution. Nous devons continuer.


Malgré ses assurances, la situation dégénéra rapidement. Un participant à l’étude fut retrouvé recroquevillé au sol, hurlant de terreur et tentant de s’arracher la peau.


— Sortez-moi de là ! Ce n’est pas mon corps ! répétait-il sans cesse.


Un autre témoignage glaça l'équipe. Le sujet, un homme aux traits tirés et aux yeux enflammés par l’épuisement, semblait lutter pour trouver les mots justes. Sa voix, rauque et entrecoupée de tremblements, résonnait dans la pièce silencieuse.


— Le temps…, commença-t-il, hésitant. Il passa une main tremblante sur son visage, comme s’il cherchait à effacer une vision insoutenable. Il ne ralentissait pas… pas vraiment. C’était pire que ça.


Les scientifiques échangèrent des regards perplexes, mais le sujet poursuivit, sa respiration s’accélérant.


— C’était cassé, complètement. Comme si… comme si le temps avait un son. Et là, ce son s’est arrêté. Pas un silence naturel, non. C’était… faux. Tordu. Comme si tout autour de moi… mourait.


Il ferma les yeux, et sa voix baissa encore, presque inaudible.


— J’ai vu mes mains bouger… mais elles n’étaient pas comme les miennes. Comme si elles appartenaient à quelqu’un d’autre, quelqu’un de… piégé… dans mon corps.


Le silence qui suivit était oppressant, alourdissant encore l’atmosphère. L’un des chercheurs osa poser une question :


— Et après ?


L’homme ouvrit les yeux, fixant un point invisible devant lui. Ses lèvres tremblèrent, mais aucun mot ne sortit. Puis il éclata d’un rire nerveux, grinçant, avant de se recroqueviller sur lui-même, murmurant encore et encore :


— Il n’y a pas d’après… il n’y a pas d’après…


Les chercheurs n’osaient plus s’aventurer seuls dans les chambres d'observation du niveau moins deux du centre. Kennywood, cependant, persistait, refusant de céder à ce qu’il qualifiait de «panique inutile ».


— La vérité est souvent cachée derrière la peur, déclara-t-il calmement, observant les sujets à travers la vitre. Si nous nous arrêtons maintenant, tout ce que nous avons construit s’écroulera.


Les protestations des chercheurs n’y firent rien. Les cris et murmures des sujets s’intensifièrent, tout comme les tensions au sein de l’équipe. Pour Kennywood, chaque nouveau cauchemar n’était qu’une promesse de découverte. Pour les autres, c’était un plongeon dans l’inconnu… et dans la folie.


— Ce ne sont que des ajustements, répéta-t-il avec une froide assurance.


— Nous sommes à l’aube d’une découverte qui changera à jamais notre compréhension du monde, poursuivit-il.


Malgré leurs craintes, l’équipe maintenait les expériences, partagée entre fascination et inquiétude.


— Vous avez vu ça ? murmura Selina Rochard, les yeux rivés sur l’écran où les cellules modifiées semblaient se multiplier à une vitesse improbable.


Jeff, habituellement stoïque, recula toutefois d’un pas.


— Ça dépasse tout ce que je connais, je n’ai jamais vu ça. On est vraiment sûrs de vouloir continuer ?


Le silence qui suivit n’était interrompu que par le bourdonnement des machines. Chacun d’eux savait qu’il était trop tard pour reculer, mais personne n’osait l’avouer.


— Ce n’est plus de la science, lâcha enfin un des chercheurs, presque en chuchotant. C’est… autre chose.


Selina esquissa un sourire nerveux et proposa :


— De la magie ?


Un rire bref et tendu s’échappa dans le laboratoire, mais il mourut rapidement dans l’atmosphère lourde du lieu. Ce qui avait commencé comme une exploration scientifique méthodique s’était transformé en une obsession partagée. Les découvertes s’enchaînaient, excitantes et dangereuses à parts égales, et chacun d’eux ressentait ce mélange d’euphorie et de terreur.


Les murs de la salle d’expérimentation de Kennywood semblaient s’épaissir, comme s’ils enfermaient non seulement les chercheurs, mais aussi les énergies incontrôlées libérées par leurs manipulations. Selina posa une main sur le mur, un geste instinctif.


— Parfois, j’ai l’impression qu’ils... qu’ils nous observent, murmura-t-elle.


Jeff Davis haussa les épaules avec raideur, mais ses yeux trahissaient son malaise.


— Ce n’est qu’un bâtiment, Selina. Rien de plus, dit-il sans vraiment être convaincu lui-même de ses propres paroles.


Mais personne n’y croyait.


Kennywood, désormais libéré de toute entrave morale, poursuivait sa quête insatiable. Pour lui, le voyage vers l’inconnu ne faisait que commencer, et il était prêt à tout sacrifier, y compris des vies humaines pour percer les mystères des manuscrits et prendre le contrôle des forces invisibles qui régissaient la réalité. Ce n'était plus une question de science, mais de pouvoir absolu.

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