Chapitre 17 : Les Arcanes de l'Abîme

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Alors que les expériences se multipliaient et que les volontaires succombaient les uns après les autres, quelque chose d’inattendu se produisit. L’un des sujets, après une manipulation particulièrement intense, se releva, non plus comme un être humain, mais comme un canal direct vers une force qu’ils ne comprenaient pas encore. Ses yeux, autrefois humains, reflétaient désormais un vide abyssal, un trou béant vers une réalité où les règles du monde physique ne s’appliquaient plus.


L’équipe de Kennywood, Jeff et Selina, avaient ouvert une porte qu’ils ne pourraient plus refermer. La réalité commençait à se plier, non plus à leur volonté, mais à celle des forces anciennes, et désormais, ils n’étaient plus les maîtres du jeu. Le laboratoire académique, autrefois sanctuaire de la science, était devenu une prison de l'inconnu, et la trame de la réalité elle-même commençait à se défaire.


Leur quête de domination avait pris une tournure bien plus périlleuse qu’ils ne l’avaient imaginée, et désormais, la question n’était plus de savoir jusqu’où ils pourraient aller, mais s’ils pourraient encore revenir.


Mais parmi eux, un homme qui les avait pourtant déjà prévenus par de nombreuse mise en garde, voyait au-delà des ambitions scientifiques et des promesses de pouvoir. Le Père Santiago, bien que discret et en retrait la plupart du temps, n'était pas dupe de la folie qui gagnait Kennywood et ses collaborateurs. Sa longue expérience avec les textes sacrés et l’archéologie l’avait confronté à des récits d’occultisme et de magie noire, voire même dans les exorcismes qu’il avait déjà pratiqués. Il reconnaissait dans les symboles et les diagrammes qu'ils tentaient d’intégrer à la science moderne des signes alarmants, des avertissements que l’humanité ne devait jamais ignorer. Ces forces, qu’ils pensaient pouvoir contrôler, étaient d’une puissance ancienne et dévastatrice.


Un soir, Santiago, le visage grave et la voix teintée d'une profonde inquiétude, se tourna vers Kennywood et son équipe pour les mettre en garde, alors qu'ils débattaient de la prochaine étape de leurs expérimentations.


— Vous ne comprenez pas ce que vous faites, avertit-il d'une voix basse mais empreinte de certitude.


— Ces manuscrits, ces symboles, ne sont pas de simples outils à manipuler pour satisfaire votre curiosité scientifique. Ce que vous tentez de fusionner, la magie noire et la biologie, ne relève pas d’une simple expérimentation. Vous vous apprêtez à libérer des forces que vous ne pourrez jamais contrôler.


Kennywood, souriant de manière sarcastique, refusa de tenir comptes de ses propos les balayant d’un revers de la main, certain que le Père Santiago était trop pris par ses croyances religieuses pour comprendre l'ampleur de leur découverte. Mais le prêtre n’en démordit pas.


— Je vous en conjure, arrêtez avant qu'il ne soit trop tard. Ce n’est plus une question de science, c’est une question de vie ou de mort, pour vous, pour nous tous. Ces forces occultes que vous essayez de maîtriser n’obéissent à personne. Elles ont déjà dévoré des civilisations entières, ne les réveillez pas. Vous êtes en train de franchir un seuil dont vous ne pourrez pas revenir.


Son avertissement résonna dans l’air lourd du laboratoire, mais la folie de Kennywood et de ses complices était trop ancrée. Ils étaient aveuglés par l’attrait du pouvoir ultime, indifférents aux conséquences. Pour eux, le Père Santiago n'était qu'un obstacle de plus, une voix réprobatrice dans un monde où la morale n'avait plus sa place. Celui-ci, conscient du chemin périlleux qu'ils empruntaient, choisit de se retirer dans la discrétion, prétextant un appel divin pour quitter le navire avant que la tempête ne déferle.


Jonas, un homme d’une trentaine d’années à l’allure robuste, se tenait nu au centre de la salle du niveau moins deux. Le halo blafard des néons accrochés au plafond semblait accentuer la teinte grisâtre de sa peau, marbrée de veines noires qui pulsaient légèrement. Ramassé discrètement dans un village voisin, il était désormais l'objet d'une expérience qui dépassait l'entendement.


Kennywood observait avec une fascination malsaine, le regard fixé sur les modifications visibles : les yeux de Jonas, autrefois bruns et ternes, émettaient une lueur rougeâtre, scintillante comme des braises. Derrière lui, Selina tournait autour du sujet d’expérimentation, murmurant des incantations en une langue ancienne tout en consultant ses notes griffonnées à la hâte.


— Regarde ses veines, murmura Jeff, en reculant légèrement. Elles… elles bougent.


Kennywood haussa un sourcil.


— Bien sûr qu’elles bougent, c’est le flux de la fusion. Cela prouve que le sérum fonctionne.


— Fonctionne ? répliqua Jeff, la voix tremblante. On parle de ça comme d’un succès ? Regarde-le !


Il désigna Jonas dont le souffle était devenu saccadé, chaque inspiration provoquant un spasme grotesque.


— Silence ! coupa Selina sèchement, jetant un regard furieux à Jeff.


Elle s’approcha de Jonas, ignorant le sang qui commençait à perler autour des jointures de ses os.


— Il est prêt. La prochaine phase va sceller son potentiel.


Jonas ouvrit la bouche, mais aucun mot n’en sortit. Juste un gémissement guttural, animal, qui résonna dans la pièce. Selina s'agenouilla et traça un cercle complexe au sol, comme un pentacle, ses doigts tremblants d’un mélange d’excitation et de terreur.


— Tu es sûre de ce que tu fais, Selina ? demanda Jeff plus très sûr de lui, ses yeux rivés sur Jonas.


Elle releva la tête, un sourire étrange sur les lèvres.


— Nous ne sommes pas là pour être sûrs. Nous sommes là pour comprendre. Maintenant, récite avec moi.


Jeff hésita, mais Kennywood posa une main ferme sur son épaule.


— Fais ce qu’elle dit, ordonna-t-il


À contrecœur, Jeff marmonna les premières syllabes de l'incantation. L’air dans la pièce devint immédiatement plus lourd, presque poisseux. Une odeur de soufre et de chair brûlée envahit leurs narines.


C’est alors que Jonas se convulsa violemment, comme frappé par une décharge invisible. Ses cris, perçants, se mêlèrent aux échos des chants en une cacophonie insupportable. Son torse se gonfla de manière impossible, ses membres s'allongèrent dans des angles déments, et ses os, aiguisés comme des lames, perçaient sa peau en des éclats sanglants.


— Arrêtez tout ! hurla Jeff, reculant jusqu'à heurter un mur.


Mais Selina continua, sa voix plus forte, plus assurée, comme possèdée. Les ombres dans la salle se mirent à s'agiter, glissant et se tordant comme des serpents sous une lumière vacillante.


Un rire sourd, grave, sembla résonner depuis les tréfonds du corps de Jonas. Ses yeux rouges disparurent, remplacés par un noir abyssal. Il tourna lentement la tête vers Selina, puis vers Kennywood, un sourire cruel déchirant son visage mutilé.


— Vous… m’avez… appelé, grogna une voix qui n’était plus la sienne.


Les lumières clignotèrent, puis explosèrent, plongeant la pièce dans une obscurité totale, à l'exception de la lueur malsaine qui émanait de Jonas. Une force invisible projeta Selina au sol, et un rire démoniaque résonna à nouveau.


— Qu’avons-nous fait ? murmura Jeff, son visage baigné de sueur froide.


Kennywood, pourtant d’ordinaire stoïque, semblait lui aussi figé.


— Ce… n’est pas… ce qui était prévu.


Les ombres s’épaissirent encore, et une forme indistincte, plus grande que Jonas, sembla émerger derrière lui, ses contours mouvants et monstrueux.


Selina, toujours à terre, tendit une main tremblante vers son carnet de notes, mais une voix caverneuse s'éleva dans la salle :


— Il est trop tard pour cela. Vous êtes déjà à moi.


Un hurlement perçant sembla traverser les murs, résonnant dans chaque recoin du laboratoire. Jeff, figé, sentit son sang se glacer tandis qu’il cherchait l’origine du bruit. Selina, quant à elle, recula instinctivement, ses yeux rivés sur les écrans où les symboles vibrants devenaient de plus en plus chaotiques.


— Kennywood… qu’est-ce que c’était ? murmura-t-elle, sa voix à peine audible, brisée par la terreur.


L’homme ne répondit pas. Ses yeux fixaient le centre de la salle principale, là où Jonas avait été laissé après son « succès ». Mais Jonas n'était plus seul.


Une silhouette s’élevait derrière lui, indistincte, comme faite d’ombres en mouvement perpétuel. Elle n'avait pas de forme définie : tantôt humanoïde, tantôt animale, tantôt un amalgame de griffes et de crocs tordus. Et pourtant, elle dégageait une présence écrasante, une force qui semblait aspirer la lumière et l’air autour d’elle. Jonas, à genoux, ne bougeait plus. Son corps mutilé semblait offrir une révérence involontaire à l'entité qui s’épanouissait derrière lui.


— Non... ce n’est pas possible, balbutia Jeff.


Selina tenta de s'approcher, son instinct de chercheuse dominant brièvement sa peur. Elle ouvrit son carnet, espérant trouver une incantation, un sceau, un moyen d'interrompre ce qui se passait. Mais à chaque mot qu’elle essayait de lire, la voix de l'entité résonnait dans sa tête, brouillant ses pensées.


— Vous avez franchi la limite, grogna une voix caverneuse qui sembla surgir de toutes les directions à la fois.


Kennywood esquissa un sourire plus large, les bras légèrement écartés comme pour accueillir la créature.


— Nous n’avons pas franchi de limite, dit-il d'une voix calme, presque exaltée. Nous l'avons redéfinie. Et toi, tu es la preuve de notre triomphe.


La créature tourna lentement son « visage », un amas d’ombres indistinctes, vers Kennywood. Une chaleur suffocante s'éleva dans la pièce, suivie d'un grondement sourd qui fit trembler les fondations du laboratoire.


— Vous avez joué avec des forces qui ne vous appartiennent pas, tonna-t-elle. Et maintenant, vous en payerez le prix.


Avant que quiconque ne puisse réagir, une rafale invisible projeta Selina et Jeff contre les murs. La jeune femme poussa un cri étouffé alors que ses notes s’envolaient dans un tourbillon infernal. Jeff, la respiration coupée, tenta de se relever, mais une pression écrasante semblait le clouer au sol.


Kennywood, lui, restait debout, défiant l’entité de son regard flamboyant de détermination.


— Non. Nous ne paierons rien. C’est toi qui vas nous offrir tes secrets, ta puissance. Je t’ai amené ici, et je te contrôlerai.


La créature éclata d'un rire terrifiant, un mélange de hurlements humains et d'échos surnaturels. Puis, d’un geste presque imperceptible, elle tendit une « main » vers Kennywood. Une marque sombre, semblable à une cicatrice, apparut instantanément sur son front, et il s’effondra à genoux.


Selina cria son nom, mais sa voix se perdit dans le chaos. Les ombres s’étendaient désormais sur les murs, prenant des formes grotesques qui semblaient les observer. Des voix, des murmures, se mêlaient aux cris de la pièce, et une odeur de fer et de soufre envahissait leurs poumons.


Jeff, à bout de souffle, parvint à tourner la tête vers Selina.


— On doit... on doit arrêter ça… , dit-il d'une voix cassée.


Selina secoua la tête, ses yeux emplis de larmes.


— Je ne sais pas comment. C’est allé trop loin...


Un craquement sonore retentit. La créature, désormais pleinement matérialisée, semblait croître, sa forme obscurcissant les rares lumières encore fonctionnelles. Elle avança lentement vers Kennywood, qui luttait pour se relever.


— Tu pensais me contrôler ? siffla-t-elle. Pauvre mortel. Tu n’es qu’un éphémère face à l’éternité.


Kennywood, haletant, leva les yeux une dernière fois.


— Je ne… regrette rien.


La créature éclata d’un nouveau rire avant de plonger sur lui, l’enveloppant dans un tourbillon d’ombres. Ses hurlements résonnèrent dans toute la pièce, mêlés à un bruit humide et répugnant, avant de s'éteindre soudainement.


Le silence qui suivit était plus terrifiant que les cris. Jeff et Selina, immobiles, fixaient l’espace où Kennywood se tenait quelques instants plus tôt. Il n'y avait plus rien. Juste cette présence, toujours là, étouffante. Puis leurs regards tombèrent sur lui, à cinq mètres de là, recroquevillé au sol. Il respirait encore, mais à peine.


La créature tourna alors son attention vers eux.


— Vous pensiez être les maîtres. Vous n’êtes que des apprentis… dans un jeu qui vous dépasse.


Puis, dans un rugissement assourdissant, elle se dissipa, aspirant toute lumière, tout son.


Le laboratoire plongea dans une obscurité totale. Et dans cette noirceur, Jeff sentit une goutte froide glisser le long de sa joue : une larme, ou du sang.


— Selina ? murmura-t-il, mais seule une respiration rauque lui répondit.


Et soudain, un bruit derrière lui : un pas, suivi d’un souffle.

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