Partie 3 / Chapitre 19 : Le Piège Invisible
Face à toutes ces personnes dans la salle de conférence, Pauline, toujours dans le doute, se tenait droite et sur ses gardes au milieu de la pièce, mais son esprit vacillait. Elle ne comprenait pas ce qu’on attendait d’elle. Chaque mot, chaque geste autour d’elle lui paraissait suspect. Les visages fermés de Virgil Varek et de James Kennywood, leurs regards perçants qui semblaient fouiller dans son esprit, tout cela la mettait mal à l’aise. Et Jeff Davis… sa présence parmi eux était comme une dague plantée dans son ventre. Une sensation de trahison qui lui donnait la nausée. Elle avait envie de vomir.
Le piège se refermait, la jeune femme le sentait. Varek, avec son sourire narquois et ses yeux qui brillaient d’une lueur dangereuse, n’avait jamais caché son mépris pour elle. Son rôle dans ce groupe restait un mystère, mais il avait toujours une longueur d’avance, un plan en tête, des mots soigneusement choisis pour manipuler ceux qui croisaient sa route. Quant à Kennywood, il ne disait presque rien, mais son silence pesait. Il la scrutait comme un scientifique devant une anomalie à disséquer, comme s'il cherchait le moment exact où elle craquerait sous la pression.
Pauline sentit la sueur perler dans son dos, et une vague de panique la submergea. Elle tenta de se raccrocher à ses pensées, de rassembler les pièces entrelacées, mais plus elle essayait de comprendre, plus tout lui échappait. Pourquoi l’avaient-ils attirée ici ? Était-elle la simple pièce d’un jeu qui la dépassait, ou avait-elle un rôle plus important qu’elle ne l’imaginait ? Et Jeff… où se situait-il dans tout ça ? Pourquoi lui ?
Elle osa un coup d'œil dans sa direction. Il n’avait pas bougé, toujours immobile, les bras croisés, observant la scène avec un calme déroutant. Ce même homme qui, quelques jours plus tôt, semblait prêt à tout pour l’aider, se tenait désormais parmi ceux qui la menaçaient. Était-il là contre son gré ? Ou, pire encore, faisait-il partie de ce plan sinistre depuis le début ? Pauline ne pouvait plus distinguer le vrai du faux.
Une voix grave brisa le silence oppressant, celle de Varek :
— Tu te demandes sûrement pourquoi tu es ici, Pauline. Pourquoi nous avons tant insisté pour que tu nous rejoignes.
Son ton était mielleux, presque paternaliste, mais Pauline savait qu'il n'y avait rien de bienveillant dans ses paroles.
— Il est temps que tu comprennes ta place dans tout ça.
Elle déglutit, son estomac se nouant encore plus.
— Ma place ? murmura-t-elle, luttant pour garder son calme malgré la peur qui lui étreignait la gorge.
Varek s’avança lentement, chaque pas résonnant dans la pièce comme un avertissement.
— Tu crois vraiment que tout ceci est une coïncidence ? Que ton chemin a croisé le nôtre par hasard?
Il la fixa, son regard presque amusé par son incompréhension.
— Nous t’avons observée, Pauline, depuis bien plus longtemps que tu ne le penses. Et Jeff… Il se tourna vers lui avec un sourire en coin et…, continua-t-il, il n’est pas là par accident non plus.
Pauline sentit le sol se dérober sous ses pieds. Elle cherchait désespérément à comprendre. Si Jeff était impliqué, pourquoi ne lui avait-il jamais rien dit ? Sa respiration s’accéléra, et une colère sourde commença à bouillir en elle.
— Alors, tout ce temps… Jeff, tu jouais la comédie ? lança-t-elle, la gorge serrée d’émotion, mais teintée de défi.
Jeff, enfin, brisa son silence.
— Pauline… je…, commença-t-il à dire doucement, presque avec la voix teintée de regret.
Mais ses mots ne suffirent plus à la jeune femme. Elle attendait plus d’explications, une vérité à laquelle se raccrocher dans cette tempête de mensonges et de trahisons.
Varek intervint avant qu’il ne puisse continuer sa phrase.
— Ah, mais c’est là que tu te trompes Pauline. Jeff a toujours été sincère avec toi… mais peut-être pas de la manière que tu l’imagines, dit-il un éclat de cruauté dans la voix.
— Il t’a menée là où tu devais être, c’est tout. La question maintenant est : vas-tu enfin comprendre ce que nous attendons de toi, ou dois-je te l’expliquer en des termes plus… directs ? continua Varek d’une voix diabolique.
Pauline sentit le piège se refermer, et malgré la colère et la confusion qui se bousculaient en elle, une certitude commençait à prendre forme : elle n’était pas là par accident. Quelque chose, quelque part, l’avait menée précisément à ce moment. Mais elle n'était pas encore prête à abandonner. Pas sans savoir ce qu’ils voulaient vraiment d’elle – et surtout, pas sans comprendre le rôle de Jeff dans cette trahison.
Le silence s’épaissit dans la pièce tandis que le Professeur Kennywood s'avança lentement vers Pauline, ses yeux perçant l’obscurité qui l’entourait. Chaque pas résonnait comme une horloge macabre comptant les secondes avant une révélation inéluctable. Pauline sentit son cœur s'accélérer, son souffle se faire plus court, mais elle ne dévoila rien. Elle savait qu’étaler sa faiblesse face à cet individu lui serait fatal.
Kennywood s’arrêta juste devant elle, suffisamment proche pour qu’elle sente l'aura glaciale qui émanait de lui, mais pas assez pour la toucher. Il prit une longue inspiration avant de parler, comme s'il savourait chaque instant avant de délivrer son message.
— Pauline… tu as bien plus de valeur que tu ne le crois.
Sa voix restait calme, presque douce, mais Pauline y décelait quelque chose de plus sinistre, une menace déguisée sous un masque de sérénité.
— Je ne vous permets pas de me tutoyer, hurla-t-elle. Je ne vous connais pas.
— Ohhh, de la rébellion, parfait. Je disais donc…, continua-t-il sans prêté attention à sa doléance. Ce que j’attends de toi, c’est ta collaboration. Tu détiens des informations… des clés que nous ne pouvons obtenir seuls.
Pauline fronça les sourcils, luttant pour ne pas trahir son incompréhension.
— Des clés ? Je ne comprends pas…, murmura-t-elle.
Sa voix se fissura légèrement, mais elle se ressaisit immédiatement. Elle ne tenait pas lui laisser entrevoir le moindre doute.
Kennywood esquissa un sourire en coin, comme s'il attendait cette réponse.
— Oh, tu comprendras bien assez tôt. Tu vois, tes parents faisaient partie du projet Codex Obscura alors que tu étais encore une très jeune enfant. Leur rôle a été… disons… essentiel. Sans eux, nous n’en serions pas là aujourd’hui.
Son regard se fit plus intense, scrutant ses réactions, cherchant la fissure dans son armure.
Les mots se projetèrent contre Pauline comme une vague glaciale. Ses parents ? Elle sentit une nausée encore plus violente s'emparer d'elle. Jamais ils n'avaient parlé d’un quelconque projet de cette ampleur. Codex Obscura. Ce nom elle l’avait entendu par Varek quelques temps plus tôt, pourtant il ne lui était pas inconnu, c’était comme un souvenir, une ombre qui avait plané sur son enfance, sans qu’elle en comprenne la véritable nature.
— Mon père et ma mère… faisaient partie… de ce projet ? se força-t-elle à articuler chaque syllabe distinctement, luttant contre le flot d’émotions qui menaçait de la submerger.
— Bien sûr, répondit Kennywood, satisfait de l’impact de ses paroles. Ils en ont même été les pionniers, des chercheurs brillants, dévoués à une cause bien plus grande qu’eux. Leur savoir a permis de décrypter des fragments du Codex que personne d’autre n’avait pu comprendre.
Il marqua une pause, observant ses réactions avec un plaisir à peine dissimulé.
— Ils avaient une vision. Que dis-je une clairvoyance que nous poursuivons aujourd’hui. Mais leur travail… n’a jamais été achevé. C’est là que tu entres en jeu, lui affirma-t-il.
Le monde autour de Pauline vacilla violemment, comme si tout basculait dans un gouffre sans fond. Ses parents avaient toujours été des chercheurs scientifiques, elle en avait toujours eu conscience, mais ce que l'on attendait réellement d'elle, elle n'en avait aucune idée. Un projet de cette envergure, à cette époque… Elle n’en avait jamais entendu parler. Pourtant, à mesure qu’elle repassait les fragments de recherches qu’elle avait trouvés dans leurs documents, et en repensant à la clé USB que Jeff lui avait donnée, elle commençait à entrevoir quelque chose. Mais quoi exactement ? Elle n'était pas sûre. Il y avait quelque chose dans ces archives, quelque chose qui lui échappait encore. Et puis, il y avait la mort de ses parents... Un malheureux accident, lui avait-on dit. Mais maintenant qu’elle y repensait, était-ce vraiment un accident ? Tout semblait si bien calculé, si étrangement... si parfait.
Elle sentit le piège se refermer encore un peu plus autour d’elle.
— Qu’est-ce que vous attendez de moi exactement ? balbutia-elle d'une voix sèche et glaciale, bien que ses pensées soient en plein tumulte.
Kennywood reprit, son ton se durcissant légèrement :
— Pauline, en toi réside une part de leur travail, une connaissance qui t’a été transmise, mais que tu n’as apparement pas encore découverte. Elle repose au plus profond de ton être, héritée de leurs recherches. Pour y accéder, tu devras plonger dans tes souvenirs et remettre en question tout ce que tu pensais savoir de ton passé, expliqua Kennywood.
La jeune femme sentit le poids de ces mots s’abattre sur elle.
— Mon héritage ? dit-elle sans en comprendre le sens.
Il se pencha légèrement, ses yeux perçant les siens et continua :
— Ils t'ont préparée à cela. Ils savaient que tu serais la clé, un jour.
Pauline vacilla sous le choc de la révélation. Elle chercha des réponses, des souvenirs qui pourraient confirmer ou infirmer les propos de Kennywood, mais tout était flou. Elle se remémora des livres et des symboles mystérieux qu’elle avait aperçus lorsqu’elle se faufilait en cachette dans le bureau de ses parents, malgré l’interdiction stricte d’y entrer, des conversations à voix basse, leurs voyages dont elle ignorait l’objet précis. Et cet « accident » qui les avait emportés, toujours aussi trouble dans son esprit…
Une pensée la transperça. Elle redressa la tête, son regard désormais plus dur.
— Si mes parents étaient si essentiels à votre projet… pourquoi sont-ils morts si brutalement ?
La question flottait entre eux, lourde de sens, comme une accusation déguisée.
Kennywood soutint son regard, impassible.
— Leur mort a été… tragique, bien sûr. Un hasard malheureux.
Son ton était lisse, mais Pauline n’y croyait pas.
— Mais cela ne change rien à ce qu’ils ont accompli. Leur sacrifice, qu’il ait été intentionnel ou non, a permis d’ouvrir une voie. C’est à toi maintenant de la suivre.
Pauline serra les poings, elle prit cette phrase comme un aveu, luttant pour ne pas flancher sous le poids de ces révélations. Malgré tout elle se sentait piégée, liée à un passé qu’elle ne comprenait pas encore totalement, un passé que Kennywood utilisait pour la manipuler. Mais une chose était certaine : il ne lui avait pas tout dit malgré ce pseudo aveu. Ses parents étaient morts pour une raison et elle était déterminée à découvrir la vérité, même si cela signifiait se glisser encore plus profondément dans ce labyrinthe de mensonges.
Jeff, jusque-là resté en retrait, fit un pas en avant. Pauline le dévisagea, scrutant ses yeux comme pour y trouver une réponse, un soutien... mais n’y trouva qu’un silence troublant, peut-être empreint de regret. Hésitante, confuse, elle détourna le regard, puis, sans dire un mot ni chercher à obtenir la moindre autorisation, elle quitta soudain la salle, presque en fuite, pour se réfugier dans ses quartiers.
Varek tenta de la retenir.
— Laissez-la ! ordonna Kennywood en rajoutant séchement, la séance est levée.
Pauline claqua violemment la porte derrière elle, son souffle court et son esprit embrouillé par une tempête de pensées. Les couloirs qu’elle traversait semblaient se refermer sur elle, les ombres s’étirant comme pour l’engloutir. Chaque pas que la jeune femme semblait résonner, amplifié par le silence oppressant du bâtiment, comme si le lieu lui-même cherchait à la retenir.
Elle ne savait plus qui croire. Ce qu'elle avait vu dans les yeux de Jeff… était-ce vraiment du regret ? Une mise en garde silencieuse ? Ou, pire encore, une complicité inavouée avec Kennywood ? Pourquoi, à cet instant précis, ce nom — celui de ses parents, Léa et André — répercutait en elle comme un écho inquiétant ?
Lorsqu'elle atteignit enfin ses quartiers, Pauline referma précipitamment la porte derrière elle, y appuyant son dos comme pour empêcher une menace invisible de s’immiscer. Elle inspira profondément, mais la peur restait là, tapie. Ses mains tremblaient alors qu’elle fouillait nerveusement dans un tiroir, en quête de… quoi exactement ? Elle ne le savait pas. Une arme, un indice, une vérité. Quelque chose qui pourrait lui donner un semblant de contrôle.
Au moment où ses doigts rencontrèrent le vieux carnet de son père, un souvenir refit surface : une nuit où elle avait surpris ses parents chuchoter à voix basse, leurs visages tendus, presque déformés par une peur qu’ils tentaient de cacher. « Tu crois qu’ils ont compris ? » avait murmuré sa mère, la voix effrayée. À l’époque, Pauline avait pensé qu’ils parlaient de collègues de travail. Mais maintenant…
Un bruit sourd, presque imperceptible, la tira de ses pensées. Cela venait du couloir. Une respiration, ou peut-être des pas étouffés. Quelqu’un était là. Et ce quelqu’un attendait.
Le carnet tomba de ses mains.
Une présence, intangible mais oppressante, semblait l’entourer, se resserrant autour d’elle comme un étau silencieux. Elle retint son souffle, tendit l’oreille. Un craquement furtif dans l’ombre confirma ses craintes. Ses mains tremblantes cherchaient à tâtons quelque chose, n’importe quoi, pour se défendre. Une idée surgit, fugace mais insistante : et si ce n’était pas une menace, mais une chance ? Une vérité tapie dans l’obscurité, qui n’attendait que son courage pour se révéler.
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