Chapitre 20 : Angoisse au Centre Quanta
Après les révélations troublantes de Kennywood sur le rôle de ses parents et l'implication de Jeff, Pauline sentit que le piège se resserrait de plus en plus autour d’elle. Elle frappa la table d’un geste exaspéré, attirant les regards nerveux de ses collègues réunis autour d’elle.
— Nous devons arrêter ça maintenant ! Ces expériences deviennent incontrôlables. Vous avez vu les relevés de ce matin ? Les fluctuations... elles sont dangereuses, et si on continue…
— Pauline, écoute…, tenta de l’interrompre Martha, une de ses plus proches collaboratrices, la voix teintée d’une hésitation palpable.
— Non, toi écoute ! répliqua Pauline se redressant brusquement, les poings serrés. Si ces calculs sont exacts, nous courons à la catastrophe. Et ce ne sera pas juste une erreur scientifique. Ce sera un désastre humain.
Dans un coin de la pièce, Jeff croisa les bras, un sourire narquois flottant sur son visage.
— Toujours aussi dramatique, Pauline, lui dit Jeff. Kennywood sait ce qu’il fait. Tu devrais avoir un peu plus de foi en nos travaux, plutôt que de jouer ta Cassandre à chaque réunion.
— La foi, Jeff ? Ce n’est pas de foi dont nous avons besoin ici, mais de bon sens !
Elle s’avança vers lui, les yeux brûlant de colère.
— Et toi ? Toujours prêt à défendre Kennywood, même quand tout montre qu’il dépasse les limites ? Dis-moi, qu’est-ce qu’il t’a promis cette fois ? répliqua-t-elle la voix brisée de tristesse.
Un silence tendu s’installa, rompu seulement par le raclement de la chaise de Martha.
— Pauline, tu sais bien qu’on ne peut pas l’affronter de front. Ses alliés sont trop puissants. Si tu continues à t’opposer ouvertement, tu vas te mettre en danger, affirma-t-elle.
Pauline soupira et passa une main tremblante dans ses cheveux. Elle savait que Martha avait raison. Chaque tentative pour les raisonner se heurtait à un mur. Pourtant, comment pouvait-elle rester passive alors que tout ce qu’elle avait documenté criait au désastre ?
Kennywood, lui, devenait de plus en plus intraitable. Sous ses airs calmes se cachait une menace à peine dissimulée, une pression constante, quasi invisible, mais bien réelle. Pauline et son équipe se retrouvaient piégés, forcés de poursuivre des recherches qu'ils savaient, en leur for intérieur, être devenues terriblement dangereuses. Chaque avancée les rapprochait un peu plus d'un point de non-retour, et Pauline sentait la tension grandir, comme une tempête qui se préparait à éclater. Pourtant, malgré la peur grandissante, ils n’avaient d’autre choix que de continuer, conscients que s’opposer ouvertement à Kennywood pouvait entraîner des conséquences désastreuses.
Le Centre Quanta, dissimulé au cœur dense et inhospitalier de la forêt brésilienne, baignait désormais dans une tension presque palpable. Dans le laboratoire principal, l’équipe de scientifiques s’affairait autour de consoles et d’écrans illuminant faiblement la pièce, mais une lourde inquiétude pesait dans l’air.
— Tu as senti ça ? murmura Martha en frissonnant, ses yeux fixant la porte close derrière elle.
— Sentir quoi ? répondit Gregor, les sourcils froncés, sans lever le nez de son écran.
— Le froid. Là, juste maintenant. Elle frotta ses bras, comme pour chasser une sensation persistante. C’est impossible qu’il fasse aussi froid ici, pas avec les systèmes de contrôle.
Pauline, penchée sur des manuscrits anciens étalés sur une table, leva les yeux.
— Ce n’est pas juste le froid, dit-elle d’une voix tendue. Regarde !
Elle pointa un stylo qui roulait lentement, tout seul, en travers du bureau.
Un silence lourd s’abattit sur eux. Gregor recula légèrement sur son siège, les mains moites.
— Ce n’est rien. Peut-être une vibration de la table…
— Une vibration ? Dans une salle à isolation complète ? Pauline croisa les bras, son regard perçant transperçant son collègue. Allez, Gregor, tu sais aussi bien que moi que ce n’est pas normal.
Le professeur Kennywood entra alors dans la pièce, le visage illuminé d’un enthousiasme presque inquiétant.
— Pas normal, oui. Mais fascinant, n’est-ce pas ? lança-t-il en avançant jusqu’à l’écran principal, ses pas résonnant étrangement fort.
— Fascinant ?! s’exclama Pauline, ses doigts crispés sur le bord de la table. Professeur, les phénomènes s’intensifient chaque jour. Ce n’est plus une simple curiosité scientifique. C’est dangereux. Les murmures… ces ombres… il faut arrêter avant qu’il ne soit trop tard.
Kennywood éclata de rire, un rire qui fit frissonner toute la pièce.
— Trop tard ? Nous sommes au bord de la découverte du siècle, Pauline. Ces perturbations ne sont qu’un prélude, un écho des forces que nous allons enfin maîtriser. Vous ne comprenez donc pas ? Nous ne devons pas reculer, mais avancer plus vite !
Martha recula légèrement, les mains tremblantes.
— Mais… et si ce qu’on touche nous dépasse complètement ? Si ce n’est pas quelque chose qu’on peut contrôler ?
— Nous ne contrôlons rien pour l’instant, coupa Kennywood d’un ton sec. Mais c’est justement pour ça que nous sommes ici. Vous voulez rentrer chez vous, Martha ? Faire demi-tour au premier signe d’un mystère ?
Gregor baissa les yeux, mais Pauline serra les poings.
— Ce n’est pas de la lâcheté. C’est de la prudence. Et si vous continuez, vous risquez de détruire bien plus que ce laboratoire.
— Elle a raison James, coupa Selina qui suivait toute la scène discrètement du coin de la pièce. As-tu la mémoire courte ?
Une lumière vacilla au plafond, et tous levèrent les yeux. Un bruit sourd résonna dans les murs, tel un battement de cœur. Kennywood esquissa un sourire.
— Voilà. Écoutez ça. C’est la science qui nous appelle.
Au sein du Centre, l'atmosphère devenait de plus en plus lourde, oppressante. Les murs semblaient resserrer leur étreinte sur ceux qui y travaillaient. Des éclats de lumière fugaces, des bruits sépulcraux résonnant dans des salles vides, tout cela annonçait une menace croissante que seul Kennywood s'obstinait à ignorer. Son obsession le rendait sourd aux signes avant-coureurs d’un danger bien plus grand que ce qu’il pouvait imaginer.
Au fur et à mesure que les phénomènes inexplicables se multipliaient, la peur s’insinuait dans les esprits. Les regards se croisaient, silencieux, nerveux, mais aucun des membres de l’équipe n’osait encore formuler à haute voix ce qu’ils redoutaient tous. Quelque chose était en train de se déchaîner, et plus ils persistaient, plus cette chose se rapprochait… indomptable, implacable.
— Regardez ça ! s’exclama Martha, penchée sur l’un des manuscrits antiques étalés sur la table. Ses doigts suivaient fébrilement des lignes d’écriture complexe. Ces symboles... ils décrivent une manière de stabiliser l’énergie avant la convergence. On y est presque, je le sens !
— Presque ? rétorqua Selina, en se frottant nerveusement les mains. On joue avec des forces qu’on ne comprend pas. Je me souviens que trop bien de ce qui s’est passé la dernière fois que Kennywood a essayé ? On a failli y laisser notre peau.
— La science progresse par essais et erreurs, Selina, intervint sèchement Kennywood en entrant dans la pièce. Sa voix autoritaire fit taire les ragots. Il jeta un regard méprisant à Selina avant de poser ses yeux sur Martha. Continuez. Vous êtes sur la bonne voie.
Pauline, adossée à un mur dans l’ombre, croisa les bras et fixa Kennywood avec un mélange de colère et de méfiance.
— Et les « erreurs » que vous mentionnez, professeur Kennywood ? Vous allez aussi les enterrer comme vous l’avez fait en Afrique du Sud ?
Un silence glacial s’abattit sur la salle. Les scientifiques échangèrent des regards hésitants, mal à l’aise face à cette confrontation.
Kennywood esquissa un sourire froid envers Selina.
— Pauline, je vois que tu écoutes les médisances de Selina. Sache que ton obsession pour le passé te rend aveugle au potentiel de l’avenir. Oui, l’Afrique du Sud n’a pas donné les résultats escomptés, mais ce n’était qu’un premier pas. Chaque échec nous rapproche de la vérité. Jeff peut te le confirmer d’ailleurs.
— La vérité ? hurla Pauline avançant de quelques pas, le regard flamboyant fixé sur lui. La vérité, c’est que vous avez joué à l’apprenti sorcier et que vous avez libéré des forces que vous ne pouvez pas contrôler. Et maintenant, vous voulez recommencer ici, en croyant que cette fois, tout ira mieux. Mais vous vous trompez. Vous ne maîtrisez rien.
Martha baissa les yeux, mal à l’aise, tandis que Gregor hocha la tête avec approbation.
— Pauline n’a pas tort, professeur, osa-t-il dire. Ces énergies... elles ne réagissent pas comme la physique ou la chimie. Il y a quelque chose de... vivant dans ces forces. Peut-être que la clé, comme ces écrits le disent, n’est pas une méthode scientifique.
Kennywood explosa de rire, un rire sans joie, cynique.
— Vivant ? Vous avez tous été trop influencés par ces récits mystiques. La magie, mes chers collègues, ce n’est qu’une science qui attend d’être comprise. Si certains d’entre vous n’ont pas l’estomac pour avancer, libre à vous de quitter cette pièce. Mais ne m’entravez pas.
Pauline serra les poings à s’en blanchir les jointures de rage.
— Vous croyez tout savoir, mais cette clé que vous convoitez n’est pas ce que vous pensez. Et si vous ne faites pas attention, Kennywood, elle détruira tout ce que vous essayez de bâtir.
Il la regarda, intrigué.
— Alors, Pauline... dis-moi. Qu’est-ce que tu sais sur cette clé que moi, je ne sais pas ?
La jeune femme détourna le regard et quitta la pièce sans un mot.
*
Quelques heures plus tard, dans une autre partie du laboratoire, l’atmosphère était toute différente. L'excitation effervescente dominait l’air, comme un souffle court prêt à exploser. Martha, les yeux brillant d’une lueur triomphante, s’approchait de Kennywood, portant dans ses mains les derniers relevés de l’expérience. Elle s’arrêta devant lui, un sourire satisfait sur les lèvres, alors qu’elle dépliait les papiers comme une victoire inéluctable.
— Regardez ces courbes des sujets 3 et 6 ! Les niveaux d'énergie sont stables. Leur métabolisme s'adapte même aux modifications les plus complexes. C'est incroyable !
— Plus qu'incroyable, murmura Kennywood, un éclat fanatique dans les yeux. Nous sommes en train de redéfinir l'humanité.
Cependant, les premiers signes d’anomalies apparurent peu après. Une nuit, Gregor accourut, haletant, dans le laboratoire principal, ameutant tout le monde.
— Martha, Pauline, Jeff, Selina ! Venez vite... il y a un problème avec le sujet 7.
Tous le suivirent, angoissés, le cœur battant. Lorsqu’ils arrivèrent dans la salle d'observation, Pauline porta une main à sa bouche. Le sujet 7, un homme autrefois robuste et calme, convulsait sur le sol. Sa peau ondulait comme un liquide sous tension, ses membres s'allongeaient et rétrécissaient dans un ballet grotesque. Des formes translucides, indéfinies, semblaient émerger de son corps, se fondant dans les murs avant de réapparaître, vibrantes, autour de lui.
— Qu'est-ce que c’est ?! s'exclama Martha, reculant d’un pas.
Pauline, horrifiée, s'approcha de la vitre de sécurité.
— On dirait... comme si quelque chose essayait de sortir de lui.
Le sujet se mit soudain à parler, sa voix déformée, comme s'il parlait à travers un filtre liquide.
— Ils arrivent... je les vois... des ombres... des milliers d’ombres. Elles me regardent. Elles veulent... elles veulent...
Il hurla, d’un cri si inhumain qu’il fit trembler la pièce. La lumière des néons vacilla un instant avant de s’éteindre complètement.
Dans l’obscurité, Martha paniqua.
— On doit le sortir de là ! On ne peut pas le laisser...
— Non ! Surtout pas, coupa Kennywood, sa silhouette à peine visible dans la pénombre. Nous devons observer. C’est un moment clé !
— Observer ?! Pauline se tourna vers lui, furieuse. Vous êtes complètement fou ! Il est en train de mourir... ou pire !
Avant que quiconque ne puisse réagir, la lumière revint, mais vacillante, dans un stroboscope inquiétant. Le sujet 7 s'était figé. Ses yeux grands ouverts fixaient le plafond, des larmes de sang coulant sur ses joues. Sa bouche bougeait encore, formant des mots sans son. Puis, il explosa littéralement dans une vague de chair et d'ombres qui enveloppa la pièce derrière la vitre, comme si la réalité elle-même se déchirait.
— Qu'est-ce que c’était ?! hurla Gregor, terrifié, alors qu’un murmure sourd envahissait l'air, un chœur venu d’un autre monde.
Pauline recula lentement.
— Ce n’est pas seulement un échec... Kennywood, vous avez ouvert une porte.
Le professeur, impassible mais pâle, murmura presque pour lui-même :
— Une porte vers quoi ?
Le murmure grandit, un mot indéchiffrable, mais vibrant de puissance et de malveillance, résonnant dans chaque atome de la pièce. Tous les regards se tournèrent vers la vitre, où des silhouettes indistinctes semblaient maintenant les observer, tapies dans l'ombre, prêtes à franchir la frontière de leur monde.
La situation avait échappé à tout contrôle.
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