Chapitre 1
Dans l'immense et majestueuse forêt de Silah, vivaient Arwenne et sa mère adoptive Luna, la mésange bleue.
Le bel oiseau aimait la fée comme sa propre fille. Elle l'avait choyée, couvée et nourrie pendant dix ans. Malgré leurs différences, et l'absence d'autres êtres lui ressemblant, Luna n'avait eu de cesse de tout faire pour qu'Arwenne ne se sente pas mise à l'écart.
Mais cela ne suffisait plus à sa fille. Elle le sentait.
Aujourd'hui encore, la juvénile fée posait de nombreuses questions, frustrée par l'amnésie qui la frappait, cherchant à comprendre à tout prix ce qui l'avait menée à ce moment où elle fut trouvée, transie de froid, par Luna.
Le sublime oiseau se souvenait de ce jour comme si c'était hier et, le lui conta de nouveau pour apaiser son cœur.
Une nuit d'hiver, alors qu'elle volait avec agilité et grâce, virevoltant entre les arbres, dans le froid et la brise, son regard fut attiré par une étrange lueur ressemblant à s'y méprendre à celle, du clair de Lune. Lorsque la mésange se posa près de la mystérieuse lumière, elle fut un peu effrayée. Sur une feuille de chêne, en position fœtale, se trouvait une petite chose qu'elle n'avait jamais aperçue auparavant.
La minuscule créature ne possédait aucune plume, mais était pourtant pourvue d'ailes. Elle avait également deux pattes, mais aucun duvet ne protégeait sa peau rose bleuie par le givre. Elle ne pouvait l'identifier, ni savoir si elle représentait un quelconque danger. Son instinct lui hurlait de se sauver, de ne pas s'en approcher, à contrecœur, Luna lui tourna le dos. Cependant, les grelottements et les soupirs de la pauvre créature lui brisaient le cœur…
Immobile dans cette nuit glaciale, le froid commençait à tétaniser ses petites pattes. Elle se mit à trembler, et ébouriffa ses plumes pour tenter d'y trouver un peu de chaleur.
Non, Luna ne pouvait se résoudre à l'abandonner, s'en retourner à son nid, retrouver l'amour de ses petits, tout en sachant que non loin d'elle, se trouvait une petite chose inconnue, certes, mais qui méritait tout de même d'avoir une chance de s'en sortir, et d'être aimée. Non, la belle mésange était incapable de s'envoler, son cœur l'en empêchait.
— Ô Terre-Mère...dis-moi quoi faire...présente-t-elle un danger pour mes petits ? pria-t-elle à haute voix, en scrutant le ciel. Voilà la seule crainte qui est mienne...je jure en ton nom que jamais, jamais, je ne me pardonnerai s'il lui arrive quoi que ce soit, alors que tu me fais l'honneur de la mettre sur mon chemin, et je choisis cette nuit, que tu m'en sois témoin Ô Terre-Mère, de te faire confiance.
En sautillant sur ses pattes, Luna la toucha du bec, Mais la créature ne réagissait pas. Son corps était crispé par le froid. À cet instant, l'oiseau comprit avec tristesse que le bleu de sa peau ne devait pas être naturel. Elle s'approcha encore plus près, si près qu'elle pouvait désormais entendre son microscopique cœur qui battait si lentement. Luna pouvait également constater que l'être mystérieux était doté d'une beauté sans pareille, et dégageait un suave parfum de muguet. Ses minuscules ailes étaient collées à son dos, et semblaient prises par le givre. Sa peau était douce, mais glaciale, et une fine couche humide recouvrait son corps, comme un oisillon sortant de l'oeuf.
Ne réfléchissant plus, faisant fi de sa peur et de ses doutes, la mésange bleue, à cet instant, laissa naître l'amour qu'elle porterait alors toute sa vie à Arwenne.
Elle déploya ses ailes afin de la couvrir et de la blottir contre elle, priant Terre-Mère pour que l’être mystérieux survive au froid, mais aussi à ce triste abandon.
— Je t'aimerai, tu seras mon enfant... Prends ma chaleur et donne-moi tes peines. Laisse ton cœur suivre le rythme du mien, et laisse-toi donc porter par l'amour que je promets de te porter toute ma vie... lui susurra Luna .
Après quelques minutes, elle sentit le corps de la créature se détendre et son cœur reprendre un rythme normal. Revenant un peu à elle, la jolie chose se pelotonna contre ses plumes, s'ensuivit un long soupir de soulagement.
— Lorsque tu auras assez chaud et que tu te sentiras un peu mieux, ne prends pas peur quand je te soulèverai avec mes pattes pour te conduire jusqu’à mon nid. Fais-moi confiance. Je ne te ferai aucun mal. Plus personne ne t'en fera, je t’en fais la promesse. Tu y trouveras tout ce dont tu as besoin, des frères et des sœurs avec lesquels grandir aussi. Ils t'aimeront, j'en suis certaine.
Et cette nuit naquît une des plus belles histoires que pouvaient conter les créatures de Silah.
Les années ont passées et Arwenne avait grandi dans un foyer chaleureux et aimant. Jamais personne ne lui avait fait de remarques sur sa différence. Sa famille, et tout les animaux de la forêt l'avaient accepté comme une des leurs. La jolie fée était remplie de gratitude, mais elle n'avait pu s'empêcher de se comparer.
Elle avait parcouru la forêt à la recherche d'un être lui ressemblant, mais jamais elle n'en avait trouvé .
Peu à peu, elle s'était renfermée sur elle-même. Ses ailes étaient de moins en moins lumineuses, comme si elles trahissaient ce qu'elle ressentait.
Tant de fois elle demanda à sa mère de lui conter l'histoire de cette nuit, encore et encore comme aujourd'hui, espérant trouver un élément nouveau qui pourrait répondre à ses questions.
Une nuit, où la lune fut pleine, elle vola aussi loin que le pouvaient ses petites ailes pour s'approcher d'elle. Elle lui confia alors tout ce que son petit cœur contenait, se permettant même de dire qu'elle était malheureuse de ne pas savoir d'où elle venait, qui elle était, et qu'elle avait besoin de connaître les siens.
À sa grande surprise, elle vit, émerveillée, la lune lui sourire.
Depuis ce jour, une fois par mois, Arwenne, petite tâche perdue dans l'immensité des constellations, voltigeait dans le firmament aux couleurs d’une aurore boréale.
L'astre dépourvu de parole et la fée avaient créé leur code secret. Lorsque la lune était d’accord, elle brillait alors autant que le soleil ; ce qui perturbait les créatures de la forêt pensant que le jour se levait. Mais quand la réponse était négative, son amie faiblissait sa lumière au point que l’obscurité recouvrait la contrée.
Au cours d'un de leurs rendez-vous, Arwenne demanda à sa confidente :
— Que dois-je faire ? Même si je me sens moins seule grâce à toi maintenant j’ai toujours ce vide, ces questions, qui m'obsèdent et me poussent à me dire qu'il faut que je m'en aille. Qu’ il faut que je parte à la recherche de la vérité, mais pour cela je devrais quitter la contrée, aller plus loin que je n'ai jamais été. Oh ma chère amie, tu sais comme ma mère s’inquiète pour moi... Comment pourrais-je lui infliger ça ? J'ai si peur de la blesser. Si peur qu'elle pense que l'amour qu'elle me porte n'est pas assez... elle ne m'a pas donné la vie et pourtant je la lui dois. Mais suis-je redevable au point de ne jamais être libre ? Je ne sais pas quoi faire. Que je reste ou parte, j'ai l'impression de la rendre malheureuse, et je le suis, moi aussi. Lune, penses-tu que je devrais partir ?
Et la lune brilla si fort que le soleil en fut jaloux.
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