Chapitre 9 - La corneille
Notre petite fée prit son envol et partit en direction de la forêt broussailleuse. Elle se disait que le sanglier saurait lui dire où se trouvait le loup. Comme lui disait souvent Luna : "Connais ton ennemi, mieux que ton ami", elle se dit alors que le sanglier, ennemi, du loup de par la chaîne alimentaire, saurait sûrement où il se trouvait pour s'en tenir éloigné.
Elle espérait qu'il fut courtois et gentil avec elle et qu'il ne fut pas avare de renseignements. Les sangliers sont souvent bourrus et un peu brutaux dans leurs façons d'être, mais dans le fond ils ne faisaient que se protéger.
Les animaux non pourvus d'ailes étaient si vulnérables... Cela faisait souvent de la peine à Arwenne, petite fée au cœur doux. Elle aimait tous les animaux de la forêt, et voulait tant qu'ils vivent tous en harmonie.
Quelque chose clochait dans ce monde, mais elle avait l'impression qu'elle seule le voyait. Ou qu'elle n'y était, peut-être pas à sa place.
Elle suivit donc les traces encore visibles du sanglier, et slalomait entre les bouleaux, hêtres, saules blancs, et sapins à toute vitesse. Quand elle focalisait son attention, elle parvenait, tel un aigle, à détecter la moindre trace au sol sans la perdre de vue.
Les traces débouchèrent sur un gigantesque buisson de mûrier, entouré d'innombrables orties. Malin ! pensa-t-elle, en souriant.
Elle monta plus haut pour le surplomber et trouva en son centre, le sanglier se reposant. Il avait aplani le buisson en son milieu pour s'y faire une bauge, tel un château fort. Elle se rapprocha alors de lui lentement, prenant garde de rester à une distance de sécurité, au cas où.
Elle se tenait là, à deux mètres à peine de lui. Elle savait qu'il s’agissait bien d'un mâle, lorsqu’elle aperçut ses défenses, ce qui la rassura. En entendant son ronflement sonore, elle comprit qu'il dormait bel et bien. Arwenne, n'avait pas le cœur, ni la folie de chercher à le réveiller, et préféra parti en quête de nourriture, son ventre gargouillant.
Même si elle disposait toujours de sa baie, elle avait grande envie d'une pomme, tout à coup. Elle profita au passage d’une flaque de rosée dans une feuille de mûrier pour remplir de nouveau sa gourde. Chose faite, elle s’élança dans le ciel, à la vitesse d’un colibri, en quête d’un pommier pour satisfaire son envie.
Elle virevolta très haut dans le ciel, se stoppa et scruta l’horizon. Il ne lui fallut que peu de temps pour apercevoir à moins d’un kilomètre, un magnifique pommier. Elle s'y rendit avec une extrême vitesse alimentée par sa gourmandise, dépassant tourterelles et moineaux, qui lui lançaient des regards désapprobateurs pour son imprudence.
L'idée d'une pomme la faisait déjà saliver avant même qu'elle n'en ait une devant les yeux. Plus elle s’en approchait et plus elle constatait que le pommier était immense !
Elle dansait et chantait en plein vol, heureuse de cette journée.
La petite fée s'arrêta de nouveau et ouvrit grand les bras pour s’accaparer autant de lumière solaire qu’il lui était possible. Elle sentit sa peau mais aussi son cœur se réchaufferet un frisson de plaisir la parcourut.
Au pied du grand pommier, elle la vit et ses yeux s’agrandirent. Une immense pomme d'un rouge éclatant.
Elle tourna autour tout excitée, tapant dans ses mains et l'examina sous toutes ses coutures pour comprendre qu'elle serait la meilleure façon de la dévorer. Après quelques minutes de réflexion, notre petite fée gourmande prit le fruit par sa tige, non sans difficulté, et la souleva le plus haut possible.
Lorsque la pomme toucha le sol, elle se brisa en plusieurs morceaux. Arwenne se reposa, fière d’elle, au milieu des débris de pomme et choisit, par gourmandise, de commencer par le plus gros des morceaux à sa portée.
Le jus qui s'en écoulait, explosa ses papilles de mille feux.
— C'est trop bon ! Terre-Mère vous êtes parfaite ! s’écria la fée lorsqu'elle sortit son visage collant de la pomme pour reprendre son souffle.
— Vous vous régalez à ce que je vois ? lui lança subitement une voix derrière elle.
Notre petite fée fit volte-face, et se retrouva face à une grande et magnifique corneille.
— Désolée, dit-elle, sans vraiment réfléchir.
— Pourquoi donc ? répondit la corneille toujours de sa voix sépulcrale.
— Je ne sais pas, j'ai dit ça comme ça, en vérité, rétorqua Arwenne, tout en se s'essuyant le visage à l’aide d’une brindille d'herbe.
— Vous dites souvent des choses sans réfléchir ?
— Tu m'as surprise...
— Je sais, vous étiez très concentrée à ce que j'ai pu voir, pouffa la corneille, avec un sourire hautain.
— Cette pomme est succulente ! Je n'en ai jamais mangé de telle !
— C'est normal ma chère...Vous venez de manger la pomme d'un arbre sacré !
Le souvenir des paroles de Luna refit de nouveau surface : "Trouve l'arbre sacré"
Sans le vouloir, sans même le chercher, elle venait de trouver un de ses objectifs de quête.. Si elle n'avait pas choisi de suivre le sanglier plutôt que le raton laveur, cela ne serait peut-être pas arrivé. Cette pensée la fit alors sourire. Elle ferma les yeux et inspira profondément. Heureuse. Remplie de gratitude.
— Partagez-moi ce qui vous rend si heureuse, ma chère...?
— Je m'appelle Arwenne, madame la Corneille. Et toi ?
— Je m'appelle Belus, ma chère Arwenne. J'ai vu comme vous avez brisé la pomme en la jetant, êtes-vous des nôtres ? Moi-même et mes semblables utilisons cette méthode. A quelle race appartenez-vous ?
— Vous êtes si gracieuse, si belle...lança Arwenne ignorant sa question, distraite par la beauté de la corneille.
Admirative des reflets pourpres et bleutés de sa robe de plumes brillante. Ses grandes pattes noires et écailleuses paraissaient si robustes, ses griffes étaient acérées, pourtant Arwenne n’éprouvait aucune peur. Son bec noir à la pointe un peu incurvée, était adouci par de petites plumes remuant dans la brise légère, ce qui lui donnait une allure de guerrière d’un autre temps.
Quoi que l’on puisse dire, Belus imposait le respect dès le premier regard, sans même pouvoir l’expliquer.
Elle avait bien sûr déjà rencontré beaucoup de corneilles dans la forêt. Mais ici, tout paraissait différent.
La pomme... Belus...le pommier...Tout était si puissant...hypnotisant.
— Merci, petit être, fit Belus, posant un regard perçant sur Arwenne, courbant l’échine pour placer ses yeux dans ceux de notre petite fée, toujours sur l'expectative. Tu n'as pas répondu à ma question...Mais plus je te regarde et plus j'en déduis, que non, tu n'es pas un oiseau... Qu'es-tu ?
De nouveau, Arwenne parla sans s'en rendre compte et lui livra son histoire, n'oubliant aucun détail. Belus écoutait sans l'interrompre.
— Un grand loup gris, tu dis ? interrogea la corneille en se penchant encore plus près, tout en oscillant un peu sa tête de droite à gauche.
— Oui, c'est ce que Luna m'a dit... mais apparemment, j'ai déjà trouvé l'arbre sacré.
— Apparemment,oui...
— Mais pour quoi faire ? Que suis-je censée faire désormais que je suis face à l'arbre ?
— Je ne sais pas...attendre ?
— Attendre ? répéta Arwenne machinalement. Attendre quoi ?
— Rien, dit simplement Belus, se redressant.
— Mais comment attendre "Rien", enfin ce n'est pas possible, Belus !
— Bien sûr que si. Ne fais-tu pas confiance à la Terre-Mére ? N'est-ce pas elle qui t'a conduite jusqu'ici sans même que tu ne t'en rende compte ?
Arwenne notre petite fée perspicace comprit enfin.
— C'est vrai ! Je connais désormais son emplacement, je reviendrai ici quand le moment m'y mènera de nouveau ! Ou alors peut-être...Commença-t-elle dubitative.
— Oui ?
— Peut-être que c’est toi que je devais trouver !
La corneille se mit à rire, d'un rire éclatant qui résonna dans la forêt et fit taire le chant des autres oiseaux. Le rire se répecuta d’arbres en arbres.
— Ou alors...pour avoir la chance de goûter à la pomme ! s’esclaffa Belus. Tout est relatif, ma chère Arwenne.
— Oui ! Un cadeau de notre Terre-Mére...Tout ce qui se passe depuis mon départ, il y a seulement deux jours... Ces rencontres, que je n'aurais su espérer et imaginer...
— Alors petit être, que vas-tu faire désormais ?
— Je vais retourner voir le sanglier comme prévu pour lui demander des renseignements sur le grand loup. Il n'est pas loin, je l'ai entendu hier soir, hurlant à la lune. Elle sourit tu sais, quand il l'appelle, elle aime ça d'ailleurs...ajouta timidement la fée.
— Parles-tu à la lune Arwenne ?
— Oui, et toi ?
— Non, je ne connais personne qui parle à la lune, scintillant petit être...Enfin à part toi désormais. C'est une magnifique différence entre toi et les autres ça.
- MAIS OUI ! s’écria Arwenne exaltée par cette révélation. Si moi-seule peut le faire, peut-être est-ce une particularité de mon espèce, alors !
- Effectivement, c'est possible oui, petit être brillant, lui répondit doucement Belus.
- Mais... tu viens de me dire que tu ne connais personne qui pouvait faire cela...Tu as dû parcourir le monde de tes grandes ailes alors...
- Il es vrai,répondit Belus se redressant fièrement en comprenant où voulait en venir Arwenne. J'ai parcouru tant de contrées, tu ne peux même pas imaginer... J'ai tant voyagé que j'en suis presque lasse désormais, je dois te l'avouer. J'attends mon dernier voyage, ici près de l'arbre sacré, me délectant de ses magnifique fruits, égoïstement...puis-je te demander un service, petit être au cœur compatissant ?
- Bien sûr ! ce que tu veux, Belus.
- Ce soir, parle de moi à la lune, dit lui que j'aimerai enfin la retrouver
Arwenne tendit la main en direction de Belus pour toucher son magnifique plumage. Celui-ci, comprenant son attention se baissa encore plus bas, lui offrant son crâne pour recevoir ses caresses.
Son plumage était si doux, et Arwenne ne résista pas à l’envie de poser sa joue sur le crâne de Belus.
- Je te le promet. Magnifique Belus le sage. Compte sur moi! Je lui parlerai désormais toujours de toi. ! Qu'elle accompagne ton dernier voyage de ses rayons !
- Merci Arwenne, magnifique petite fée lunaire... je te rendrai moi aussi service, un jour. Quand Terre-Mére me le demandera et fera que nos chemin se recroisent. Sois fière de toi toujours, petite fée Arwenne.
Elles se séparèrent lentement. Belus déploya ses ailes, prit appui sur ses pattes et s'envola.
Arwenne la regarda s'envoler, et la salua timidement de la main.
- Je n’ai qu’une parole, ne doute pas de moi ! entendit Arwenne au loin, reconnaissant la voix de Belus.
Elle sourit et chuchota, sourire aux lèvres.
- Au revoir, magnifique Belus...
La petite fée s’en retourna à la pomme, se baissa pour ramasser quelques morceaux qu’elle fourra dans son petit sac de feuilles et lorgna ensuite une des graines éparpillées au sol et prit la décision d’en emporter une également. Elle ne savait pourquoi cette idée lui vint, mais elle voulut ainsi respecter sa récente résolution de faire confiance à son intuition.
Alors qu’elle s’apprêtait à prendre elle aussi son envol, elle se figea tout à coup, l’œil vide, le visage figé et le cœur battant à tout rompre, les mots de Belus la percutant enfin.
- Petite fée lunaire ? Pourquoi m'as-t'elle appelée ainsi ? C’est quoi une fée ? dit- elle à haute voix, cherchant Belus des yeux.
Au même instant, comme une réponse, elle entendit de nouveau le rire de Belus ricocher entre tous les arbres de la forêt...
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