Chapitre 10 - Le sanglier

10 minutes de lecture

Notre douce et forte fée Arwenne était toujours sous le choc et perplexe alors qu'elle volait en direction du sanglier.

Tant de rencontres, tant de remises en question l'avaient remuée profondément.

"Une fée...je dois faire confiance à Terre-Mère ! Je dois vivre l'instant présent et faire confiance à mon intuition ! " se répéta-t-elle.

Elle fut de retour en peu de temps au bauge du sanglier qui ne faisait plus que somnoler, profitant du soleil sur sa grosse panse.

Étalé de tout son long sur le dos, les quatre pattes en l’air et les yeux clos, il paraissait si calme. Si serein.

Elle s’approchait un peu plus près de lui et, lorsqu'il entendit le battement de ses ailes, il ouvrit ses gros yeux. Quand il l'aperçut, il tenta de se redresser maladroitement, remuant ses pattes en tout sens.

Il se débattit ainsi pendant plusieurs minutes, qui parurent une éternité pour Arwenne, tant elle ne savait comment reagir.

— Hof ! Ne me pique pas ! Ou alors abreuve-toi de moi, mais pas entre les deux yeux ! lui dit-il, toujours sur le dos, s’avouant vaincu, en se tenant immobile. Vos piqûres me démangent et à cet endroit je ne peux pas me gratter ! Je suis prêt, vas-y...

La belle fée écarquilla ses yeux, déconcertée, et éclata de rire.

— Tu te moques de moi en plus ! s'emporta le sanglier en redressant sa nuque.

Arwenne se tut et s'approcha un peu plus de lui, des larmes de rire coulant sur ses joues.

— Je suis désolée, je ne me moque pas de toi, vénérable sanglier. Je te prie d'accepter mes excuses, lui dit-elle, portant une main sur son cœur.

— Tu n'es pas très polie ! Enfin, tu es un moustique, je ne m'attends pas à plus de courtoisie. Vous qui venez et nous torturez de vos piqures ! Oh oui, oui, je n’en peux plus de vous !

— Mais je ne suis pas un moustique ! C'est la première fois que l'on me prend pour un d'entre eux, c'est cela qui m'a fait rire, Maître sanglier, pas vous. Je vous l’assure.

A cette appellation, le sanglier se gonfla d’orgueil et se sentit un peu plus en confiance. Faisant basculer le haut de son corps pendant quelques secondes, il finit enfin par réussir à se redresser et s'assit sur son postérieur. Il fit tout cela en fixant intensément Arwenne, qui tentait, tant bien que mal, de ne pas rire. Ce n’était pas aisé pour elle de garder son sérieux, le spectacle qui se jouait sous ses yeux était des plus comiques.

— T..tu.. es... qu..oi a..lors ? reprit-il, essoufflé par tant d’efforts, une fois assis.

— Je ne sais pas qui je suis, et je viens te voir pour te demander des renseignements.

— Comment peux-tu ne pas savoir ? dit-il, perplexe.

— Telle est ma destinée, c'est ainsi...

Arwenne haussa les épaules, fatiguée de se répéter.

— Des renseignements sur quoi ? s’enquit-il.

— Sur le loup.

— Il n'y a pas de loup dans les environs, sinon je ne serais pas ici, petit moustique.

— Ne me mens pas, s'il te plaît. Je l'ai entendu hier soir hurler à la lune...Non loin d'ici d'ailleurs, lui lança Arwenne en fronçant son petit nez et ses sourcils, contrariée.

— Petit moustique, même si ma réponse ne te convient pas, elle est pourtant vraie. Désolée, je ne peux rien pour toi. A la place de chercher un loup imaginaire, trouve qui tu es. Tu as une drôle façon de penser, dis-donc !

— Je sais que je l'ai entendu hier ! s'emporta-t-elle, se posant enfin à terre, ce qui obligea le sanglier à baisser la tête pour la voir.

Elle tapa du pied et croisa ses bras en signe de mécontentement.

— Je sais quand même ce que je dis ! Non mais ! éructa Arwenne.

— Oh hé ! Pas besoin de s’énerver ! En plus, j'ai faim, je ne suis pas d'humeur à discuter, humpf, laisse-moi donc tranquille. Je suis maussade quand mon ventre grouille !

— Il y a un pommier non loin, vas-y donc, Monsieur le maussade.

— Un pommier, où ! hurla le sanglier, regardant partout autour de lui.

— Bah là-bas, à même pas deux kilomètres d'ici. J'y étais pendant que tu dormais.

— Ce n'est pas gentil de jouer avec mon appétit ! Il n'y a aucun pommier à des kilomètres à la ronde, je connais cette forêt comme ma poche !

— Mais bien sûr que si !

— Il n'y a ni loup ni pommier, et tu dis des mensonges ! s’énerva-t-il en fronçant les sourcils.

En proie à l’énervement elle aussi, elle retapa encore une fois du pied, et enleva son sac à dos pour fouiller dedans. Elle comptait bien lui prouver qu'il avait tort.

Elle sortit les morceaux de pomme, pas très gros certes, mais qui suffiraient à prouver ses dires. Sans crier gare, le sanglier se retourna sur lui-même, se mit sur ses quatre pattes, sauta sur les morceaux de pomme, et n'en fit qu'une bouchée.

— HOOO !!!! J'ADORE LES POOOOOMMMMMESSSS! OUI, OUI, OUIIII ! J'ADOREEEEE LES POOOOOOOOMMES, se mit-il à chanter, dansant sur ses quatre pattes.

Arwenne, étonnée mais très vite amusée par ce spectacle, se mit a danser et chanter avec lui, emportée dans sa ronde.

— IL ADDDDOOORRREE LES POMMMES ! OUI OUI OUI IL LES ADORE !

— HAHA, je t’apprécie au final, le moustique ! lui dit-il une fois calmé. Je t'offre même un peu de mon sang, si tu le souhaites.

— Je te le répète je ne suis pas un moustique et je ne bois pas de sang. Tu es borné, Maître sanglier !

— Je plaisante. Comment t'appelles-tu ? Tu le sais ça au moins ?

— Je m'appelle Arwenne.

— Qui t'a nommée ainsi ?

Notre petite fée fut abasourdie par cette question, qu'elle ne s’était elle-même jamais posé.

— Je me suis toujours appelée ainsi...enfin je crois.

— Je m'appelle Hofid, moi ! Hofid le sanglier, OUI OUI !

— Je suis enchantée Hofid, le sanglier têtu.

— Grâce à toi, je suis le sanglier repu ! HAHAHA, pouffa-t-il. Je te jure qu'il n'y a vraiment pas de loup ici...termina-t-il, sérieusement.

— Si tu le dis…. Je n'ai pas envie de me disputer avec toi. Même si tu ne me donnes pas les informations que je souhaite, j'ai tout de même passé un bon moment avec toi. Danser avec toi m'a fait énormément de bien...

— OUI ! Moi aussi, moustique, j'ai aimé danser avec toi ! Et tu v...

— Attends ! Lui fit alors brusquement Arwenne, entendant le hurlement du loup de nouveau. Tu entends ?

Le sanglier prêta l'oreille.

— Mais il n'y a rien, je n'entends rien, et je suis de nature prudente ! J’entendrais le moindre bruit suspect !

— Sauf quand tu ronfles ! lui lança-t-elle, sourire en coin.

— C'est pas pareil ! Le repos du guerrier tu connais ?

La jolie fée leva les yeux au ciel et se reconcentra sur les alentours.

Plus rien, elle n’entendait plus rien. Le hurlement avait été si fugace, mais elle ne pouvait pas en rester là.

— Attends ici, s'il te plaît, lui demanda-t-elle avant de prendre son envol le plus haut possible.

Ce qu'elle vit la laissa sans voix.

Figée, et bouche bée, elle constatait que le pommier avait disparu, à sa place se trouvait un grand chêne.

Elle clignait des yeux frénétiquement, tentant de rassembler ses idées et redescendit ensuite en douceur pour rejoindre Hofid, d'un air perplexe.

— Qu'y a-t-il ? pourquoi as-tu l'air pas contente ? demanda Hofid, en voyant l'air perplexe de la belle fée.

— Rien, rien, Hofid. C'est que parfois, j'ai l'impression de perdre la tête... dit-elle, dans un souffle.

— Ah ça ! Je l'avais remarqué tout de suite ! Mais comme tu es gentille et que tu avais de bons morceaux de pommes, ça ne me gêne pas plus que ça. D'ailleurs...dit-il, un sourire mielleux au lèvres. J'aimerais beaucoup que tu me ramènes des pommes de ton pommier secret, s'il te plaît. Je les vénère presque autant que je les aime, tu sais ! OUI OUI !

Elle lui sourit tendrement. Derrière sa carapace, il était adorable. Quoiqu’un peu enfantin, mais c’est ce qui faisait qu’elle ne pouvait rien lui refuser.

— Dis moi Hofid..commença timidement la fée.

— Oui ?

— Tu sais ce qu'est "une fée" ?

— Non, je ne connais pas cette espèce. C'est quoi ? ça vole, ça rampe, ça nage ?

— Je pense que ça vole, mais je ne sais pas ce que c'est..

— Tu es bien gentille, mais tu te poses trop de questions inutiles, répondit-il avec un clin d'oeil.

— Peut-être, oui, souffla Arwenne. Je suis maintenant lasse d'expliquer l'origine de cette quête.

— Ta quête n'est pas inutile, ce sont tes questions qui ne sont pas les bonnes. Je comprends que tu sois fatiguée si tu as passé tant d'années avec les mauvaises en boucles dans ta tête.

— Oui...réfléchit Arwenne.

— Tu veux bien me gratter le ventre ?

Surprise la petite fée scruta.

— S'il te plaît...

— Mais bien sûr, mon ami !

Elle lui gratta sa panse. Et le sanglier bourru devint le sanglier chatouilleux.

Après une dizaine de minutes, Arwenne se leva et lança à Hofid.

— J'ai un cadeau pour toi avant de m'en aller.

— Un cadeau ! J’AAAADORE LES CADEAUX !!! OUI ! OUI ! OUI ! J’ADORE LES CADEAUX ET LES POMMES ! scanda-t-il en chantonnant.

Il s’arrêta net voyant que Arwenne ne le suivait pas.

—Oui oui oui...fredonnait-t-il maintenant, terminant sa tirade d’une moue gênée, en plissant ses lèvres.

Arwenne sortit alors de son sac la graine qu'elle avait ramassée et la lui posa à ses pied. Hofid la regarda d’un air dubitatif, ne comprenant pas où voulait en venir notre fée.

— Fais pousser ton propre pommier pour ainsi ne jamais en manquer. Chéris-le autant que possible et sois patient avec sa jeune pousse, il ne t'en sera que reconnaissant.

— Mais quel bonne idée! Une idée du tonnerre ! s'écria-t-il, excité. Je vais me trouver un bon coin, oui oui, et le planter. Ce sera mon pommier à moi ! Le mien, et j’aurai pleins de pommes ! OUI OUI ! Je partagerai avec toi bien sûr, moustique !

— Hofid, ne t’inquiète pas pour moi, si je reviens ici, ce n'est pas pour voir les pommes, mais pour te voir toi, mon ami Maître sanglier.

Le sanglier s'approcha d'elle, collant sa truffe froide et visqueuse contre son visage. Le souffle qui sortait de ses nasaux lui coupa le sien et la secoua des pieds à la tête. Il inspira un grand coup, ce qui lui fit perdre l’équilibre et elle se rattrapa sur son museau, manquant de tomber en avant. Arwenne le regarda avant d'éclater de rire face à cette étrange marque d’affection.

— Merci Arwenne, merci beaucoup, je crois que je t'aime beaucoup, lui avoua-t-il, en se remettant assis.

— Oh moi aussi je t'aime, Hofid ! Tu es un être sacré, comme toutes les créatures de cette forêt.

—Même si tu es la seule à entendre le hurlement d'un loup imaginaire, et à cueillir des pommes réelles dans un pommier irréel. J’ai pas tout compris, d'ailleurs. Tu sais, j’énerve les autres sanglier à cause de ça, mais toi, tu as été gentille avec moi ! Ton cœur est si gros dans ton minuscule corps.

— Comment ça, Hofid ? Explique-moi.

Le sanglier baissa les yeux en expirant bruyamment pour montrer sa lassitude.

— Hof... J’ai pas envie de courir partout moi. J’aime rester allongé là, la panse face au soleil. J’aime pas la bagarre non plus, eux ils adorent ça. Je me sens seul, parfois, tu sais je me sens bien seul… Oui, oui. J’aime pas trop le bruit, non plus, et ils en font beaucoup. Alors je les énerve un peu. Moi j'aime Terre-Mère, la douceur, le calme et les…

— Pommes, termina Arwenne, un sourire triste aux lèvres.

Le petit cœur de notre fée se fendit, en cet instant elle aurait tant aimé détenir des millions de morceaux de pomme pour réconforter son nouvel ami. Même si ses mains étaient vides, son cœur lui était plein d’amour, alors elle courut vers lui, se logeant, bras grands ouverts, de nouveau contre sa panse.

— Ho, petit moustique tu es gentille et tu me chatouilles encore de tes petites pattes bizarres. Haha !

Arwenne releva la tête et porta des yeux malicieux sur Hofid. Il fronça les sourcils comprenant qu’elle avait une idée en tête.

Elle se mit alors à chatouiller ses flancs comme elle le pouvait, tant il était grand comparé à elle.

— HAHA ! HOHO !

— Alors comme ça, on est chatouilleux, Môssieur le sanglier ! ricana Arwenne.

— HAHAHAHA, TU ME CHATOUILLES, HAHAHA.

Arwenne s’arrêta et le regarda avec beaucoup d'affection.

— Tu n’es plus seul, je suis là moi ! Je reviendrai te voir souvent !

— C’est vrai ? lui demanda-t-il, les yeux brillants et pleins d’espoir.

— Oui, je te le promets, Hofid. Et si tu veux, tu pourras venir vivre près de Luna, Aurore et moi !

— Ce sont tes parents ? s’enquit-il.

— On peut dire ça, oui…

— J’aimerais bien les rencontrer alors !

Arwenne prit un air songeur et posa un doigt sur ses lèvres.

— J’ai même une meilleure idée !

— Je t’écoute !

— J’aimerais que tu ailles rejoindre Luna et Aurore, le temps de mon voyage…

— Mais elles ne me connaissent pas ! Et si elles ne m’aimaient pas ! lui dit-il un peu paniqué à cette idée.

— Elles t’aimeront, Hofid, elles t’aimeront, je n’en doute pas. Tu ne seras plus jamais seul !

— Alors, je veux bien y aller ! Je pars voir Luna et Aurore qui m’aimeront pour ce que je suis ! OUI OUI !

— Tu les embrasseras très fort de ma part et, dans peu de temps, je viendrai vous rejoindre. Et nous serons tous réunis, Hofid.

Arwenne passa alors la soirée et la nuit avec son nouvel ami, lui décrivant le chemin pour se rendre jusqu’à l’endroit qui était quelques jours plus tôt sa maison. Elle ne manqua pas de lui conseiller de surtout prendre son temps et de faire le maximum de rencontres pendant ce court voyage. Qu'en ayant foi en Terre-Mère qui, comme ce fût le cas pour elle, ne manquerait pas de lui faire croiser la route de créatures extraordinaires.

Annotations

Vous aimez lire Marie Lune ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0