Chapitre 11 - Le raton laveur

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Il était déjà tard quand Arwenne fût réveillée par un rayon de lumière qui s’était frayé un chemin entre les feuilles. Elle cligna des yeux et prit une grande inspiration. La nuit passée sur la panse de Hofid avait été bonne et sans rêves, cette fois-ci. La petite fée se redressa pour étirer ses muscles et déploya ses ailes tout en les faisant frémir, s’assurant ainsi que la rosée du matin ne les avait pas mouillées. Elle se laissa glisser le long du flanc de son ami et atterrit sur le sol, pour aller cueillir des mûres. La gourmande petite fée en mangea deux l’une après l’autre et partit ensuite à la recherche de rosée prisonnière des feuilles pour se désaltérer, mais aussi, pour se refaire une beauté.

Elle se retourna ensuite vers Hofid. Sous ses airs bourrus, elle avait ressenti en lui une immense solitude. Ils avaient donc ri et chanté ensemble, pendant presque toute la nuit.

Elle était heureuse qu’Hofid ait accepté sa proposition et se sentait soulagée qu'il puisse apporter de ses nouvelles à Luna.

Elle ne voulait pas le réveiller et lui cueillit dix mûres qu’elle posa devant lui pour qu’il les trouve à son réveil. Après un léger baiser sur son museau, Arwenne prit son envol pour enquêter sur le mystérieux pommier fantôme.

La petite fée n’eut pas besoin de voler très longtemps pour arriver où se trouvait encore hier l'arbre sacré. Elle était sûre et certaine de son emplacement et savait qu'elle ne pouvait pas se tromper. Sa mémoire et son sens de l’orientation étaient sans faille. Lorsqu'il s'agissait de faire une carte mentale des lieux, c'était comme si elle la dessinait dans sa tête. Aucun arbre, aucune feuille ne lui échappait. Il en avait toujours été ainsi. Luna avait elle aussi une bonne mémoire, mais lorsqu'il fallait s’éloigner plus loin du nid elle demandait toujours à Arwenne de l'accompagner. Sa mère savait qu'avec elle à ses côtés, jamais elles ne se perdraient.

Elle se posa précisément à l'endroit où elle avait fait tomber la pomme.

A la place du majestueux pommier se trouvait désormais un grand chêne.

Arwenne posa sa main au sol, à l'endroit exact où le fruit s’était brisé et se mit à fouiller les quelques touffes d'herbes qui parsemaient la terre. Après quelques secondes de recherche, elle sentit quelque chose de dur sous ses doigts. Elle agrippa sa découverte, le cœur battant. Une graine ! Elle avait raison ! C’était bien ici, mais cela n'expliquait pas pourquoi le pommier avait disparu. La petite fée se redressa alors de tout son long, scrutant minutieusement l’horizon.

— Belus ! hurla-t-elle dans le vent. Belus, tu es là ?

Elle n'eut aucune réponse. Tout était étrangement silencieux, comme si le temps s’était arrêté.

Alors que l’espoir s’amenuisait en elle, une bourrasque de vent lui frappa le visage et libéra ses cheveux de leur attache. Sa crinière argentée s'enroula autour de son visage. Elle se débattit avec pour ensuite se redresser en les projetant violemment, en arrière.

— Je vais vous couper ! s'écria-t-elle.

— Tu parles à ta fourrure ? fit une voix gutturale.

Arwenne se retourna, surprise.

Devant elle se tenait un raton laveur. Elle ne savait si c’était le même dont elle avait aperçu les traces hier matin.

Après cette brève réflexion, le regard auparavant hagard de la fée se changea en un regard rempli d'amour. Ses muscles se décontractèrent et son cœur devint comme tout chaud.

Avec son masque de voleur noir, ses petites patounes mignonnes, sa queue touffue aux anneaux noirs, et son petit ventre tout bedonnant sous son épaisse fourrure grise, une vague de tendresse s’empara d' Arwenne.

— Mais tu es trop mignon !

— Pardon?! beugla le raton laveur, les yeux écarquillés, choqué par tant de culot.

— T'es trop chou ! Je peux te faire un câlin ? lança la fée en s'approchant de lui.

Le raton laveur indigné recula, prit une mine renfrognée et dessina avec sa bouche un rictus de dégoût.

— NON MAIS DIS-DONC ! C'est quoi ces manières ? Nous ne nous connaissons même pas ! Et en plus...continua-t-il en se penchant vers elle, pour la voir de plus près. Comment de tes minuscules pattes peux-tu prétendre à me faire un câlin ? Je peux très bien te manger aussi tu sais ! Es-tu si naïve ? Je suis un féroce prédateur moi !

La petite fée le lorgnait, puis sourit.

— Je ne suis pas comestible ! Je sais que tu ne vois pas très bien et qu'avant de me manger tu as besoin de me malaxer ! Je suis bien trop rapide, jamais tu ne parviendras à m'attraper !

De nouveau vexé, le raton laveur s’emporta :

— PETITE CHOSE, TU N’ES PAS TRÈS POLIE ! C'est plutôt cela qui ne te rend pas comestible ! Tu dois avoir un goût amer, comme tes paroles ! Tsss !

Arwenne connaissait bien les animaux de la forêt et pouvait encore une fois se sortir de cette situation.

— Écoutez...faisons un compromis...D'abord comment vous appelez-vous ? lui demanda-elle en le vouvoyant, espérant ainsi rentrer dans les bonnes grâce de l'égo connu chez les ratons laveurs.

— Marius...lui lança-t-il, les bras croisés et les paupières closes pour montrer son mécontentement.

— Moi, je m'appelle Arwenne.

— Hummm... Et la suite c'est quoi ? Quel est ton compromis petite chose ? J'ai pas le temps moi.

— Alors je vais vous donner un gland, je sais que vous les aimez beaucoup.

Le raton-laveur posa enfin les yeux, avec mépris.

— Nous sommes sous un chêne...des glands, j'en ai autant que je veux… et comme tu le vois, je ne manque pas de baies non plus !

— C'est vrai... Mais celui que je veux vous a donné un goût sucré et peut vous abreuver en même temps !

— I-M-P-O-S-S-I-B-L-E ! Les glands ont le goût de noisettes et les noisettes le goût de glands, ça ne peut pas être autrement.

— Rien n'est impossible Marius, répondit Arwenne en lui tendant le gland qu’elle portait à la hanche.

Il tendit sa patte droite et la regarda, suspicieux. D'un geste vif qui déstabilisa la fée, le raton prit le gland, se tourna un peu sur le côté, et le malaxa rapidement en tous sens, tout en lançant par intermittence des regards de travers à Arwenne.

Celle-ci avait une folle envie de rire, mais elle parvint à se canaliser et à garder un visage neutre.

— Oui, c’est un gland, lança-t-il, tranchant, après son inspection.

La fée sourit et ses yeux devinrent malicieux.

— Goûtez !

— Non mais dis-donc, petite chose ! Comment me parles-tu ! Je le mangerai pas ! NAH !

Marius jeta le gland au sol, non loin de Arwenne, croisa ses bras, la regardant avec défi.

— D’ accord, ce n'est pas grave...lui répondit-elle alors avec dédain tout en haussant les épaules. Écoutez, ça en fera plus pour moi !

Elle lui tourna le dos et ramassa le gland.

— Vous savez quoi ? Au final, je suis contente que vous ne le mangiez pas. Je voulais être gentille, mais ils sont si rares, si délicieux, et le périple si dangereux pour en trouver, que vous la donner m’en aurait privée.

Elle fit mine de porter le gland à la bouche sous les yeux outrés de Marius.

Il secoua sa tête et lui arracha le gland des mains.

— Donne-moi ça ! Donner c'est donner, reprendre c'est voler ! vociféra-t-il, en jetant le gland dans sa gueule.

D'un puissant coup de molaires, il en brisa la coque et son regard changea aussitôt.

— Alors ? minauda-t-elle d’un ton mielleux en se balançant sur la pointe des pieds.

Le raton laveur attrapa Arwenne d’une de ses petites mais tout de même puissantes pattes, l’approcha de son museau, juste entre ses deux yeux. Sa myopie n’était vraiment pas une légende, elle était si près qu’il en louchait.

— Où les trouves-tu ?

— Tu vois donc que je ne mentais pas !

Elle ne comptait pas laisser paraître le moindre signe de peur. Elle leva le menton plus haut, tout en haussant ses sourcils.

— Bah dis-donc, petite chose ! Tu n’as pas peur ? constata Marius, étonné.

— Non, je n’ai pas peur de toi.

— Je vois ça et pourquoi ?

— Parce que j’aime tout les êtres que Terre-Mère a créés et je sais que tu n’es pas mauvais, lui répondit-elle, changeant son regard de défi en un regard rempli de tendresse.

— Arr...arrête d..de me regarder comme ça, vo...voyons ! balbutia-t-il sentant enfin son petit cœur s’attendrir. Pourquoi m’aimes-tu ? finit-il par lui lâcher d’un voix calme. J’ai pourtant tenté de te faire peur, de t’intimider, et tu restes là à me regarder comme personne ne m’a jamais regardé.

Arwenne posa une de ses mains sur la fourrure de Marius et le caressa tendrement.

— Mais que fais-tu là petite chose ! C’est agréable, lui dit-il avec des yeux pétillants. Continue !

— Ce sont ce que nous appelons, des caresses, Marius. Tu n’en a jamais reçu ?

— Non...souffla tristement le raton laveur.

— Mais tu es si beau ! Si doux !

— Tu le penses vraiment ? s’enquit-il, timidement.

— Mais oui ! Tu mérites que l’on t’aime et qu'on caresse ta douce fourrure !

Puis elle ajouta doucement en rapprochant son torse si près, qu’il touchait son museau.

— Je vais même te dire un secret…

Marius curieux, la fixa intensement tout en louchant toujours.

— Vous, les ratons laveurs êtes mes animaux préférés de la forêt ! Laisse-moi ajouter que parmi tous les ratons laveurs que j’ai rencontrés dans ma vie, tu es le plus beau, le plus fort et le plus admirable de tous !

Galvanisé par cette déclaration, Marius bomba le torse.

— Continue !

Arwenne, amusée, continua donc.

— Tu es le plus beau, le plus intelligent et le plus honorable des ratons-laveurs ! Tu es courageux, et gracieux et...

— Merci petite chose, le coupa-t-il. Merci Arwenne. Tu as nourri aujourd’hui mon ventre, mais aussi mon cœur. Je ne me rendais même pas compte, combien il était affamé. Mais tu sais...je suis surnommé le voleur à cause de ma fourrure sur mes yeux, et à cause de ça les autres espèces se méfient de moi. Je n’ai pas décidé d’être ainsi, j’ai été créé comme cela. À force d’être blessé, mon cœur s’est endurci, et ma confiance aux autres fut réduite. Mais toi...toi, petite chose, tu es différente, je le sens au fond de moi. Je te prie de m’excuser pour mon comportement.

Il reposa Arwenne avec précaution au sol et se mit assis face à elle, la surplombant de toute sa hauteur.

— Je t’aime bien ! marmonna-t-il si doucement que c’en était presque inaudible.

— Quoi ?

— Je t’aime bien, répéta-t-il en mâchant ses mots et en regardant dans la direction opposée de la belle fée.

— Je n’ai pas entendu…

Marius fit rouler ses yeux, et souffla bruyamment.

— Bon ! JE T’AIIIIMEEE BIIIIIIEN ! s’époumona-t-il.

Arwenne éclata de rire. Son rire était doux et cristallin.

— J’aime ton rire aussi, il est si beau...lui confia le raton laveur pourvu, malgré les apparences, d’un cœur doux.

— Tu aimes rire , Marius ?

— J’adore rire ! Mais pas que l’on rie de moi ! s’empressa-t-il d’ajouter.

— Moi aussi, Marius. Et ne t’inquiète pas, je ne rirai pas de toi, et je ne te jugerai pas pour ton apparence. Je me moque des rumeurs, tout ce qui m’intéresse, c’est de te connaître toi.

— Merci ! Dis-moi petite chose...avant que ton étrange fourrure sur ta tête ne te dérange, je t’ai vue trouver quelque chose au sol...c’était quoi ?

Elle posa alors ses yeux sur lui et le regarda d’un air grave.

À l’expression qu’avait pris le visage d’Arwenne, Marius comprit que le sujet était délicat, et il lui demanda de tout lui raconter du début à la fin, ce qu’elle fit, pour la énième fois depuis trois jours.

Il lui fallut presque une demi-heure pour conter son périple et le but de celui-ci à son nouvel ami, n’omettant aucun détail. Il l’écouta tout du long d’un air songeur, en prenant soin de ne pas l’interrompre.

— Donc, si je comprends bien, tu es à la recherche de ton identité, et tu veux savoir à quelle espèce tu appartiens ?

— Oui, c’est ça.

— Arwenne, gentille petite chose qui percute mon cœur avec son amour. Moi je ne connais pas ton espèce, mais je peux te dire que tu es celle qui a le plus de gentillesse au monde ! Et s'il existe vraiment une espèce entière d’êtres comme toi sur cette terre, alors mon cœur est rempli d’espoir ! s’exclama-t-il, d'un ton sincère. Tu as tout pour devenir une grande reine, ton coeur est si doux !

— Merci Marius, lui souffla-t-elle, touchée. Une reine ? pourquoi...

Le raton laveur la tira vers lui et l’étreignit tendrement, baissant enfin complètement sa garde, ce qui coupa court à la discussion. Il la serra doucement pour ne pas lui faire de mal, et abaissa son museau pour le coller sur la tête d’Arwenne.

Lorsqu’ils se séparèrent enfin, Marius lui sourit.

— Je ne peux pas te dire qui tu es, mais je peux te dire où est le pommier, lança-t-il fier de lui.

— Alors toi aussi tu l’as vu !

— Bien sûr ! Et je connais Belus aussi. Je t’avais entendu l’appeler… mais je ne peux pas parler de lui à n’importe qui ! Il me l’a expressément demandé, et je lui ai donné ma parole.

Arwenne ne tenait plus en place, et se mit à marcher dans toutes les directions, excitée.

— Dis-moi tout, s’il te plaît ! C’est une affaire urgente. Je suis persuadée que Terre-Mère m’a conduite à ce pommier et à Belus pour une raison, je dois le retrouver.

— Je ne peux malheureusement pas tout te raconter, lui répondit alors Marius. Mais je peux te dire que quand viendra le moment tu le retrouveras, si tel est ton destin bien sûr, je te le promets. Tu dois continuer à faire confiance à Terre-Mère.

- Mais je dois...

- La nuit porte conseil, ma jolie petite chose. Passe donc cette journée et la nuit avec moi. Fais-moi confiance, s’il te plaît.

- D’accord, je vais manger et dormir ici alors, accepta Arwenne, en proie à la curiosité.

- Tu es la bienvenue dans mon domaine, ma chère amie.

- Mais je veux que nous fassions quelque chose avant !

- Quoi donc ?

- Je veux que nous passions la journée à rire, Marius, comme tu n’as jamais ri auparavant !

- Oh, belle chose, j’en serai ravi ! s’empressa de répondre le raton laveur, enchanté par cette idée.

Marius et Arwenne passèrent la journée à rire et à se conter leurs histoires respectives.

Même si le raton laveur avait semblé nonchalant et condescendant, il était doté d’une immense empathie pour les autres et son cœur était aussi doux que son rire.

Au coucher du soleil, Marius lui permit de se pelotonner dans sa fourrure pour y passer la nuit bien au chaud, et Arwenne eut alors chaud au corps, mais aussi au cœur.

Cela faisait désormais deux nuit consécutives qu’elle dormait près de nouveaux amis, et elle repensait à ce que lui avait dit alors Prune… Ils ne se ressemblaient pas, et pourtant en chacun d’eux, elle avait l’impression de trouver ses semblables.

Elle se sentait si bien en la compagnie de Marius qu’elle s’endormit encore une fois, le cœur en paix, et plongea dans un sommeil profond, heureuse.

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