Chapitre 12 - Le loup et le lutin

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Arwenne fut brutalement réveillée par le sol tremblant sous son petit corps. Elle se releva, bras en avant et jambes arquées telle une Amazone, se mettant aux aguets, avec agilité. Elle tourna la tête en tous sens, effrayée. Le chêne avait disparu ! Le ciel étoilé s'ouvrait grand au-dessus d'elle.

Lorsque ses yeux se posèrent sur Marius, elle constata que celui-ci dormait toujours à poings fermés.

— Marius ! Réveille toi ! lui hurla-t-elle, en le secouant comme elle le pouvait de sa petite taille.

Mais la jolie fée se heurtait à un poids mort, et ses efforts étaient vains.

Le sol tremblait de plus en plus fort ; elle chancela et tomba sur son postérieur.

Arwenne tentait tant bien que mal de se relever, mais elle ne pouvait rester bien longtemps debout. Elle prit alors appui sur ses petits pieds, s’envola et se plaça au dessus de Marius pour pouvoir le protéger en cas de nécessité.

Ce gros balourd dormait toujours, insister serait peine perdue.

Subitement, dans un fracas assourdissant, le pommier sortit des entrailles de la terre, prenant la place du chêne.

Elle ne vit qu’une image floue, tant l’éruption de l’arbre fut rapide. Après un dernier choc titanesque, tout redevint calme, et elle entendit de nouveau le doux ronflement du raton laveur.

Choquée, le regard ahuri, bouche grande ouverte, Arwenne se laissa tomber sur la fourrure de son ami. Elle restait ainsi, ne parvenant pas à reprendre ses esprits.

La petite fée sortit de sa léthargie, quand du coin de l’œil, caché dans l’ombre aussi noir que la nuit d’un pommier, elle vit les yeux perçants et féroces d’un loup qui la lorgnaient.

Un craquement au sol se fit entendre, et ce fut pour elle le signal d’alarme qui la sorti de sa torpeur. Effrayée, mais fidèle à son ami, Arwenne se dressa de tout son long sur le flanc de Marius, ne voulant pas l'abandonner à un triste sort.

— C’est donc vrai que tu es téméraire, petite Arwenne ! dit une voix flûtée semblant provenir de la direction du loup.

Je n’aurai jamais pensé qu’un loup pouvait avoir cette voix, c’est un peu ridicule, pensa-t-elle.

— Ce n’est pas gentil de se moquer, dis-donc ! lui lança la voix.

Le cœur battant, Arwenne se figea. Comment pouvait-il entendre ce qu’elle pensait dans sa tête ?

Un rapide tour mental de son glossaire animalier lui confirma qu’aucun animal de sa connaissance n’était capable de cela. Elle n'avait aucune idée de ce qui se trouvait face à elle. Elle n’avait pas parlé, il avait lu dans ses pensées ! La peur laissa sa place à l’étonnement et Arwenne, même si toujours sur le qui vive, se détendit un peu.

— Bon, je ne vais pas te faire languir plus longtemps ! Attends-toi à voir la plus belle, la plus fascinante créature que la Terre-Mère ait créée ! Tu es prête ?

Maintenant amusée malgré sa méfiance, la petite fée croisa alors les bras l’un dessous l’autre pour garder la face, mais aussi pour montrer qu’elle obtempérait. La curiosité piquée à vif.

La gueule d'un gigantesque loup sortit de l'ombre lentement et la belle fée se recula par instinct, effrayée par sa grandeur et l’énergie puissante qu’il dégageait. Il était d’une beauté à couper le souffle et le vent qui parcourait sa robe lui donner une allure de guerrier solennel, tout comme cela avait été le cas pour Belus. La même admiration qu’elle avait ressenti pour la corneille s’imprégna en elle. Arwenne du se faire violence car, à sa vue, son minuscule cœur s’anima comme si elle rencontrait quelqu’un qu’elle était heureuse de voir sans savoir pourquoi. Ses sentiments était étrange, et elle ne pouvait pas se l’expliquer.

Les yeux jaune et vert de la sublime bête féroce étaient perçants et semblaient sonder l’âme d’Arwenne ce qui la bouleversait encore plus. Sa fourrure noire était fournie et des poils de garde gris encadraient sa gueule, tel un apparat de royauté. La crête que formait sa fourrure sur la partie supérieure de son cou était aussi d’un gris argenté, où se reflétait la lueur de la lune comme le faisaient les ailes de notre douce fée.

Jamais Arwenne n’avait rencontré semblable loup. Ceux de sa contrée étaient petits comparé à la bête qui se tenait devant elle, et leurs pelages étaient pour tous d’un blanc immaculé. De plus, ils étaient très solitaires et se montraient rarement dans la forêt, préférant les montagnes où ils s’adonnait à leurs complaintes, s’entendant à des lieux à la ronde, quand la nuit tombait.

Elle était subjuguée, émerveillée et n’arrivait pas à détacher ses yeux de lui.

Il leva sa babine, comme dans un sourire orgueilleux en constatant l’admiration de notre petite fée, et laissa apparaître d’immenses crocs d’un blanc immaculé.

Le loup s’avança d’un pas de ses larges pattes qui firent trembler le sol et se stoppa. La belle fée constata alors que de petites fleurs fluorescentes poussèrent comme dans le sillon de son passage pour ensuite disparaître en quelques secondes.

— Quelle beauté ! Vous êtes splendide ! Gloire à notre Terre-Mère, d’avoir créé un être tel que vous ! lâcha Arwenne dans un souffle.

Le loup poussa un grognement guttural, qui fit rater un battement de cœur à Arwenne, et leva le coin de ses deux babines.

— Vraiment… vous aviez raison, vous êtes une perfection et je…

— Quoi ? Qui ? Ce vieux loup de Murkt ? lui coupa la voix.

Arwenne fronça ses sourcils et détacha son regard de l'animal pour tenter de voir si quelqu’un se trouvait derrière celui-ci. La fée remarqua alors un pied chaussé d’un sabot de bois dépasser du flanc du loup. Presque invisible tant la fourrure était dense.

— Qui êtes-vous ? se hasarda-t-elle, d’une voix prudente.

— Je suis ton destin.

— Pardon ?

— Tu as bien entendu.

— Je suis navrée, je ne comprends pas où vous voulez en venir. Venez-vous en ami ou en ennemi ? trouva-t-elle le courage de demander. Sachez que vous aurez affaire à moi si vous comptez faire du mal à mon ami ! Et...et...

— Et quoi ? s'enquit la voix rieuse.

— Et... et... je suis venimeuse ! Très venimeuse ! Un venin mortel vous infectera si vous me touchez ! mentit Arwenne, d'un ton peu convaincant.

— Bon ! Trêve de plaisanterie, prépare ton cœur ma jolie ! pouffa l’être inconnu avant de sauter d’un bond agile du dos du loup.

Avec agilité il accompagna son atterrissage d’un salto.

— TADAAAA ! chanta-t-il. Je sais, je sais… ne dis rien, c’est beaucoup pour toi, tant de beauté ! Je te laisse le temps de m’admirer !

L’être mystérieux devait mesurer à peu près un mètre et donc, même si elle se trouvait encore sur le dos de Marius, elle devait lever les yeux pour voir son visage.

La créature était dodu et tenait sur deux jambes et ne possédait pas d’écailles ou de fourrure, ni même de plumes. La texture de sa peau était semblable à celle de la fée, mais la sienne avait la couleur de l’écorce d’un chêne lorsqu’il était sec. Son visage n’avait pas de bec ou de truffe et comportait un nez semblable au sien, en un peu plus retroussé.

A son menton pendait une barbe qui lui tombait sur le torse. Arwenne perdu dans sa contemplation se dit alors qu’elle avait l’air douce et duveteuse. En guise de chapeau était posé un champignon que la fée n'avait jamais vu. Il était multicolore et scintillait lorsque la créature mystérieuse bougeait la tête. De ce couvre-chef, sortaient de longs cheveux noirs, réunis entre eux, comme des dreadlocks qui lui arrivaient jusqu’aux genoux.

Des feuilles de fougères, des brindilles d’herbes et des branches de saules pleureurs l’habillaient, et de son œil expert, Arwenne reconnut que les végétaux tenaient tout comme les siens, par des fils de toile d’araignée.

Après cette analyse, elle fut partagée entre joie et doute.

Elle ne connaissait pas de créatures semblables, et n’avait aucune idée de l’espèce à laquelle il appartenait, mais avec espoir elle se dit qu’ils avaient quelques similitudes.

— C'est tout ce qui t'importe ? lui demanda-t-il subitement avec une moue triste.

— De...de quoi ? s’empressa t-elle de répondre, de nouveau étonnée par son don de lire dans ses pensées.

— Mon espèce. C’est tout ce qui t’intéresse ?

— Je… non ! Je suis désolée, je ...bafouilla-t-elle. Mais comment vous faites ça ?! Comment lisez-vous dans ma tête ?

— Tu es drôle et si mignonne ! pouffa-t-il encore une fois en souriant tendrement à Arwenne. Mais moi je suis un lutin, pas toi.

— Un lutin ?

— Ton esprit et ton âme vagabondent, petit cœur. Tu es comme une petite lumière qui bouge en tous sens. Mais je suis désolée, nous ne sommes pas de la même espèce.

Arwenne sentit son cœur se pincer.

— C’est pas grave, je suis heureuse de faire votre connaissance tout de même.

— Ta réputation est vraie, tu es adorable, et remplie d’amour. Moi aussi, j’en suis heureux. Il est temps pour toi d’accomplir ta quête finale.

— Ma quête finale ? répéta-t-elle machinalement, surprise.

— Je lis en toi que tu as d’innombrables questions à me poser, mais le temps d’y répondre ne manquera pas pendant le voyage.

— Le voyage ?

— Je comprends que tu sois perturbée, c’est normal, allons donc prendre un verre d’hydromel dans ma demeure, que je puisse tout t‘expliquer, et apaiser ton esprit.

Soudainement, Arwenne se rappela qu’elle était toujours sur Marius, et ses yeux se posèrent sur lui.

Elle n’avait même pas remarqué qu’elle se soulevait et s’abaissait au rythme de sa respiration.

— Marius dort, ne t’inquiète pas pour lui. Ton amour pour lui et ta compassion, m’ont fait venir jusqu’à toi. La joie que tu as procuré à Hofid aussi. Sans parler de tous les autres. Tu as fais tes preuves en ce qui concerne ton empathie, ton intelligence, ton courage et l’amour que tu peux porter aux autres. Tu remportes haut la main ta première épreuve.

— Vous étiez là depuis le début ?

Des millions de questions se bousculaient dans sa tête. Tant qu’elle commençait à lui tourner.

— Non, je n’étais pas présent, je ne vis pas véritablement dans ce monde, dans aucun d’ailleurs, mais dans l’Univers tout se sait, ma petite étoile, et les arbres, les plantes, même les cailloux parlent entre eux, tu sais.

— Il y a plusieurs mondes ? Je...je… quoi ?

Le lutin regarda les étoiles, souffla et rabaissa son regard sur elle et lui répondit :

— Toutes choses en son temps. Je répondrai à tes questions, je te l'ai dis, ne t’inquiète pas.

— Oui, mais, je..

— Alors cet hydromel ? la coupa-t-il en lui faisant un clin d’œil.

— J’en serai ravie, même si je ne sais pas ce que c’est. Mais où habitez-vous ?

La belle fée tentait de canaliser toutes ces émotions qui semblaient l’étouffer tant elle ne savait plus où elle en était.

— Juste ici, lui répondit le lutin en élançant sa main dans une révérence, en direction du pommier.

— Vous vivez dans les branches du pommier ? Demanda Arwenne, perplexe.

L’être magique explosa de rire.

— Viens avec moi, à partir de maintenant tu dois voir plus loin que ce que tu connais, où à déjà vu avant. Fais moi confiance. Au fait, je m’appelle Lîtillkri ! Et tutoie-moi, je suis pas si vieux, je n'ai que 487 ans ! Regarde moi, je suis dans la fleur de l’âge !

— Pardonnez-moi... euh… pardonne-moi. J’ai été grossière, j’aurai du te demander ton prénom bien avant.

— Ce n’est pas grave, c’est normal d’être sous le choc lorsque l’on rencontre la plus belle créature que Terre-Mère a créée !

Le loup, qui s’était mis en retrait jusqu’alors, mais qui se tenait non loin du lutin, souffla des naseaux dans les cheveux de Lîtillkri.

— Roh ! Les deux plus belles créatures, ça va comme ça ! rectifia-t-il en se recoiffant.

Murkt est bien la plus belle créature que j'ai pu voir dans ce monde, pensa Arwenne.

— Oui, bon, c’est vrai ! J’avoue ! Murkt n’est pas mal aussi ! lança le lutin. N’oublie pas que je lis dans tes pensées petit cœur.

Arwenne éclata de rire malgré son malaise.

— Je suis navrée, ne soit pas offensé, je te trouve superbe aussi.

— Mouais, enfin bref ! J'aime ton rire, ça change de monsieur là-bas qui est, entre toi et moi, aussi chaleureux qu’un caillou.

Murkt grogna cette fois-ci plus fort en signe de désapprobation. Le grondement se répercuta au travers de la fée et la fit frisonner.

Ce loup est extraordinaire, pensa-t-elle.

— Extraordinairement têtu surtout ! Attention, tu vas bientôt l’idolâtrer ! Déjà qu’il nous a choppé un melon plus gros qu’une citrouille ! s'offensa Lîtillkri.

Il tourna les talons d’un mouvement brusque et prit alors la direction du pommier.

Arwenne quant à elle ne bougeait pas. Elle n’y parvenait pas.

Le lutin était tellement loufoque et Murkt si beau que tout cela ne pouvait venir que de son imagination.

La belle fée ferma les yeux, inspira fortement, serra ses petits poings si fort que les jointures rougirent, et se concentra.

Réveille-toi ! Réveille-toi ! se répétait-t-elle en boucle dans sa tête.

Lorsqu’elle ouvrit de nouveau les yeux, le loup et Lîtillkri se trouvaient déjà devant une immense porte en bois qui venait d’apparaître sur le tronc du pommier où était sculptés des êtres tenant des pierres précieuses dans leurs mains qui lui ressemblaient en tout points.

Face à cela, la fée tomba, bouche bée, assise sur le ventre de Marius. Des larmes se mirent à couler le long de ses petites joues rebondies et se transformèrent en cristal sur le pelage de son ami. Arwenne ne pouvait les canaliser. Elles lui brûlaient le cœur depuis qu’elle avait rencontré le regard de Murkt.

La représentation des siens se trouvait devant elle. Elle avait tant rêvé de ce jour, et pourtant la fée ne pu s’empêcher de penser à ce qu’elle allait laisser derrière elle cette nuit.

Sa mère, ses amies, tout ces gens qu’elle aimait tant et qui ne cesseront de l’attendre, elle en était persuadée.

La douce et tendre fée se lova une dernière fois dans la fourrure de Marius, le câlina autant qu’elle le pouvait de ses petits bras et lui dis :

— Je reviendrai, mon ami, je te le promet ! Pardonne-moi. Par Terre-Mére, pardonne moi. J’ai promis de rester à tes côtes, mais je dois aujourd’hui m’en aller, et ce, sans même pouvoir te dire au revoir comme il se doit. Oh Marius, si seulement tu pouvais te réveiller ! Oh mon ami, je ne sais pas ce qui m’attend derrière cette porte, et si tu savais comme j’aimerais entendre ton rire encore une fois !

Le vent soufflait doucement et le chant des grillons accompagnait la triste complainte de la belle fée à l'âme si pure. Arwenne, submergée par l'amour et la peine, pleura toutes les émotions de son cœur. Lorsqu'elle releva la tête, les larmes cristallines couvraient le ventre dodu de son ami, le faisant briller de mille feux.

— Je choisis de te faire confiance Terre-Mére. Protège-les jusqu’à mon retour, je t’en supplie, dit-elle en scrutant le ciel.

Fée Arwenne se leva enfin, déploya ses ailes qui se mirent aussitôt à briller comme jamais auparavant et vola jusqu’à Murkt et Lîtillkri qui l’attendaient, silencieux.

Le lutin, solennel, lui dit tendrement :

— il est temps de rentrer à la maison, ma beauté. le chemin sera long, mais je te promets que tu pourras revenir un jour et revoir tout ce que tu aimes. Oui, moi, Lîtillkri, le lutin gardien de l'arbre sacré, je te le promets !

Pour toute réponse, Arwenne hocha la tête et inspira profondément.

Lîtillkri sortit de sa poche une longue baguette de bois ornée elle aussi de pierres précieuses toutes aussi belles les unes que les autres, la leva ensuite en l’air et tapota stratégiquement à diverses endroits l’immense porte en bois, et dit d’une voix maintenant gutturale.

Alfadhirhaiti !

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