Chapitre 7

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Les quartiers entre les quais et l’avenue principale étaient vides pour la plupart. Autrefois, la capitale grouillait de gens venus de tout le continent. La ville avait certes continué son expansion, mais ces excroissances anarchiques masquaient la réalité du passé démographique des Empires. Le manque des naissances, les morts des guerres de conquête et de la Bataille du Désert douze ans plus tôt avaient saigné les forces vives du peuple. La lumière ne brillait plus sur les couleurs des petites maisons des marins, dont les murs, maintenant écaillés, fixaient la ruelle de leurs peintures grisée par l’abandon.

Britess ne s’attarda pas, mal à l’aise parmi les âmes qui ne naîtraient jamais.

La foule et le bruit de la principale artère de Tola la firent chanceler. Elle fut obligée de s’appuyer contre un angle, le temps de reprendre ses esprits. Les travailleurs se dirigeaient vers le palais impérial, les zones administratives et les magnifiques demeures des riches et des puissants, sur l'autre rive. Elle suivit le mouvement. Le Vieux Pont enjambait Arone en prenant appui sur deux îles rocheuses. Des échoppes s’élevaient des deux côtés de la voie, cachant les péniches qui remontaient le courant sur la rive gauche, tirées par de lourds chevaux de trait. On y vendait de tout, surtout de la nourriture. Deux patrouilles du guet se croisèrent au centre. Les soldats, hommes comme femmes, avaient l’air fatigués, sur les nerfs. Un Maître Courrier faillit les bousculer, se pressant vers le palais. Les chevaux étaient interdits dans la ville. Lilia lui avait raconté que le Premier empereur, alors simple général, était revenu d’une campagne victorieuse avec son armée et avait pu s'emparer des lieux grâce à sa cavalerie. Il avait fait bannir les montures de Tola. Rentrer dans la cité autrement qu’à pied, une fois passées les écuries, était synonyme de coup d’État.

De l’autre côté du fleuve, l’architecture changeait du tout au tout. L’espace était utilisé avec harmonie. Il ne restait presque rien de l’ancien hameau qui se nichait contre la forteresse massive. D’ailleurs sous l’empereur Ostèr le Novice, on avait rasé toutes les maisons autour du palais. Cette vaste place jouait le rôle de douves.

Britess s’engagea sur le marbre aveuglant. Des gardes patrouillaient, en grande tenue d’apparat, observant les passants. Elle s’arrêta devant la tour sud-est, où flottait l’oriflamme des troupes. Quand elle fit part aux chevaliers de faction de sa volonté de trouver du travail, ils lui indiquèrent la lice d’entraînement, à l’intérieur. Elle passa sous la tour et se dirigea vers le rectangle de sable où une dizaine de personnes maniaient des armes en bois sous les ordres d’un petit gaillard à la voix fluette. Elle les observa jusqu’au moment où l’officier les libéra. Il s'approcha de la nouvelle venue, essuyant son visage défiguré par de nombreuses cicatrices.

Il faisait peur le gars avec ses yeux presque blanc.

Britess se présenta rapidement, les mains derrière le dos, bien droite, le menton levé, regardant au loin. Les réflexes inculqués par les mercenaires de la Compagnie de la Vérité revinrent si vite qu’elle en eut des sueurs froides. Elle se mit à douter de ses valeurs, de ses pensées les plus intimes : si elles n’étaient dictées que par l’éducation de la Compagnie ?

— Alors ? demanda l’officier en lui tendant une épée en bois.

Elle n’avait pas entendu la question.

— Ne me fais pas perdre mon temps, l’hurtegar. Prends cette épée, enlève ta cape ridicule et viens te battre.

Hurtegar ? Enfant de la boue ?

Hurtegar… Ce petit roquet n’avait pas hésité à l’insulter. C’était bien la première fois depuis son enfance qu’on lui jetait ce sobriquet raciste au visage.

Elle se débarrassa de la cape, prit l’arme d’entraînement et suivit le trapu.

— Bon, on frappe pour de vrai. Si tu es capable de survivre à mes attaques, j’aurai quelque chose pour toi.

Britess porta la première passe. Elle retint sa respiration et manqua de tomber.

L’armure !

Son corps, habitué au poids et à l’encombrement du cuir ne réagissait pas comme d’ordinaire. Le plat de la lame de l’adversaire claqua sur ses fesses, accompagné d’un rire gras et obscène.

— T’as un beau cul, comme toutes les hurtegars. Dommage qu’on n’en voit pas beaucoup dans le coin.

Britess vit rouge. La haine pour cet homme balaya ses dernières réserves. Elle fit volte-face et fonça. L’autre était déjà sur son flanc pour lui assener un coup entre les côtes qui lui coupa le souffle.

— Bon, ça suffit. Tu me fais perdre mon temps. Si tu veux gagner de l’argent, tu n’as qu’à te vendre, je serais ton premier client.

Britess jeta l’épée en bois et dégaina. Ses yeux comme ses lèvres n’étaient plus que l’expression d’une rage incontrôlable. Le véritable combat s’engagea. Plus aucune attaque ne passa, mais elle ne réussit pas à le toucher. Elle recula pour trouver une faille et surprit le regard de son ennemi, calme, dénué de la moindre haine. Il l’étudiait, comme les instructeurs de la Compagnie. Elle se releva, rangeant son arme.

— Bien. Je suis Jurg, commandant de la deuxième cohorte. Tu voulais patrouiller sur les routes ? J’ai quelque chose d’autre à te proposer. Payé et moins dangereux. Tu pourras y faire tes preuves.

Il ramassa l’épée qu’elle avait délaissée.

— Il faudra apprendre à ne pas perdre ton équilibre quand tu ne portes pas ton armure, et surtout, ne pas céder aux insultes. Tout de même… Tu as suivi un entraînement militaire, cela se sent, on ne t’y a pas appris à déstabiliser ton adversaire en le traitant de tous les noms ?

— Non. Nous luttons avec respect et équité.

— Par Arone ! Une idéaliste… Allez, viens, je vais te donner ta mission.

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