Chapitre 25
La nuit tomba lentement. Le ciel devint laiteux puis gris. Britess démonta et grimaça en découvrant des muscles endoloris dont elle avait oublié l’existence. Il y avait une éternité qu’elle n’avait plus chevauchée aussi longtemps. Myrtille réagit amicalement quand elle lui flatta l’encolure. Elles s’entendaient bien. Le paysage était d’un plat déprimant. Les champs avaient laissé place à des petites forêts et des plaines sauvages. Quel que soit le lieu pour bivouaquer, il conviendrait. L’aventurière jeta son dévolu à l’orée de la forêt au cœur de laquelle la route pavée s’enfonçait. Elle attacha la jument à un arbre et la laissa brouter pendant qu’elle la déharnachait. La selle n’était pas de bonne qualité. Le tapis non plus. Il faudrait les remplacer afin de garantir le confort de la bête et le sien aussi. Dans un des sacs de fontes, un palefrenier avait glissé de quoi prendre soin du cheval. Profitant des dernières lueurs du soleil, elle ramassa rapidement du bois et alluma un feu grâce au briquet à amadou qu’elle trouva dans les vivres. À la chaleur apaisante des crépitements sourds, elle consacra une vingtaine de minutes pour panser Myrtille qui broutait tranquillement l’herbe alentour.
Britess s’assit et contempla le repas cuire dans une petite casserole. Elle posa le menton sur ses genoux, une soudaine chape de tristesse enveloppant ses épaules. L’argent reçu pour cette mission ne lui paraissait pas mérité. C’est Leil et Jadile qui avaient réellement sauvé l’Empereur. La somme était importante. Elle pourrait se payer une place dans le prochain navire en direction du nouveau continent. C’était son rêve, son but. Avant de connaître ses origines. Britess voulait se débarrasser des fantômes du passé et aller de l’avant, vers une nouvelle vie, bien loin des intrigues de ce monde sclérosé, englué dans des préoccupations passéistes et mortifères. Au fond de son âme, elle savait que trouver des réponses à l’énigme de Kril le Mécamage ne lui apporterait rien de plus qu’elle n’avait déjà. Elle avait tout simplement besoin d’une excuse pour retarder son départ. Britess n’était pas encore prête.
Elle mangea avec plaisir. Si tous les petits bocaux cuisinés qu’on lui avait donnés étaient aussi bons, le voyage serait des plus agréables.
Les bruits de la nuit l’empêchèrent de fermer l’œil aussi rapidement qu’elle aurait voulu. Les derniers évènements trottaient dans sa tête, l’emportant dans une spirale insomniaque. De nombreuses interrogations demeureraient sans réponses, elle s’en doutait. Cette Éminence à l’épée pourpre l’intriguait au plus haut point, mais restera un mystère. Il était hors de question de perdre du temps à aller chercher des ennuis sur le continent des Territoires. À la rigueur elle pourrait retourner voir Sarann afin de lui restituer l’épée et la question sur le passé. Elle se retourna, contemplant les bûches rougeoyantes. Aucun intérêt de le faire. Elle finit par s’endormir en pensant à Noto. Ses protections pour les seins s’avéraient très efficaces. Elle frissonna en pensant à son regard posé sur elle.
Le réveil fut difficile. Le jour ne faisait que poindre quand elle ouvrit les yeux. Myrtille hennit alors que Britess s’étirait.
- Bonjour aussi.
Elle déjeuna et utilisa un peu de son eau pour se laver sommairement. Il faudrait trouver une rivière dans la journée. L’odeur du voyage ne la dérangeait pas plus que cela, mais il fallait respecter un minimum d’hygiène.
Elles avalèrent cinq heures de route avant de trouver un fleuve, grand et dolent qui serpentait mollement sur la plaine. Le pont en bois, couvert, le traversait en prenant appui sur des bancs rocheux. Britess le traversa. Il était en bon état. De l’autre côté, elle mit pied à terre et s’éloigna de la route, s’enfonçant dans les bosquets. Elle s’arrêta au bord d’une petite plage abritée. Elle attacha Myrtille et se déshabilla, prenant soin de cacher ses effets non loin de la berge, l’épée à portée de main, au cas où. Elle goûta avec plaisir le moment de retirer les bottes et le pantalon. Elle se frotta les cuisses et derrière les fesses, pour soulager les douleurs. La brassière de Noto une fois ôtée, elle se massa les seins en entrant dans l’eau, les yeux mi-clos de soulagement.
Elle n’était pas froide. Britess se lava avec un pan de savon qu’elle posa sur la berge, puis revint dans l’eau et se mit sur le dos, contemplant le ciel bleu clair.
Ce pays était vraiment désert. Les paysans avaient été nombreux autour de la capitale, mais depuis, elle n’avait croisé personne. Qu’était-il arrivé à l’Empire du Couchant ? La guerre du Désert n’avait pas emporté autant de monde que cela. Peut-être avait-il été particulièrement touché par les non-naissances ?
Elle sortit et s’allongea sur un rocher, séchant au soleil. Un petit vent se leva, traînant avec lui un lointain roulement de tonnerre. Un orage approchait. Elle se rhabilla, passant des vêtements propres. Elle claqua la langue et Myrtille se mit au petit trot. Les insectes se mirent à chanter, plus intensément. Le vent d’abord léger se mit à souffler par bourrasque. Des nuages noirs s’amoncelaient à l’ouest et au sud. Il fallait trouver un abri. Elle pressa sa monture qui passa au galop, frappant le pavé de ses fers.
Elle la vit de loin. Une auberge ? Une masure, sur le bord de la route.
Abandonnée, à moitié écroulée. Britess huma l’air. Myrtille s’ébroua. Une forte odeur d’humidité et de terre envahissait les alentours. Le ciel était encore dégagé. Un éclair zébra l’horizon. La pluie arrivait.
Elle descendit et inspecta la maison. C’était une auberge, effectivement, autrefois. Il en restait une bonne portion intacte. Britess se décida. Elle tira le cheval derrière à l’abri. L’aventurière se dépêcha de ramasser du bois sec. Il était temps.
Le jour disparut, si rapidement qu’elle trébucha en se glissant sous la charpente encore en place. Bientôt, un feu rassurant brûlait dans un coin.
Un éclair.
Un déchirement terrible.
La pluie tomba, frappant les alentours. Le vent et le tonnerre se mêlaient dans une cacophonie terrifiante. Britess sursauta quand un éclair fit voler en éclat un arbre non loin. Myrtille frotta son nez contre le cou de sa nouvelle cavalière, pour la rassurer.
- C’est bien moi ça. Avoir peur de l’orage. Il ne manquait plus qu’une jument me réconforte. Allez, on est coincé ici pour quelques longues heures. On reprendra la route demain. Nous devrions atteindre notre destination.
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