Chapitre 26
La cité s’étalait sur la plaine, gigantesque et plate, bien à l’abri derrière d’imposantes murailles. Myrtille, au pas, faisait claquer ses fers sur la route pavée. Des postes de garde se succédaient, comme un collier de perles, entourant la ville. Britess tira sur les rênes en arrivant devant un groupe de guerriers qui lui firent signe de descendre. Ils portaient tous une tenue blanche, seul le fourreau de leur arme était d’un rouge éclatant.
Elle montra l’anneau donné par l’Empereur. Le soldat s’effaça et inclina légèrement la tête vers une grande femme qui vint se planter à trois pas de Britess. Pas une seule mèche noire ne sortait du chignon serré qui ornait le haut de sa tête. Son visage, sévère, inspirait le respect et la crainte. Les mains dans le dos, elle scruta la nouvelle venue, de la tête aux pieds, aussi lentement que possible, lui faisant bien comprendre que sa présence en ces lieux n’était pas souhaitable.
— Que voulez-vous, étrangère ?
— Je souhaite visiter les archives de la ville.
— La cité d’Obiu est…
— Maudite, oui, j’ai cru le comprendre.
L’officière ne broncha pas devant le manque de politesse de cette jeune femme. Elle regarda la jument qui s’ébroua, sensible au changement d’humeur des gardes. Elle sentait que la discussion pouvait rapidement dégénérer.
— Je suis Hikari du clan de l’Anthémis, je commande la garde sans répit de la cité d’Obiu. Je pardonne votre attitude hautaine parce que vous êtes une étrangère. Vous ne savez rien de nos coutumes, mais sachez qu’on ne coupe pas la parole à quelqu’un. On ne parle pas non plus pour ne rien dire, surtout quand on ne sait rien.
Britess pinça les lèvres, vexée. Elle ne dit rien, fixant la muraille, à quelques mètres, par-dessus l’épaule gauche d’Hikari. Le silence dura cinq minutes pleines. Même Myrtille respirait le plus discrètement possible.
— Obiu n’est pas une ville maudite. Elle est dangereuse. Un grand malheur est arrivé ici, lors des guerres Draconiques. Ses conséquences sont encore visibles à l’intérieur : des foyers d’infection de peste de mana guettent dans les rues, les maisons, attendant qu’un inconscient vienne et qu’il ressorte, porteur de cette terrifiante maladie, et la répande sur le monde. Vous pouvez entrer dans Obiu, mais vous ne pourrez en ressortir que si vous êtes saine. Ce qui ne sera pas le cas.
Hikari se passa un doigt sur ses lèvres fines et s’écarta.
Britess ne perça pas la signification du geste. On lui prit les rênes de Myrtille. Elle récupéra son sac à dos, avec le nécessaire pour une expédition de quelques jours.
- Nous prendrons soin de votre cheval. Les murailles empêchent la peste de s’échapper. Elle n’adhère pas aux murs. Ainsi, soyez prudente. Elle rampe sur le sol telle une grosse masse informe, de toutes les couleurs, souvent orange ou rougeâtres avec des veines jaunes. Parfois, elle peut n’être qu’un fil pas plus gros qu’un cheveu. Si jamais vous arrivez à vous en sortir, vous trouverez une salle d’isolation contre la porte principale. Vous devrez y demeurer enfermée pendant huit jours. Vous passerez alors dans la salle suivante, un puits. Vous nagerez à travers le boyau pour ressortir de l’autre côté. Là, un de nos médecins vérifiera que vous êtes saine et vous pourrez repartir. Si jamais vous tentez d’escalader la muraille, des archers qui veillent nuit et jour vous abattront sans sommation.
Elle fit signe à Britess de l’accompagner. Elles marchèrent de concert, l’une aussi discrète qu’une bise sur l’herbe haute, l’autre, Britess, aussi bruyante qu’une troupe de lourds chevaliers.
- Nous allons vous descendre avec une corde. La salle des archives est assez facile à trouver. C’est le seul bâtiment rond, on le voit du haut des murs. Suivez la route principale, puis au troisième carrefour, prenez à gauche. Vous arriverez facilement. Ne faites pas de bruits.
Elle tourna légèrement la tête vers Britess et haussa un sourcil découragé qui essayait d’arrêter les divers tintements de sa tenue, de son équipement, qui voulait respirer discrètement. Son ventre gargouilla.
— Les vibrations attirent la peste de mana. Ayez le pas léger, surtout ne pas courir.
Elles commencèrent à grimper sur un escalier en bois qui menait vers le chemin de ronde. La ville s’imposa au regard émerveillé de Britess. La végétation avait repris ses droits sur la majorité des constructions. Un seul quartier, au centre, restait vierge de toute invasion.
— La magie. C’est là que le dragon a été torturé. Sa souffrance a été si grande qu’il a expulsé son mana pour tuer tout le monde. La déflagration a été si violente que le quartier central est resté comme isolé dans une bulle protectrice. Les plantes meurent à son contact. J’ai rarement vu des animaux en ressortir vivants. Le bâtiment rond, c’est votre objectif. Je ne sais pas ce qui vous pousse à vouloir tenter cette expédition, mais il est peut-être temps d’y renoncer. Si vous avez des questions, je vous écoute.
Des questions ? Si elle avait des questions ? Mais oui, elle en avait et pas qu’une. Pourtant, elle ne demanda rien.
— Merci, Hikari, du clan de l’Anthémis.
Britess s’inclina profondément, comme Jadile l’avait fait.
Elle prit la corde et se laissa descendre lentement.
Hikari la vit s’éloigner avec précaution, se taillant un chemin dans la verdure.
— C’est toujours une chose étrange de parler à un futur mort. Pauvre fille. Elle n’est pas assez aguerrie pour survivre dans cet enfer.
Les gardes hochèrent la tête avec un air triste.
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