Chapitre 34
Ils entrèrent dans le palais, enfilant les couloirs plus ou moins grands pour déboucher dans une partie de la bâtisse plus rustique. Des parfums de nourriture imprégnaient les murs. Elle allait rencontrer le Tyran, Le Sauveur des Peuples, Celui qui avait évité la Disparition, Nirling Le Secret, Losorung l’Inflexible, Le Tueur d’Empereurs, Le Nouvel Unificateur, et encore d’autres surnoms du même genre… De quoi impressionner. L’intendant s’arrêta devant une porte usée par le temps et s’inclina pour signifier à Britess qu’elle pouvait entrer.
Il ne la suivit pas et referma derrière elle.
C’était une pièce assez petite, un large pan de mur vitré donnait sur la nuit où un croissant de lune flottait dans la partie gauche. Un bureau, bien rangé, un coffre frappé aux armes de Tola en occupait un bon tiers. Deux chaises, deux fauteuils, une petite table et une bibliothèque sur un mur entier.
Une cheminée ornait un autre pan de mur. Un feu docile rougeoyait dans l’âtre. Un homme à la carrure imposante se tenait debout, face au foyer, mais derrière le dos. Il portait une simple chemise en lin et un pantalon gris taillé dans une toile vulgaire. Ses cheveux étaient bien plus gris que la dernière fois que Britess l’avait vu, deux ans auparavant.
Il gardait le silence.
Britess s’avança au milieu de la pièce et posa un genou à terre, la tête baissée, en signe de respect.
Nirling se retourna lentement quand il entendit les froissements des habits et le tintement des lanières d’un fourreau d’épée. Il haussa les sourcils et s’approcha rapidement. Il s’agenouilla à son tour pour aider Britess à se relever. Il redressa tendrement la tête de sa visiteuse.
— Tess… Comme je suis heureux de te voir.
Entendre Nirling l’appeler par son surnom brisa la volonté de Britess. Pour la deuxième fois en quelques jours, elle perdit pied. La gorge nouée, elle ne put prononcer le moindre mot ni retenir ses larmes. Nirling fronça les sourcils et essuya avec douceur les pleurs qui maculaient les joues de Britess. Elle sentit les mains calleuses du guerrier contre sa peau. Il l’aida à s’asseoir sur un des fauteuils face à la cheminée. Il tira le second à côté d’elle ainsi qu’une petite table sur laquelle il posa deux tasses attrapées sur le linteau. D’un petit sac, il tira quelques herbes qu’il jeta dans une bouilloire qu’il suspendit au-dessus du feu.
— Tu savais que j’étais dans ta ville ? demande Britess en évitant le regard de Nirling.
— Tu penses bien que Sarann a débarqué ici en un clin d’œil quand elle a constaté ta fugue. Elle peut se transmonder comme elle le souhaite. Privilège d’une Annihilatrice de magie : une fois qu’elle a absorbé un sort, elle peut l’utiliser à l’envi. Son inquiétude n’a pas déteint sur moi. J’ai confiance en toi, en ton savoir et en ton bon sens. Tu es capable de te sortir de nombreuses situations. Elle est repartie en moins d’une heure. Seuls mes intendants étaient au courant de ta venue. Ils t’ont repéré dès que tu as mis les pieds dans la ville.
Il saisit la bouilloire.
— Je veux que tu sois consciente que je ne suis pas là pour te juger. Je ne te demanderai rien. Tu es un être libre. Tu peux aller et venir à ta guise. Si tu as besoin de conseils, d’aide, d’un lieu pour te réfugier, je serai toujours là.
Nirling était un être exceptionnel. D’une gentillesse et d’une droiture peu commune. Elle le regarda servir la tisane. Elle inspira d’un coup sec.
Les traits du Tyran n’étaient plus les mêmes. Un bref instant ils furent remplacés par un visage rempli de cicatrices, un visage brisé, marqué par la guerre. C’était lui pourtant. C’était comme si on avait retiré un masque pour dévoiler la vérité.
Le liquide ne coulait plus.
Le temps était suspendu.
Britess se leva, la main sur l’épée, balayant la pièce du regard.
Une ombre se détacha de l’ombre.
Marl le Manchot fit quelques pas et s’arrêta, un sourire goguenard sur son visage affreusement mutilé.
— Tu vois la Vérité, Britess, un don bigrement empoisonné.
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