Chapitre 35
Britess laissa tomber son bras le long de son corps. Après un instant pendant lequel elle dévisagea le Manchot, elle rangea son arme. Le gardien du Monde gris s’était déplacé vers Nirling Losorung. Il posa sa main valide sur les cicatrices, les suivant délicatement.
— Nirling le Juste. C’est moi qui lui ai fait cela. Je l’ai affreusement défiguré, à coups de poing. Je voulais le tuer. On m’a arrêté à temps.
Il fit un pas en arrière.
— La magie qui a servi à le soigner est efficace et a reconstruit, refermée les blessures, sans pour autant effacer les marques. Celui qui l’a soigné à eu la délicate attention de doubler son travail d’une illusion. Personne, à part toi, Sarann ou moi, ne peut voir son véritable visage.
Britess se tenait contre le Manchot. Elle posa la paume de sa main sur le visage détruit du dieu. Il plissa les yeux étonné. Une larme perla au coin de l’oeil avant de couler et de suivre le labyrinthe des traces des combats sur sa peau burinée par une existence tourmentée.
— La dernière personne qui a eu ce geste fut ma fille. Elle me manque beaucoup.
— Pourquoi vouliez-vous tuer Nirling ?
— Il m’a empêché de tuer une ennemie. Il voulait la capturer vivante pour la juger. Il a toujours été comme cela. Une grande et noble âme. J’étais tout le contraire. J’étais jaloux de lui, certainement au point de lui faire la peau.
Il se tourna vers Britess, lui prenant le poignet.
— Je ne suis pas venu pour discuter de Nirling, mais de toi. Tu es une Nomic, avec ma fille et ses enfants, cela fait monter le nombre des nôtres à quatre. Je dois te dire ce que cela implique pour toi. Tu es quasiment immortelle. Tu ne peux mourir que si tu en fais le choix ou si une mort violente vient à t’achever. On ne peut rien contre une épée dans le coeur ou si on nous tranche la tête. On ne fait pas non plus repousser les membres perdus.
Il montra son bras manquant.
— Tu n’as aucune mission particulière dans la vie. Pas besoin de te prétendre justicière ou quelque chose dans le genre. Si tu veux devenir reine, impératrice, paysanne, artiste, c’est ton choix. Sache cependant qu’en ces heures où les mages commencent à comprendre, douloureusement, que leur art n’est plus si facile à pratiquer, ton appartenance à une race magique fera de toi une proie de choix. Tu en sais quelque chose, non ?
— Tu es au courant de ma mésaventure ? Tu aurais pu me sauver ?
— Non, je n’interviens pas dans le monde des vivants. J’ai déjà assez à faire dans le Monde gris.
- Je souhaite partir pour le nouveau continent… Je ne me sens pas à ma place ici.
- Je te comprends. Avant de te laisser, sache que les quatre branches principales de Nomic avaient une arme et une armure. Tu as l’épée qui te revient, elle semble être contente d’être avec toi. Tu es de la famille du Mécamage. Il est mort dans sur le nouveau continent. C’est lui qui a caché cette terre aux yeux du reste du monde. Je n’en connais pas la raison. Tu pourras peut-être en découvrir la cause lors de ton voyage ? Son épée est restée sur ce continent, aux mains d’un de ses descendants. Il se peut que le reste aussi. Quand le verrou qui était en toi s’est brisé et que ta véritable nature a été révélée, j’ai mené ma petite enquête auprès de quelques âmes damnées. J’ai pu localiser le laboratoire de Kril, ton ancêtre. Il vivait dans la cité empire de Madir. Je sais, c’est maigre comme information, surtout quand on sait que la petite ville est devenue un monstre urbain. Tu devrais y aller et faire confiance à ta chance.
Le Manchot se dirigea vers les ombres.
— Attends. J’ai des questions, des tas de questions !
— Je m’en doute. Il te faudra en trouver seule les réponses.
— Tu reviendras me voir, de temps en temps ?
— Tu me trouves si beau que cela à voir ?
Britess inclina la tête sur le côté droit avec un sourire triste.
— Tu es une sorte de grand-père pour moi. Le grand-père Manchot.
— Marl. Pour toi, je suis Marl.
Le guerrier disparut dans les ténèbres.
— Va t’asseoir et fais semblant de rien. Nirling est très perspicace et le temps va de nouveau s’écouler normalement !
Britess se précipita dans son fauteuil.
La tisane coula avec un bruit qu’elle trouva très agréable.
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