Chapitre 39

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Les archives se trouvaient au bout de la ruelle. Un bâtiment imposant en briques rouge clair, aux larges fenêtres et à la lourde porte en cuivre. Britess prit le temps de le contempler. Elle avait rarement eu l’occasion de voir une construction ancienne si bien conservée et d’une telle ampleur. L’architecture des autres immeubles était totalement différente, mêlant des époques plus récentes, certes intéressantes mais sans le charme des vieilles briques.

Ce n’était pas encore ouvert. Elle s’assit sur un banc sous un arbre aux larges ramures et patienta. A force de le regarder, elle finit par en connaître les moindres formes. Son attention fut attirée par les dessins complexes de la porte. Elle aurait dû être en bois. Elle était donc plus récente, mais s’incorporait avec goût dans l’ensemble. Son corps, jusque-là avachit contre la banquette de pierre se tendit en avant. Le sourcil froncé, elle tendit l’index droit et suivit lentement certaines lignes, mélangées à d’autres. Elle se concentra et finit par faire abstraction de tout le reste pour ne voir que le dessin qui se détachait : un rouage.

Britess se leva.

Le même symbole que dans la tour de Tola, que dans l’Empire du Couchant, qui rappelaient aussi la machine de Noto. Elle n’avait pas pensé à cette dernière depuis un moment. Ce n’était peut-être qu’une coïncidence, car des rouages, il en existait partout, de toutes les tailles, en bois ou en métal. En trouver sur une machine, c’était plus commun que d’en voir gravé sur un support. C’était la signature de son ancêtre, Krill le Mécamage. Une certitude qui vibrait au fond de son âme. Une partie des réponses à ses questions devaient se trouver en ce lieu.

— Belle bâtisse, n’est-ce pas ?

Elle sursauta.

L’homme, se tenait à ses côtés, un sourire extatique illuminant son visage ridé. Il passa un doigt tremblant sur sa moustache blanche en forme de fer à cheval.

— Vous venez pour les archives ?

— Oui. Je suis arrivée trop tôt.

Le vieil homme hocha la tête, ce qui fit bouger les quelques cheveux qui poussaient encore sur le sommet de son crâne pâle. Il ajusta ses petites besicles rondes.

— Je suis le conservateur des archives. Le dernier. J’ai bien deux apprentis, une fille et un gars, mais ils sont trop occupés à se bécoter à longueur de journée pour penser au métier. J’espère qu’ils deviendront sérieux avant que je ne trépasse. Je me ferai du souci une fois mort si je n’ai pas de successeur digne de ce nom.

— Vous n’avez pas eu le temps d’en former depuis…

Elle allait dire « depuis le temps » mais se retint afin de ne pas blesser l’homme sur son âge.

— Si, j’ai eu l’occasion d’en former plusieurs. Mais le travail est ingrat par de nombreux côtés. Beaucoup sont partis vers l’administration de la cité, une fonction plus rémunératrice et paisible.

Paisible ? Britess esquissa un sourire moqueur. Quels dangers pouvaient menacer un conservateur ? Mourir écrasé par une chute intempestive de livres ? Quelles activités pouvaient rendre si palpitante une vie de rat de bibliothèque ? Empêcher les lecteurs de voler des documents et les courser dans la ville ? Existait-il une brigade armée de bibliothécaires, comme les fameux archivistes de Val du continent des Territoires ? Véritables guerriers protecteurs du savoir ? Sarann racontait souvent des histoires sur ces combattants.

— Je sens votre moquerie poindre sur vos lèvres, ma chère. Sachez que ce lieu cache de nombreuses pièces, étages et sous-sols. Il existe depuis des millénaires. Au firmament de sa gloire, c’étaient presque huit cents conservateurs qui travaillaient ici. Leur formation comprenait toutes formes de savoir, y compris le combat. Il y a des choses mortelles qui ont pris possessions de ces lieux, surtout dans les tréfonds… Beaucoup de mes élèves n’ont pas voulu me croire, se sont montrés imprudents et ont disparu là-dessous.

Britess plissa les lèvres. Les dangers dans les sous-sols, elle connaissait.

— Venez, je vais ouvrir. Pourquoi souhaitez-vous visiter les archives ?

— Je suis à la recherche de n’importe quelle information au sujet de Krill le Mécamage ou de la mécamagie.

Le vieux tourna la clé dans la serrure d’une petite porte presque invisible ménagée dans la grande. Il s’écarta pour laisser entrer Britess en premier.

— Soyez la bienvenue dans les archives de la Cité Empire de Madir.

La lumière du jour inondait littéralement les lieux par de nombreuses fenêtres qui se reflétait idéalement sur des miroirs ici et là. Des rayons de livres couraient vers le fond et jusqu’au plafond. On entrait de plein pied dans la bibliothèque, sans hall, sans antichambre, sans bureau.

Le conservateur se dirigea vers un petit pupitre et ouvrit un gros livre. Il tint ses lorgnons d’une main et tourna les pages de l’autre.

— Voilà. Il y a quelques mois, j’ai reçu la visite d’un certain Perlagan, originaire de Tola. Je ne me souvenais plus de son nom. Il était à la recherche d’informations sur Krill le Mécamage. Il est parti vers les sous-sols avec le conservateur Calvèr.

Il referma le livre doucement.

— Ils ne sont jamais remontés.

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