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Aliénor était assise au bord de la fenêtre de sa chambre. Elle venait de congédier sa dame de compagnie. Melisande était très gentille, adorable même, mais elle restait une vieille dame. Elle acceptait de jouer avec elle — en même temps elle n’avait pas le choix puisqu’elle était la fille du roi … — mais aujourd’hui, Aliénor ne voulait pas. Elle voulait plutôt passer son temps avec des personnes de son âge. Mais il était encore tôt. La brume ne s’était pas encore dissipée sur les chemins du royaume de son père. Ce dernier n’accepterait jamais qu’elle quitte le château et surtout la ville pour se rendre au village de ses meilleures amies.

Elle observa donc un moment la course du soleil et le jeu des nuages dans le ciel azur tout en faisant tourner ses longs cheveux roux dans ses petits doigts. Elle resta là un long moment à ne rien faire. Sa lecture des mythes et légendes de Graym Skaria ne l’intéressait plus. Elle avait déjà tout lu des dizaines de fois et pouvait les conter avec une exactitude certaine. Et elle n’avait aucune envie de lire des niaiseries ou des histoires d’amour impossible. Elle était bien trop pragmatique pour cela. Elle préférait bien plus rêver de contrées lointaines et d’aventures.

Quelques coups furent donnés à sa porte.

— Entrez, fit-elle dans un soupir à peine, retenu.

Melisande revenait et affichait un sourire qui faisait rayonner son visage. Elle lui apportait certainement une bonne nouvelle.

— Il est temps de terminer de vous habiller et de vous coiffer, Aliénor, dit-elle.

— Tu ne le fais jamais si tôt en général, commenta la jeune fille. Père me demande ?

— Non, mais deux jeunes filles du village sont arrivées au château et demande à vous voir.

Aliénor resta un instant immobile tandis que sa dame de compagnie se dirigeait vers l’armoire pour en sortir une tenue élégante et digne d’une princesse et pourtant pratique pour pouvoir s’amuser.

— Grizel et Sadie ? Demanda la jeune fille en se dirigeant vers le paravent en bois de chêne.

— Oui, Aliénor.

Le cœur de la jeune fille se réchauffa. Ses amies étaient venues lui rendre visite. Elle glissa par habitude ses doigts sur le décor finement sculpté tout en attendant Melisande. Cette dernière arriva avec une longue chemise de coton et une robe ordinaire. Enfin, ordinaire… Elle avait été cousue dans les meilleurs tissus que l’on pouvait trouver mais la coupe était simple, sans trop de fioritures. Elle était vert sombre, lui arrivant aux chevilles. La bordure des manches et du col était brodée au fil d’argent avec un motif en fleur de lys.

Aliénor souleva ses cheveux et laissa Melisande lui serrer les lacets sur sa menue poitrine tout en réfléchissant à ce qu’elle pourrait bien faire avec ses amies. Quand elle fut lentement poussée vers la coiffeuse, elle était toujours à ses réflexions sans réellement trouver. Il y avait tellement d’activités possibles au château mais aussi en ville mais il y avait aussi les limites de ses amies. Grizel avait peur des chevaux et Sadie avait le vertige. Du coup, les écuries et les chemins de ronde étaient d’office exclus. Les jeux de lettres aussi puisqu’elles n’étaient pas instruites comme elle. Elle soupira et se dit simplement de voir avec elles deux plus tard.

Elle s’observa un instant dans le miroir que Melisande lui tendait. Elle venait de lui faire ses cheveux. Elle s’attarda d’abord sur son visage pâle. Elle n’aimait pas paraître sale. Seules ses taches de rousseur étaient admises. Puis, elle observa sa coiffure alors que sa dame glissait une barrette dans ses cheveux. L’un des derniers héritages de sa mère qu’elle gardait toujours sur elle.

Aliénor se leva ensuite et sortit de sa chambre pour se rendre à l’entrée du palais rejoindre ses deux meilleures amies.

Grizel était la fille du forgeron de Roklbanthel. Petite, elle était un rien plus jeune que la princesse. Elle portait ses cheveux bruns en deux nattes rattachées à l’arrière de sa tête et son visage jovial portait encore les rondeurs de l’enfance. Sa tenue était simple, cousue dans du coton brut, et était reprisée en de nombreux endroits au niveau de la jupe.

Sadie, de son coté, était bien plus âgée, presque adulte. Elle habitait au village de l’autre côté de la rivière. Grande et légèrement musclée, elle gardait des courbes féminines à en faire tourner l’œil de bon nombre de jouvenceaux. Ses longs cheveux blonds encadraient son visage anguleux et sa peau était légèrement hâlée à force de passer ses journées à s’occuper de la ferme avec ses parents. Aliénor l’avait rencontrée quand elle était venue avec son père avec la dernière production de lait de chèvre. Et depuis, elle revenait souvent au château pour passer du temps avec Grizel et elle.

Un sourire immense naquit sur le visage d’Aliénor en voyant ses deux amies dans le hall du palais. Grizel et Sadie s’inclinèrent respectueusement devant elle avant de sourire.

— Les amies, j’ai une superbe nouvelle à vous rapporter ! S’exclama alors Sadie en frappant dans ses mains légèrement rugueuses.

Les trois demoiselles suivirent la princesse qui les guidait vers les jardins intérieurs pour discuter.

— Oh, s’il vous plaît, Père ! Supplia Aliénor en faisant les yeux doux au Roi Rowan.

Le roi se tenait assis sur son trône, la tête appuyée dans sa main. Même s’il était encore dans la fleur de l’âge, on pouvait déjà percevoir les premiers ravages du temps. Ses cheveux fauves commençaient grisonner et de petites rides apparaissaient au coin de ses yeux. Une barbe de trois jours mangeait ses joues et une couronne d’or finement ouvragée cerclait son tête. Puisque le temps était à la paix, il était vêtu d’une tunique pourpre qui contrastait légèrement sur sa peau pâle.

Il regardait sa fille de ses yeux bleus avec intensité alors qu’il l’entendait le supplier.

— Aliénor, soupira-t-il avec lassitude. Tu es l’héritière du trône de Roklbanthel. Quand te décideras-tu enfin à te comporter comme telle ?

— Mais … Sadie et Grizel sont mes amies ! Lui opposa la jeune fille en fronçant ses sourcils auburn.

— Ce ne sont que de pauvres jeunes roturières. Leurs parents et elles sont à mon service et travaillent tous pour moi.

— Mais, au château, je n’ai personne avec qui jouer…

— Nos domestiques sont là pour ça.

— Ce n’est pas la même ! S’exclama la princesse en se retenant de justesse de bouder.

Son père détestait particulièrement cela.

— Ils n’ont pas treize ans et ils sont obligés de faire ce qu’on leur demande ! Grizel et Sadie, elles, veulent réellement jouer avec moi !

Le Roi Rowan observa sa fille pendant un instant. Il pouvait lire dans ses profonds yeux turquoises qu’elle ne laisserait pas tomber. Il finit par soupirer, résigné.

— Très bien, dit-il. Vas-y. Pars avec tes amies. Mais je veux que tu sois de retour au château avant le coucher du soleil.

Il se tourna vers Sadie et la fixa avec autorité.

— Je la ramènerai, Mon Seigneur, promit-elle en s’inclinant.

— Je vous remercie, Père ! S’extasia Aliénor en lui sautant au cou.

Elle lui fit une bise sur sa joue avant de rejoindre d’un pas enthousiasme ses deux meilleures amies. Elles pouvaient se rendre au village.

Le roi regarda les demoiselles s’éloigner en esquissant un léger sourire à peine visible sous sa barbe. Il secoua la tête de gauche à droite en soupirant. Plus Aliénor grandissait, plus elle ressemblait à sa mère. Non seulement elle avait hérité de ses yeux magnifiques mais aussi de sa beauté sans égale. Parmi cet héritage, on pouvait aussi compter sa générosité, sa gentillesse, son caractère bien trempé, son mépris des richesses et des conventions ainsi que son impulsivité qui n’était pas toujours un défaut.

Cette vision de sa fille était d’autant plus précieuse pour lui qu’elle n’avait jamais pu connaître sa mère. Lillian était malheureusement morte en couche. A part les cheveux auburn, elle lui ressemblait trait pour trait.

Aliénor était son joyau, son petit saphir, le bien le plus précieux qu’il possédait. Une boule apparaissait à chaque fois qu’il la laissait partir ainsi, loin de lui… Les Dieux seuls savaient quels dangers elle pourrait croiser sur sa route jusqu’au village qui n’était qu’à une heure de cheval.

Aliénor se tenait sur sa selle, le visage rieur. Elle poussait sa jument à la robe noire au trot tellement elle était enthousiaste et pressée d’arriver au village. Elles se rendaient avec ses amies à la ferme de Sadie car la chatte Candide avait donné naissance à six adorables chatons.

— Ali ! Ralentis ! Cria Sadie qui tenait son cheval au pas.

La princesse arrêta sa jument et se retourna sur sa selle. Grizel et Sadie avançaient plus doucement sur le chemin de terre. La plus jeune était terrifiée par les chevaux et n’aimait pas trop les secousses de la charrette. Aliénor sourit et fit demi-tour pour les rejoindre.

— D’accord. Pardon, s’excusa-t-elle en arrivant à leur hauteur.

Elle refit demi-tour avec Brie, sa fidèle jument, et reprit la route au pas.

— C’est juste que je ne pourrais pas rester très longtemps, se justifia-t-elle. Mon père m’a seulement donné jusqu’au couché du soleil. C’est pour ça que je me dépêche.

Sadie sourit et secoua doucement la tête avant d’agiter les rênes.

— Les chatons ne sont pas prêts de s’envoler, tu sais, dit-elle en riant. Ils doivent rester encore quatre à six semaines auprès de leur mère avant de prendre réellement leur indépendance.

— J’espère que Père m’autorisera à en avoir un au château, fit la princesse, pensive.

Elles discutèrent de sujets variés, surtout pour distraire Grizel de sa peur, et arrivèrent bien vite au village de Sitin. Elles firent un signe de la main en passant en face des parents de Sadie qui veillaient sur leurs troupeaux.

— Ils sont dans la grange, informa la plus âgée en arrêtant la charrette. Ali, tu peux attacher Brie près de la mangeoire là-bas. Elle ne manquera de rien.

— Je te remercie.

La princesse attacha sa jument à un poteau près de la dite mangeoire et rejoignit ses amies devant le grand bâtiment. L’excitation était à son comble alors qu’elle s’apprêtait à voir pour la première fois dans sa vie des chatons.

— Owwww ! S’exclama-t-elle dans un murmure étouffé.

Elle venait de mettre sa main devant sa bouche pour ne pas effrayer Candide et ses chatons allongés dans la paille. Ils étaient tous adorables.

Les trois jeunes filles s’installèrent autour et discutèrent avec excitation autour des animaux comme si tout était normal et Candide alla même jusqu’à laisser ses petits approcher, totalement confiante.

Soudain, le bruit de chevaux lancés au galop se firent entendre juste à côté de la grange et une torche allumée fut lancée par une large ouverture dans le mur.

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