002
Rowan était dans ses quartiers à lire quelques rapports ennuyeux sur les récoltes et autres productions de ses terres quand l’un de ses chevaliers entra brusquement. Il sursauta.
— Sire !
— Que se passe-t-il ? Pourquoi tant d’empressement ? Demanda le roi en se redressant sur son siège.
Une ride d’inquiétude barrait son front en avisant l’expression sérieuse et alarmée de l’homme.
— Le village est attaqué, Sire ! Les hommes du Roi Drake ont envahi la place !
— Quoi ?!
— Ils brûlent tout ce qu’ils trouvent sur le passage ! Continua le chevalier. Maisons, greniers, fermes, … Ils volent ce qu’ils peuvent et détruisent le reste. Tous ceux qui résistent sont tués et les autres sont faits prisonniers !
Une lueur paniquée apparut dans le regard de Rowan.
— Melisande ! Cria-t-il. Melisande !
La dame de compagnie de sa fille arriva précipitamment dans la pièce, alertée par le cri de son roi. Elle n’eut pas le temps de dire un mot que Rowan l’interrogeait déjà.
— Aliénor est-elle rentrée ?
— Non, mon Seigneur. Pas encore, répondit la vieille dame. Que … Que se passe-t-il ?
Elle n’était de toute évidence pas encore au courant de ce qui se tramait à l’extérieur des murs du château. Le roi se tourna à nouveau vers son chevalier, le visage bien plus dur.
— Sonnez l’alerte ! Ordonna-t-il. Rassemblez les chevaliers et repoussez ces Nirruradu !
— Mais Sire, il faut préparer les déf..
— Je m’en moque ! Coupa Rowan en hurlant. Battez-vous et repoussez-les tous jusqu’au dernier !
Il attrapa son épée au-dessus du linteau de la cheminée.
— Je viens avec vous ! La princesse Aliénor est au village !
Le chevalier hocha la tête. L’ordre avait été donné. Il obéirait. Rowan se rendit à l’armurerie et enfila rapidement une côte de maille ainsi que son armure. Il n’avait plus combattu depuis longtemps, des années même. Mais en ce jour, il devait reprendre les armes pour la survie et l’avenir de sa fille adorée. C’était avec cette pensée en tête qu’il accourait vers les écuries et montait son fidèle destrier.
— Au village ! Ordonna-t-il aux chevaliers en prenant la tête de la cavalerie.
Il poussa sa monture au triple galop. De loin, il pouvait déjà voir la fumée noire qui s’élevait dans le ciel, juste derrière le flanc de la montagne. Le village était depuis un moment la proie des flammes. A cette vision annonciatrice d’horreurs et de malheurs, son cœur se sentait tiraillé entre colère, rage et panique. Drake allait payer pour cet affront.
Aliénor, Grizel et Sadie se tenaient cachées dans la grange parmi le foin. Elles étaient terrifiées par les cris de guerres des assaillants, le bruit des combats et la hurlements des villageois terrifiés. Mais bien rapidement, la chaleur du feu qui se propageait et la fumée opaque qui s’en dégageait les ramenèrent à la réalité. La grange était de brûler !
— Il faut sortir d’ici ! S’écria Aliénor. Sinon, nous allons brûler vives !
— Si nous sortons, les cavaliers noirs nous tueront ! Geignit Grizel, le visage baigné de larmes.
La princesse toussa, cherchant avec peine à respirer de l’oxygène. Elle se baissa le plus qu’elle put pour y parvenir.
— Pas forcément ! Rétorqua-t-elle en secouant la tête.
— On pourra peut-être leur échapper…, continua Sadie avec espoir. Il y a une grotte pas très loin dans les collines au sud. Nous pouvons toujours essayer de nous y rendre et attendre les hommes du roi !
Les deux plus âgées observèrent la propagation du feu pendant quelques secondes. Il avait déjà atteint la structure du bâtiment. Il n’allait pas tarder à s’effondrer.
— De toute façon, si on reste ici, on va mourir ! Termina la paysanne en se redressant. Il faut sortir et vite !
Elle tira sur la main de Grizel mais cette dernière résista, cherchant à se dissimuler plus derrière une botte de foin qui n’avait pas encore pris feu.
— Non ! Cria la benjamine en pleurs. Je ne veux pas ! J’ai peur !
— Nous avons toutes peurs, Grizel ! Mais si on ne sort pas d’ici, on va mourir ! S’exclama Aliénor avant de tousser.
Elle venait d’encore respirer de la fumée. Elle se dirigea au plus vite vers la sortie en quête d’oxygène. Elle toussa encore et respira enfin. Mais ce soulagement ne fut que temporaire. Elle venait de lever les yeux pour voir l’horreur et la désolation. Le village de Sitin n’était plus qu’un immense brasier qu’hommes, femmes et enfants cherchaient à fuir. En plus de l’odeur de bois brûlé et des quelques chairs carbonisées qui flottait dans l’air, il y avait cette effroyable odeur métallique qui rendait Aliénor malade. Le sang… Beaucoup de sang avait coulé.
Un craquement derrière elle fit quitter cet effroyable tableau. Elle se retourna. Elle vit avec horreur le toit effondré de la grange. Le chaume était noir et des poutres de bois dépassaient çà et là, rongées et brisées par le feu vorace.
— Non … Grizel … Sadie…, Murmura-t-elle, incapable de crier cette fois.
La fumée et l’émotion l’en empêchaient. Elle s’écarta des ruines enflammées et chercha sa jument des yeux. Brie n’était visible nulle part.
Aliénor s’éloigna encore, en direction du sud. Sadie avait mentionné une grotte dans les collines. Si Grizel et elle avaient survécu, ce serait là qu’elles se rendraient. Elle allait les retrouver là-bas. Elle essayait de s’en convaincre. Elle avait peur aussi mais elle refoulait au mieux ce sentiment pour rester concentrer sur l’instant présent.
Elle s’éloigna du village en direction des collines verdoyantes. Au début, elle cherchait à se dissimuler au mieux. Elle ne voulait pas attirer l’attention des cavaliers noirs sur elle. Chaque arbre, chaque rocher, chaque charrette abandonnée était une cachette potentielle. Et puis, il n’y en eut plus. Il n’y avait plus que de verts pâturages vallonnés. Elle serra les lèvres en voyant quelques carcasses de bétail. Ces hommes s’en prenaient aussi aux animaux. C’était odieux et cruel ! Toutefois, elle se força à ignorer cela, sa survie était plus importante que quelques bœufs morts.
Elle s’élança en courant le plus vite qu’elle put. Elle devait fuir et disparaître derrière la colline la plus proche. Le bruit des flammes et les cris des villageois s’éloignèrent derrière elle, de plus en plus étouffés par la distance. Plus elle courrait, plus ses poumons brûlaient dans sa poitrine. Elle était à bout de souffle. Cela ne l’empêcha pas de s’arrêter pour autant, pas plus que ses jambes qui devenaient de plus en plus douloureuses à chaque pas.
Alors qu’elle avançait toujours, elle sentit le sol trembler de plus en plus sous ses pieds. Le souffle d’un cheval ainsi que le son de sabots percutant la terre à grande vitesse se rapprochaient. Un cavalier noir… Aliénor redoubla d’ardeur pour fuir malgré la douleur. Hélas… en vain.
Le cavalier tenta de l’attraper par le corset de sa robe. Il ne fit qu’en craquer légèrement le tissu et Aliénor tomba à terre dans l’herbe légèrement humide de la dernière pluie et de la bouse de bovins. Elle ignora les nouvelles taches sur sa tenue et se redressa pour continuer à courir. La peur avait repris le dessus sur le reste et elle ne voulait plus que fuir l’étranger, le monstre, qui voulait la capturer. Rapidement, d’autres cavaliers le rejoignirent et la princesse se retrouva encerclée et contrainte d’abandonnée ses efforts pour s’enfuir. Elle était dorénavant leur prisonnière.
Lorsque le Roi Rowan arriva au village, il était trop tard. Il ne restait plus que des ruines fumantes et du bétail mort. Encore quelques villageois criaient et tentaient de s’enfuir au loin mais ils étaient rattrapés par les hommes de Drake. La plupart n’avait aucune chance et mourrait sous leurs armes. Les autres étaient emportés et jetés dans des charrettes de prisonniers.
— Repoussez ces chevaliers et sauvez les villageois ! Ordonna-t-il directement. Et trouvez la princesse !
— Oui, Mon Seigneur ! Firent ses hommes à l’unisson avant de lancer leurs chevaux au galop.
Les heures de combat qui s’ensuivirent parurent extrêmement longue au roi. Les hommes de son ennemi juré étaient bien entraînés, bien plus que les siens. Rowan perdit beaucoup de valeureux chevaliers dans cette bataille.
Hélas, il ne put sauver qu’une poignée de ses sujets. Il voyait les autres s’éloigner au loin dans les charrettes sous la bonne garde des Nirruradu. Il commençait à faire la ronde des corps allongés au sol pour retrouver sa fille, chaque personne capable de tenir debout et volontaire s’attelait à cette tâche. Tout le monde voulait retrouver la douce et joyeuse princesse.
Quelques hommes du roi étaient partis à la suite des Nirruradu. Ils ne comptaient pas attaquer mais savoir où le convoi de prisonniers se rendait était une chose importante. Rowan voulait peut-être à tout prix sauver sa fille mais il n’oubliait pas pour autant ses malheureux sujets. Ils y passèrent le reste de la journée et une partie de la nuit, s’éclairant de torches pour ne pas s’arrêter. Hélas, sa fille n’était nulle part. Il avait l’espoir maintenant de la savoir vivante. Mais où ? Il en arrivait à se demander si elle avait été capturée elle aussi. Si elle était libre, elle serait déjà revenue à lui désormais.
Lorsque les chevaliers revinrent au petit matin, ses hommes avaient le visage sombre. Rowan attendait le rapport avec inquiétude alors qu’il abandonnait momentanément les recherches.
— Alors ? Demanda-t-il.
— Les Nirruradu se sont engagés sur la route des Cols Maudits, Sire.
Le roi soupira. Il était impossible qu’ils puissent passer par les Cols Maudits. Certains passages étaient bien trop dangereux. Entre les bêtes sauvages, les parias et le chemin tortueux, ils avaient plus de chances de parvenir de l’autre côté des cols en passant par l’Obélisque de la Montagne de Sang et le village de Dremor. L’ennui était qu’une fois l’Obélisque passé, ils pénétreraient sur les terres du Roi Drake. Ce ne serait pas sans risque.
Mais Rowan avait le regard déterminé alors qu’il prenait déjà sa décision.
— Prenez du repos, ordonna-t-il. Demain nous partons pour l’Obélisque de la Montagne de Sang !
— Mais Sire, les Jours de Dangers arrivent !
— C’est un ordre, Chevalier !
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