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Aliénor serrait ses genoux contre sa menue poitrine. Elle avait froid. Elle avait oublié sa cape dans la grange en flamme et sa robe était partiellement déchirée. Le vent frais de Givrevent s’insinuait dans les moindres interstices du tissu pour la faire frissonner.

Un cahot la secoua bien plus que les précédents et la princesse du s’accrocher aux barreaux de la charrette. Ses chaînes cliquetèrent et elle grimaça légèrement sous la douleur des fers bien trop serrés.

Son regard turquoise se posa alors sur les vieilles tours noires gardant le passage des Cols Maudits. Elle écarquilla les yeux de peur. Elle avait lu de nombreuses histoires sur cette région montagneuse. Même si, selon la légende, elle était le lieu du plus grand combat jamais mené contre l’armée du Seigneur Ecarlate, elle avait marqué par bon nombre de malheurs.

En plus d’être une route presque impraticable en raison de ses nombreux chemins en bordure de falaises, les montagnes maudites abritaient beaucoup d’espèces dangereuses et agressives comme les vecseen et les dragitadu. Si les premiers étaient plutôt solitaires et dormaient durant la saison morte, les dragitadu par contre était une civilisation charognarde et même cannibale selon certains savants. Aliénor ne voulait vraiment pas en croiser une dans sa vie. C’était justement à cause de la présence de ces monstres ailés que la plupart des voyageurs préféraient prolonger leur route de plusieurs jours. Il était préférable de contourner les montagnes plutôt que de servir de repas !

Ce fut pour cette raison qu’elle déglutit alors que la charrette passait dans l’ombre d’une des tours. Ses ravisseurs, les Nirruradu, étaient fous de passer par cette route ! Ils allaient tous mourir…

Elle ne put s’empêcher de garder les yeux ouverts. Le jour se couchait et les chevaliers allumaient des torches pour continuer à avancer. Elle entendit un gémissement et tourna la tête vers les autres prisonniers de sa charrette. Des gens de Sitin. Il y avait parmi eux une enfant. La princesse se rapprocha d’elle pour la rassurer. Elle ne dit toutefois aucun mot. Il leur était interdit de parler durant la traversée, question de survie. Un villageois avait protesté et en était mort d’une flèche. Les Nirruradu étaient peut-être des brutes mais ils n’étaient pas dénués d’intelligence car en ces lieux hostiles, le meilleur moyen de survivre était très certainement le silence.

Dans sa forteresse de Nanlimar, le Seigneur Drake attendait patiemment le retour de ses guerriers. Il avait simplement donné l’ordre pour passer à l’offensive juste pour ennuyer ce simulacre de roi qu’était Rowan. Son but était de ravager ses terres, détruire ses richesses et, s’il le pouvait, le ridiculiser aux yeux de ses sujets. Et capturer une partie de ces derniers aussi pour faire bonne mesure. Rowan ne devait pas compter sur la population de son royaume pour reconstruire ce qu’il avait prit la peine de détruire. Il préférait de loin en délocaliser une bonne partie et la vendre comme esclave à petit prix.

Pourquoi Drake s’acharnait dans une telle entreprise ? La vengeance.

Cela faisait presque quatorze ans qu’il la ruminait. Et seulement cinq qu’il la préparait activement d’une main de fer, depuis qu’il était monté sur le trône de son père. Il avait recruté des milliers d’hommes dans son royaume ainsi quelques voyageurs venant des terres inconnues qui cherchaient à s’établir pour constituer une immense armée. Il avait fait appel aux meilleurs maîtres d’armes de Graym Skaria pour l’entraîner avant de pouvoir commencer l’offensive contre son ennemi, l’homme qui lui avait ravi le cœur de la seule femme qu’il avait jamais aimée, la douce et ravissante Lady Lillian de Mirador. Et en ce mois de Givrevent, à la veille de la Grande Nuit, il était sur le point de lui porter un grand coup au cœur même de son royaume, juste au pied de la citadelle de Roklbanthel.

Son plan était ingénieux et imparable. Qui aurait soupçonné que des troupes passeraient par les cols maudits pour envahir les territoires ? Personne. Tout le monde avait bien trop peur de ces terres hostiles et laissées à l’état sauvage depuis des siècles. Mais si on envoyait l’un ou l’autre mage en guise de protecteurs, la traversée n’était pas impossible. Bien au contraire, elle en devenait que plus aisée, surtout face aux hordes de dragitadu.

En songeant à ces immondes créatures issues d’un passé lointain, il se massa l’épaule. Une vieille blessure de quand il était enfant se rappelait à lui. Une douleur mentale, un simple souvenir d’un jour traumatisant où il avait failli finir comme repas. Il frotta lentement son épaule sans vraiment y penser, le regard tourné vers les flots de l’océan qui s’étendaient à l’horizon. Peu à peu, ils prenaient un couleur lie de vin à mesure que le dernier soleil se couchait. C’était le Jour de la Tombée de la Nuit.

Cette période de l’année où le soleil, ni aucune des lunes n’apparaissait dans le ciel. A peine parfois quelques étoiles. C’était à chaque fois les jours les plus sombres et les éprouvants de l’année. Ils étaient associés au danger mais bon nombres d’histoires n’étaient que de vieilles superstitions datant de la nuit des temps. De part son expérience, il était assez aisé de survivre durant ces dix jours sans avoir besoin de s’enfermer chez soi. Pour peu que l’on sache où l’on va et qu’on ait suffisamment de vivre et de bois pour survivre, la Grande Nuit n’était pas une épreuve difficile. Il ne fallait juste pas être stupide ou incompétent.

Des coups contre sa porte le sortirent de ses pensées.

— Entrez, dit-il en se tournant vers son visiteur.

— Mon Seigneur, salua le garde en inclinant la tête.

— Parle. Je t’écoute, dit le roi Nirrurar en joignant ses mains dans le dos.

— Les hommes que vous avez envoyés dans les plaines d’Ewatha sont revenus, Mon Seigneur.

Un sourire en coin apparut sur son visage, imperceptible pour qui ne le connaissait pas. Il hocha la tête et congédia l’homme d’un signe de la main. Il se saisit de sa cape noire et se rendit dans la cour du château, où l’attendaient ses hommes.

Des torches avaient été allumées et éclairaient faiblement les prisonniers qui s’entassaient dans les charrettes.

— Vous étiez partis avec quatre charrettes, remarqua le monarque en s’approchant de l’un de ses hommes.

— Une attaque de dragitadu, Sire, répondit le chevalier en inclinant la tête. La charrette a été emportée dans un précipice au niveau du troisième col.

C’était à prévoir qu’il perde quelques hommes durant la traversée. Et la charrette n’était pas une grande perte.

— Sitin ? Demanda ensuite Drake.

— Nous avons agi selon vos ordre, Mon Seigneur, répondit le chevalier. Le village a été brûlé. Il n’en reste plus que des cendres. Nous avons ravagé les champs et abattu le bétail.

— De la résistance ?

— Rien que nous n’avons pu gérer, Mon Seigneur. Le village était, comme vous le pensiez, sans défense. Nous avons eu le temps de faire de nombreux prisonniers avant que le roi Rowan n’arrive avec une poignée de ses hommes.

— Bien, bien, fit le monarque en faisant courir son regard sombre sur les prisonniers.

Il claqua des doigts. Rapidement, la vingtaine de villageois se retrouva à genoux devant lui, le visage baissé sur le dallage de la cour. Aucun n’émettait la moindre plainte. Rien que d’avoir vu sa forteresse et son visage devait en avoir refroidi plus d’un. Sa réputation le précédait bien sûr, il était un roi juste mais impitoyable et il n’accordait pas facilement le pardon. C’était même une chose très rare de sa part.

— Mon Seigneur, puis-je parler ? Fit soudain le chevalier après un instant de silence.

— Faites, mon ami.

— Nous avons capturé une demoiselle qui doit probablement venir du château, informa l’homme.

— Du château, dis-tu ? Fit Drake en observant plus attentivement les prisonniers.

— Je le pense, Sire, répondit l’homme en hochant la tête.

Il désigna une jeune fille aux cheveux roux du doigt. Le roi l’observa avec attention. Malgré la lueur dansante des flammes, il pouvait clairement voir la coupe de sa robe. Certes, elle était abîmée et couverte de taches mais il avait vu suffisamment de riches vêtements et de tissus nobles dans sa vie pour en reconnaître au premier regard même dans la pénombre.

Il attrapa une torche et se rapprocha de la demoiselle.

— Levez-vous, ordonna-t-il.

La jeune fille sursauta au son de sa voix et leva les yeux vers lui. Son visage pâle prenait des teintes rougeâtres à la lueur des flammes. Mais son regard … Drake crut y percevoir quelque chose qu’il n’avait plus vu depuis très longtemps. Il cacha bien sa perplexité derrière son masque froid.

Il nota que la jeune fille tremblait de froid. Sa forteresse se situait au nord du Graym Skaria, loin des températures douces des plaines d’Ewatha.

— Guenièvre ! Appela-t-il soudain.

La demoiselle sursauta une fois encore au son de sa voix. Il n’en tint pas compte. Même si la jeune fille était très courageuse — à la regarder, il n’en doutait —, elle restait une enfant très loin de chez elle. Elle avait peur et c’était normal.

Des pas pressés se firent entendre et une femme d’une trentaine d’années approcha de lui.

— Oui, Mon Seigneur ? Fit-elle, se demandant ce que son roi pouvait bien lui demander à cette heure.

— Conduisez cette enfant dans l’aile ouest et installez-la dans une chambre, ordonna-t-il simplement.

Guenièvre fit une petite révérence et s’occupa immédiatement de la jeune fille.

Drake tourna ensuite son regard noir sur les autres prisonniers. Aucun d’eux n’apportait d’intérêt ou même une légère curiosité contrairement à la demoiselle qu’il venait d’accueillir comme invitée. Il fit un simple geste de la tête à l’un de ses chevaliers. L’ordre était donné sans qu’un mot ne fusse prononcé. Tous seraient jetés au cachot pour les dix prochains jours avant d’être embarqués sur un navire pour être vendus comme esclaves dans les terres lointaines.

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