005
Drake lisait les différents rapports concernant les récoltes, les richesses et recensement de la population de son royaume à la lueur de quelques bougies. Ils étaient arrivés à la moitié de la saison morte. En analysant les inventaires de ses greniers, il pouvait déjà constater que son royaume allait manquer d’un peu de blé d’ici la fin de Calblanc s’ils ne faisaient pas attention. Les récoltes avaient été un peu plus mauvaises cette année… Il signait un édit annonçant le début du rationnement quand il entendit la cloche retentir.
Le Nirrurar se redressa un instant et étira légèrement ses muscles avant de poser sa plume. C’était la septième cloche, annonçant le quatrième Jour des Dangers. Ils étaient bientôt arrivés à la moitié de la Grande Nuit.
Il se leva et alla près de la fenêtre pour observer le ciel d’encre. Il n’y voyait rien. Il n’y avait jamais rien eu à voir en cette période de l’année mais cette immensité de ténèbres et d’obscurité l’avait toujours fasciné. Observer le néant lui permettait de mettre de l’ordre dans ses pensées. Cela lui était nécessaire quand il devait prendre d’importantes décisions. Notamment la présence de cette jeune fille de noble présente dans son château. Ce n’était pas prévu à l’origine qu’il s’en prenne à la noblesse. Même si ces nobles damoiseaux et dames de compagnie vivaient dans la citadelle de Roklbanthel.
Il ne craignait pas grand-chose de cette histoire, il régnait sur son royaume d’une main de maître et il avait une armée de chevaliers qui lui était loyale. Mais s’attaquer aux nobles n’avait jamais été son but. La seule personne qu’il souhaitait faire souffrir était le roi Rowan. Personne d’autre. Certes, il y avait des dommages collatéraux comme des champs dévastés et des villageois tués ou déportés mais c’était un moyen d’arriver à ses fins.
Alors que faire de la jeune demoiselle à qui il venait d’accorder l’hospitalité ?
Il fit quérir Guenièvre afin de se faire un avis avant de la rencontrer. Cette dernière arriva rapidement, un bougeoir à la main pour se guider dans la nuit.
— Vous m’avez fait demandée, Mon Seigneur, fit-elle en s’inclinant.
— Oui, Guenièvre. Comment se porte notre invitée ?
— La demoiselle semble en bonne santé et ne souffre d’aucun dommage, Sire.
— A-t-elle demandé quelque chose ?
— Non, Sire. A vrai dire, elle est silencieuse depuis son arrivée.
— Elle ne s’est même pas présentée ?
— Non, Sire. Aucun mot n’est sorti de sa bouche. Malgré mes tentatives de la rassurer et l’inviter à parler un peu, elle reste muette. J’en viens à me demander si elle n’en est pas une…
— S’exprime-t-elle d’une autre façon ? Par des gestes ? S’enquit alors Drake, curieux.
— Non, Sire, répondit Guenièvre après un temps d’hésitation. Je ne pense pas.
Le monarque soupira et reporta son regard dans la noirceur de la nuit, pensif.
— Peut-être est-elle effrayée, commenta-t-il au bout d’un instant. Emmenée loin de chez elle à la veille des Jours de Dangers… C’est encore une enfant.
Il se plongea à nouveau dans le silence. Guenièvre resta là quelques minutes, immobile.
— Souhaitez-vous autre chose, Sire ? Demanda-t-elle au bout d’un moment.
— Non. Tu peux retourner à tes occupations, Guenièvre.
Elle s’inclina et sortit des quartiers de son roi. Drake resta un moment encore à observer l’obscurité. Réfléchir lui faisait du bien. Cela l’apaisait. Pas qu’il avait de grandes contrariétés désormais qu’il avait porté un grand coup à Rowan mais …
Il soupira et se détourna de la fenêtre. Il enfila sa cape et attrapa un bougeoir avant de sortir de ses quartiers. Il se rendait vers ceux de son invitée à l’identité encore inconnue. Il parcourut les longs couloirs de pierre et arriva au pied de l’escalier menant à la tour de l’aile ouest du château. Il monta les marches, notant que toutes les torches de la tour étaient éteintes, dissuadant quiconque de monter dans l’obscurité, ou pour ce qui concernait la jeune fille de descendre.
Il resta un instant devant la porte avant de l’ouvrir. Il découvrit la jeune fille assise à même le sol devant la cheminée, les bras entourant ses jambes, le regard perdu dans les flammes. Elle tourna vers lui son visage et se redressa immédiatement dès qu’elle le reconnut. Une lueur de peur et d’appréhension venait d’éclairer ses yeux clairs. Elle recula de quelques pas vers le lit et attendit, silencieuse, la tête légèrement baissée. Elle évitait son regard.
Tout en voyant cela, Drake referma doucement la porte derrière lui. Il s’avança ensuite de quelques pas, les mains dans le dos. Il n’observa pas la jeune fille plus longtemps que la décence ne lui permettait avant de prendre la parole.
— Vous n’avez pas à avoir peur de moi, dit-il. Je n’ai pas l’intention de vous causer le moindre mal.
La demoiselle releva lentement la tête et posa son regard sur lui. Elle fronçait légèrement ses fins sourcils, dubitative.
— Je vois que vous ne me croyez pas, continua le roi. C’est pourtant l’exacte vérité.
— Pourquoi m’avoir emmenée ? Pourquoi avoir brûlé Sitin ?
— Cela ne vous concerne pas, jeune fille. Mais pour faire simple, disons que j’ai un différend avec le roi Rowan.
— Un différend avec le roi…, répéta-t-elle dans un murmure, un peu plus effrayée.
— N’ayez aucune crainte, redit Drake en avançant d’un pas. Vous n’êtes pas responsable. Je ne vous ferai aucun mal.
Un silence pesant se fit sentir les instants suivants, uniquement interrompus par le crépitement des flammes dans la cheminée.
— Comment vous appelez-vous ? Demanda-t-il ensuite.
— Ali, Sire, répondit-elle d’une petite voix. Fille de Sire Wymark.
Drake resta impassible à cette réponse. Il voyait bien qu’elle mentait. Elle ne voulait pas dire sa véritable identité sans doute. Mais pour quelle raison ? Elle n’avait toutefois pas hésité à nommer un chevalier de grande renommée des Plaines d’Ewatha. Elle devait être issue de très haute famille au minimum, ou alors elle était très culottée. Dans les deux, il admirait son courage.
— Ali, répéta-t-il.
Il ne voulait pas la braquer contre lui et l’effrayer encore plus qu’elle ne l’était déjà en lui faisait remarquer qu’elle mentait. Il verrait cela plus tard une fois le retour de la lumière du jour.
— Eh bien, ma chère Ali, dorénavant vous allez rester ici en tant que mon invitée.
— Laissez-moi repartir chez moi, je vous en prie.
— Je crains que cela ne soit pas aussi simple, fit le roi en faisant un geste la fenêtre. La Grande Nuit est tombée. Il est impossible de voyager sur de longues distances dans ces conditions.
La jeune fille jeta un regard dans la direction indiquée et baissa la tête.
— Je comprends, Sire. Mais le Jour des Espoirs Retrouvés …
— Tout dépendra du temps, ma chère. Nous ne sommes pas dans les Plaines d’Ewatha. Le temps est très doux chez vous en cette période de l’année mais ici, il est glacial et souvent imprévisible. Nous avons notre lot de tempêtes et de blizzards. Mais je vous promets que votre père sera mis au courant de votre présence ici.
La jeune Ali baissa à nouveau la tête. Elle acceptait toutefois les raisons. Elles étaient pour le moment indépendantes de sa décision. Mais serait-elle aussi compréhensive une fois le retour de temps plus cléments ? Il verrait bien.
Il baissa le regard sur sa longue chemise de coton qui était bien trop grande pour elle. Et pas décente pour se présenter où que ce soit.
— Où est votre robe ? Demanda-t-il.
— Votre domestique l’a emportée avec elle. Elle était déchirée et couverte de terre, répondit la jeune fille en serrant ses bras autour d’elle pour cacher ses formes déjà généreuses pour son âge.
Drake détourna le regard pour ne pas la mettre plus mal à l’aise qu’elle ne l’était déjà.
— Dès que le soleil se lèvera, je ferai venir une couturière pour qu’elle vous confectionne quelques vêtements adaptés, dit-il alors avant de reculer et prendre congé.
Il sortit de la chambre et descendit lentement les marches. Il était pensif. Il déambula dans les couloirs et fit route en direction de l’autre tour du château, la plus haute, qui se situait au nord de la forteresse. Un mage y résidait depuis des années, depuis bien avant son couronnement.
Il frappa à la porte.
— Mon roi, fit le mage en l’invitant à entrer dans son espace. Que puis-je pour vous ?
— J’aurais besoin que tu fasses des recherches pour moi, Istraserius, répondit Drake en s’avançant dans la pièce.
Il fit courir son regard sombre sur les nombreuses tables surchargées présentes dans cet espace restreint et circulaire. Il se demandait parfois comment le mage arrivait à se retrouver dans un tel désordre. Entre les centaines de flacons et boîtes contenants des ingrédients divers et variés, ses bibliothèques surchargées de grimoires et ses breloques magiques à ne plus savoir où les mettre.
Il se tourna pour faire face à son mage et conseiller.
— Que voulez-vous savoir, Sire ? Demanda Istraserius en avançant vers une table chargée de plumes et de parchemins en tous genres.
— Qui est la jeune fille de noble qui vit à présent au château.
— Posez lui la question, Sire, répondit le mage en se redressant, surpris.
— C’est ce que j’ai fait mais elle a répondu par un mensonge.
— Qu’a-t-elle répondu ?
— Elle s’est présentée comme étant la fille de Sire Wymark.
— Hmmm… A ma connaissance, Sire Wymark n’a que des fils, commenta Istraserius, pensif.
Il écrivit quelques notes avant de se tourner vers une bibliothèque pleine à craquer. Il en sortit un livre épais que Drake reconnut tout de suite. Il s’agissait du registre des familles nobles, leur généalogie et leurs histoires depuis l’époque de Phargeh, et parfois même avant en ce qui concernait certaines vieilles familles.
— Je ferai ce que vous me demandez, Sire, promit le mage en feuilletant l’ouvrage. Mais il me faudra rencontrer la demoiselle pour pouvoir vous répondre.
— Vous êtes libre de le faire naturellement, autorisa le roi avant de se diriger vers la porte.
Il put voir le mage s’incliner légèrement avant de fermer la porte. Drake inspira profondément avant de descendre les marches de la tour. Il aurait très bientôt une réponse concernant cette Ali, fille de Wymark.
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