006

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Des sons de cloche retentirent au loin. Il y en eut quinze. Cela signifiait que huit jours s’étaient écoulé depuis la Tombée de la Grande Nuit. Huit jours qu’Aliénor était l’invitée du Roi Drake.

Elle soupira alors qu’elle se tenait assise devant la coiffeuse.

— Tout va bien, Mademoiselle ? Demanda Guenièvre.

Cette dernière s’était immobilisée dans son geste alors qu’elle coiffait ses cheveux.

— Oui, murmura-t-elle.

— Vous êtes sûre ? Vous semblez malheureuse.

— Je souhaite rentrer chez moi.

La dame de compagnie lui fit un sourire doux et reprit son œuvre dans ses cheveux roux. Aliénor s’observa un instant dans le miroir à la lueur des flammes. Elle ne comprenait pas trop pourquoi Guenièvre tenait tant à la coiffer alors qu’elle était encore en robe de chambre. Sa robe n’avait pas encore été réparée et elle n’en avait aucune autre de disponible. Elle la laissait pourtant faire. Cela lui faisait un peu de compagnie. A part elle, ne recevait aucune visite. Le Roi Drake n’était venu qu’une seule fois.

En pensant à lui, Aliénor réprima un frisson. A la lueur des flammes, l’homme ressemblait vraiment à ce qu’on disait de lui. Si sa voix douce et basse pouvait être envoûtante, son visage anguleux était dur et son regard noir aussi perçant qu’une aiguille. Elle n’avait pu le détailler davantage dans la pénombre mais ce qu’elle avait vu lui suffisait pour se dire de se méfier de cet homme. Cela et sa réputation à être impitoyable, bien sûr. Elle avait peur de lui. Elle espérait juste être assez forte pour le lui cacher et aussi dissimuler le fait qu’elle était la fille du roi Rowan. Il était de notoriété publique que les deux rois étaient ennemis de longue date. Elle n’avait jamais réellement su pourquoi mais le savoir l’effrayait encore plus que la réputation même de l’homme. Que serait-il capable de lui faire en apprenant qu’elle était l’héritière du trône de Roklbanthel ?

Pour sa santé mentale, elle ne préférait pas trop y penser mais les pires atrocités venaient la hanter dans ses cauchemars. Oh qu’elle souhaitait ardemment que son père vienne la chercher et la ramène chez elle !

— Et voilà, mademoiselle, dit soudain Guenièvre avec douceur.

Le regard d’Aliénor se fixa à nouveau sur le miroir et elle fit un léger sourire. Elle l’avait coiffé comme Mélisande le faisait depuis toujours. Le haut de ses cheveux étaient retenus en arrière par sa broche lunaire en argent et le reste tombait en cascade sur ses épaules et jusqu’au milieu de son dos.

— Je te remercie, murmura-t-elle.

— Avec plaisir, mademoiselle.

La porte de la chambre s’ouvrit et un homme pénétra dans la pièce. Il était vêtu d’une lourde tunique sombre et marchait avec un bâton étrange devant lui. Aliénor, sans le reconnaître, sut immédiatement à quel type de personne elle avait affaire. Un sorcier. Elle avait lu suffisamment d’écrits sur ces gens qui manipulaient la magie. Elle ne sut trop que penser de lui. Il était d’un certain âge sans qu’elle puisse réellement le définir à la lumière des torches. Tout ce qu’elle savait réellement de ces personnes, c’était qu’elle devait s’en méfier également. Ce n’était pas pour rien qu’il était interdit de pratiquer la magie dans les Plaines d’Ewatha. Des mages et des sorciers avaient semés le chaos dans le royaume du temps de son grand-père et de son père au point que la pratique soit interdite et passible de mort.

Le sorcier s’arrêta à dix mètres d’Aliénor. La jeune fille resta un instant immobile, ne sachant trop quoi faire. Elle était impressionnée par la présence de cet homme et elle se demandait ce qu’il venait faire là, auprès d’elle. Elle n’était personne. Du moins, officiellement ici, elle n’était que la fille d’un chevalier d’un royaume ennemi.

— Sors, ordonna-t-il à Guenièvre.

Cette dernière s’inclina et sortit sans dire un mot. Aliénor déglutit alors qu’elle se levait lentement, mal à l’aise. L’homme l’observait avec intensité. Il passa une main devant le haut de son bâton et une lumière éblouissante éclaira la chambre. La jeune fille leva la main pour se protéger. Un cristal magique comme on n’en trouvait plus. Ou du moins plus dans son royaume. Les entrées de mine avaient été détruites depuis des décennies, rendant ces pierres inaccessibles.

Il s’approcha lentement d’elle, frappant le sol de son bâton à chacun de ses pas. Aliénor resta figée, le regard fixé sur lui. La peur la paralysait. Qu’allait-il lui faire ? Pourquoi ne parlait-il pas ? Le Roi Drake avait été bien plus bavard. Elle maugréa intérieurement contre les interdits de son père. Elle aurait cent fois préféré en savoir plus sur les mages et sorciers en cet instant.

Il se saisit de son menton et la fixa avec encore plus d’intensité. La manière dont il la tenait était désagréable et légèrement douloureux mais elle ne pensait pas qu’il lui laisserait une marque.

— Votre nom ? Demanda-t-il soudain.

Sa voix était crissante et désagréable.

— Ali, répondit-elle dans un murmure, apeurée.

Cet homme lui semblait bien plus dangereux que le Roi Drake en cet instant. Les yeux du sorcier se plissèrent un instant et un sourire tordu déforma ses lèvres. Il la lâcha alors et recula de quelques pas. Il commença à lui tourner autour.

— Vraiment…, fit-il lentement. La … fille de Messire Wymark ?

— Oui, répondit-elle.

Le sourire du sorcier devint narquois.

— Vous êtes sûre ? Demanda-t-il.

— Certaine. Il s’agit de mon père.

— C’est étrange…, commenta-t-il alors. Mais il me semble que Messire Wymark n’a que des fils.

Aliénor déglutit à cette remarque. Elle allait avoir des ennuis, elle le sentait. Le sorcier continua à lui tourner autour.

— Êtes-vous croyante ? Demanda-t-il soudain.

— Je vous demande pardon ?

— Êtes-vous croyante ? Répéta-t-il avec un soupir qui ressemblait plus à un sifflement.

— Non.

— Étrange…, continua-t-il.

Il traçait toujours un cercle autour d’elle. Aliénor se sentait comme une proie devant un prédateur.

— Vous portez pourtant une amulette de Kihone, la Déesse de l’Obscurité.

— Oh…

Elle porta une main à ses cheveux et toucha quelques secondes sa broche à cheveux.

— C’est … un héritage, répondit-elle, hésitante. C’est tout ce qu’il me reste de ma mère. Elle est morte en me donnant le jour.

— Je vois…, fit l’homme en s’arrêtant devant elle.

Il resta un moment silencieux devant elle. Elle en était de plus en plus mal à l’aise. A croire qu’il la scrutait jusqu’au moindre détail de sa personne. Avec la lumière que son sceptre dégageait et transformait la nuit en jour, c’était tout à fait possible.

— Je rapporterai notre conversation au roi, Princesse, dit-il avant de sortir, emportant sa lumière éclatante avec lui.

Quand la porte se referma, Aliénor soupira de soulagement. Elle ne s’était pas rendue compte qu’elle avait retenu sa respiration sous la pression. Elle resta un moment immobile à se remettre de cette rencontre. Elle inspirait longuement et reprenait ses esprits.

Alors qu’elle se rejouait leur conversation en tête, un accès de peur l’atteint. Il l’avait appelée ‘princesse.’ Le sorcier savait qui elle était !

Elle courut vers la porte et l’ouvrit. Elle ne rencontra que noirceur et obscurité devant elle. Le sorcier était déjà loin.

— Attendez ! Fit-elle.

Sa voix résonna dans l’escalier de pierre. Elle descendit quelques marches, bravant sa peur du noir, à la recherche de l’homme qui l’avait ainsi effrayée. Elle ne voulait pas qu’il révèle son identité au Roi Drake. Elle avait peur des conséquences…

Elle continua sa progression et accéléra même le pas. C’était son erreur dans l’obscurité des lieux. Elle rata une marche. Elle glissa sur plusieurs d’entre elles avant de se cogner contre le mur de la tour. Mais sa chute n’était pas finie pour autant. Elle dégringola les escaliers en colimaçon et percuta tant les marches de pierre brute que les briques ou extérieures ou encore le pilier central. Aucune partie de son corps ne fut épargné de la douleur. Mais le pire fut bien sa tête quand elle se prit le rebord d’une marche. Le choc fut violent et suivi de nombreux autres.

Soudain, elle s’immobilisa. Elle était arrivée en bas de l’escalier. Elle souffrait. Elle tenta d’appeler à l’aide mais aucun son ne sortit de sa bouche. Elle avait l’impression d’être paralysée. Son corps ne lui répondait plus. Elle ne sut réellement dire si elle arrivait à ouvrir les yeux ou non. L’obscurité était telle qu’elle ne pouvait faire la différence. Elle était aveugle de tout.

Petit à petit, malgré la douleur, elle commença à ressentir autre chose de bien plus dérangeant. Le froid. Il était atroce. Elle avait l’impression d’être collée à un bloc de glace. Elle en tremblait. Elle se rendit compte toutefois que ce froid horrible était bénéfique dans un sens. Il lui faisait oublier la douleur, comme s’il l’assourdissait. Finalement, à choisir, entre le froid et la douleur, elle préférait avoir froid. Incapable de bouger ni même de parler et d’appeler à l’aide, elle se laissa aller à l’obscurité.

Elle perdit connaissance.




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