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Guenièvre épongeait le front d’Aliénor pour la rafraîchir. Cela faisait cinq cloches depuis le moment où elle l’avait découverte sur le sol de pierre. Elle n’était plus froide du tout. L’ennui était maintenant qu’elle avait de la fièvre pour être restée aussi longtemps — ils ignoraient encore combien — dans le froid glacial qui régnait dans les couloirs du château.

La femme était étonnée de savoir que la jeune fille était en réalité la princesse de Roklbanthel. Elle n’y aurait jamais pensé. C’était surprenant. Mais pas impossible. Guenièvre se sentait honorée que son roi lui accorde une telle confiance pour s’occuper de la demoiselle désormais. Sans le dire, il venait de la désigner comme sa dame de compagnie. Elle ne le décevrait pas et ferait de son mieux pour subvenir aux besoins de la jeune fille hélas toujours inconsciente.

Elle termina sa toilette et écarta la bassine d’eau et le carré de lin qu’elle employait. Elle se tourna ensuite vers le feu pour en raviver un peu la flamme et ajouter quelques bûches. Elle ne savait pas trop quoi faire maintenant qu’elle était assignée à la chambre de la jeune fille pour bien plus longtemps. Ses autres tâches avaient été réparties à ses amies et même à de simples domestiques pour certaines.

Elle soupira et se déplaça vers la fenêtre tout en serrant son châle autour de ses épaules. Elle sourit légèrement en constatant que le soleil ne tarderait pas à se lever. Enfin le Jour des Espoirs Retrouvés… Après tous ces jours de nuits, il était temps. L’obscurité était toujours aussi oppressante… Elle ne l’aimait pas mais il était impossible de faire autrement que de vivre avec elle tout en espérant revoir le soleil se lever.

Elle resta donc là à observer le ciel se colorer peu à peu de bleu puis de rose et de jaune. Pour un premier jour de Souffretempête, il était particulièrement dégagé. C’était suffisamment rare pour être constaté. Généralement, le ciel était toujours relativement grisâtre et porteur de neige en début d’année. Ses pensées étaient pleines d’espérance alors qu’elle priait pour que la jeune demoiselle derrière elle se réveille.

Le roi Rowan se tenait dans l’armurerie et se préparait à partir en guerre. Son coeur était lourd, aussi lourd que lorsqu’il avait perdu son épouse. Mais cette fois-ci, il n’était pas chargé de chagrin mais bien d’inquiétude, de peur et de haine. Une haine intense qu’il dirigeait sur Drake, le roi de Nanlimar. A cause de lui, ses terres avaient été dévastées mais sa fille était aussi portée disparue, certainement emportée avec les autres villageois qui avaient été faits prisonniers lors de l’attaque.

Le Jour des Espoirs Retrouvés s’était enfin levé. A cause de la tombée de la Grande Nuit, il avait été forcé d’attendre avant de pouvoir ordonner la marche sur le royaume d’à côté. Les routes étaient tout simplement impraticables lors d’une telle nuit, surtout sur les terres du nord. On n’appelait pas cette période les Jours de Dangers pour rien. C’était le moment où les bêtes nocturnes étaient les plus dangereuses car elles circulaient bien plus loin de leur nid pour se repaître. Rien qu’en ayant eu le rapport de deux morts parmi ses soldats le premier jour, il avait ordonné le premier repli en attendant le retour de la lumière.

Maintenant qu’elle était là, pâle et grise comme à chaque saison morte, il était prêt à partir arme au poing pour assiéger le château de son ennemi et réclamer à Drake qu’il lui rende sa douce et précieuse fille.

Drake était debout à la fenêtre de ses quartiers. Lui aussi observait le lever du jour. Il appréciait le retour de la lumière et un monde de couleurs. Même si cela annonçait un mois de difficultés à surmonter à cause des nombreuses tempêtes… Mais en ce moment, ce n’était de cela dont il s’inquiétait. À sa connaissance, la jeune Aliénor ne s’était pas encore réveillée. Même s’il s’agissait de la fille de Rowan, il était particulièrement inquiet. Cela faisait trois jours qu’elle était inconsciente.

Il avait juste une seule chose qui le rassurait un peu plus chaque jour sans pour autant enlever cette pointe d’inquiétude. La parole d’Istraserius. Le sorcier lui affirmait à chaque fois que l’esprit de la princesse était actif, juste un peu plus lent, comme endormi. Tout lui semblait normal selon lui au vu du choc à la tête qu’elle avait subi et des heures passées dans ce froid glacial. Le corps n’avait cherché qu’à se protéger en ralentissant ses fonctions vitales. Il ne fallait plus qu’attendre désormais qu’elle réagisse. Le sorcier était confiant, d’autant plus désormais qu’il partait à la recherche de quelques ingrédients pour préparer une potion pour l’aider à se remettre.

Alors Drake s’en remettait à son jugement, confiant. Cela n’empêchait pas ce sentiment de culpabilité dans sa poitrine. A aucun moment il n’avait désiré faire du mal à la jeune fille d’une quelconque manière. Certes, il n’était pas directement responsable mais il avait ce sentiment que c’était de sa faute. Cela s’était déroulé dans son château, il était son hôte. Quel genre d’hôte et de roi était-il, quelle légitimité avait-il à régner sur son royaume si au sein de son propre domaine, sous sa surveillance pour ainsi dire, quelqu’un se blessait et ne recevait pas l’aide adaptée dans les plus brefs délais. Il se faisait sans doute des idées et se torturait pour rien mais il ne pouvait s’empêcher de penser ainsi.

Son attention fut ensuite attirée par un garde. Avec les premières lueurs du jour, les premiers problèmes réels et immédiats qu’il pouvait gérer ou tout simplement intervenir s’étalaient devant lui. Dans ce cas-ci, faire déblayer la route menant au village de Nenu et y constater les dégâts de la première tempête de neige. Avec un peu de chance, cette année, il n’aurait pas à accueillir quelques habitants à l’intérieur de la forteresse, dans la basse ville. Même si le contraire ne le dérangerait pas. Cela avait été une tradition lors des derniers siècles d’accueillir les habitants de maisons saccagées par le temps peu clément. Depuis l’époque du fondateur de son royaume, Phargeh lui-même. Quelqu’un d’intègre et désireux d’aider son prochain. Étonnant pour un nécromancien à cette époque… Ils étaient tous réputés si sombres et dangereux… Il avait été l’un des premiers à prouver qu’être un nécromancien ne signifiait pas spécialement être un monstre.

Aliénor sentit quelque chose d’humide sur son visage et elle tourna lentement la tête. La chose revint, doucement. C’était frais mais pas trop désagréable. Elle ouvrit les yeux pour découvrir ce que c’était. La lumière l’éblouit et elle referma les yeux dans un gémissement.

— Mademoiselle ? Fit une voix dans laquelle on pouvait percevoir un certain soulagement.

Il s’agissait de Guenièvre. La jeune fille rouvrit péniblement les yeux. Elle découvrit la femme penchée sur elle, un morceau de lin humide en main. Elle lui fit un sourire alors qu’elle lui épongeait le front.

— Comment vous sentez-vous, mademoiselle ?

— Fatiguée, murmura Aliénor. Et j’ai froid…

— Je vais raviver le feu, dit Guenièvre en écartant le linge frais. Avez-vous faim ?

— Non… Pas vraiment.

La femme l’observa un instant avant de se lever pour s’occuper du feu.

— Je vais vous apporter un peu de bouillon dans ce cas. Cela fait un long moment que vous dormez. Il faut que vous mangiez quelque chose, c’est important.

Aliénor ne répliqua pas. Elle se sentait malade et fiévreuse. Du bouillon lui ferait certainement du bien. Elle resta sous les couvertures le temps que Guenièvre s’occupe du feu et revienne avec un bol fumant. Là, elle fut aidée pour se redresser dans son lit. Elle se sentait faible et chacun de ses mouvements était lent. Mais la femme resta patiente, un sourire doux sur son visage à chaque fois que leurs yeux se croisaient.

Aliénor mangea lentement le bouillon dans son lit, bien au chaud sous les épaisses couvertures. Dans le silence de la pièce, le regard de la jeune fille se perdit par la fenêtre et elle nota que le jour s’était levé et qu’une tempête faisait rage. De la neige volait dans tous les sens à une vitesse folle tandis que le vent malmenait les carreaux.

— Quel jour sommes-nous ? Demanda-t-elle au bout d’un moment.

— Nous le huitième jour de Souffretempête, mademoiselle, répondit Guenièvre.

— Déjà ?

— Vous avez dormi pendant dix jours.

Les yeux de la princesse s’écarquillèrent de surprise. Elle n’avait pas réalisé qu’elle avait dormi aussi longtemps.

— Vous vous êtes cognée la tête en descendant les escaliers, continua la femme en approchant du lit. Pourquoi êtes-vous sortie de votre chambre sans lumière ? Il est dangereux de s’aventurer dans les couloirs du château dans le noir. Il est très facile de s’y perdre…

— Je …

Aliénor chercha à se remémorer les derniers événements qui l’avaient poussées à sortir de la chambre. Ni même comment elle se trouvait là et non pas chez elle en premier lieu. Réfléchir lui donna la migraine et elle porta la main au front. Elle retint un gémissement.

— Je ne me rappelle pas, répondit-elle alors.

— Cela ne va pas, mademoiselle ?

— J’ai mal à la tête.

— Reposez-vous dans ce cas. Je vais faire savoir au roi Drake que vous vous êtes réveillée.

La jeune fille hocha la tête et se recoucha. Elle accueillit avec un certain bonheur le retour de l’obscurité quand Guenièvre ferma les rideaux et elle se rendormit assez rapidement, déjà épuisée.

Quelques coups furent donnés à sa porte.

— Entrez, fit Drake, la tête penchée sur des parchemins.

Il leva les yeux pour s’enquérir de l’identité de son visiteur.

— Ah … Guenièvre, dit-il alors en se redressant. Quelles sont les nouvelles ?

— Elles sont bonnes, sire, répondit-elle après s’être inclinée. La princesse s’est réveillée mais elle est encore fiévreuse.

Le roi retint un soupir de soulagement. La jeune fille s’était réveillée. Quelle bonne nouvelle ! Même très bonne ! Cette boule dans son ventre se faisait déjà moins oppressante.

— Bien ! Dit-il. Veillez à ce qu’elle se rétablisse, ordonna-t-il ensuite.

— Oui, sire.

— Savez-vous par hasard pourquoi est-elle sortie de sa chambre ?

— Non, sire. Elle ne s’en souvient pas elle-même. Je suppose qu’il s’agit d’une perte de mémoire à cause de son coup à la tête…

Drake hocha la tête. C’était plausible. Il congédia la femme et resta un instant pensif. Maintenant qu’elle était réveillée, il devrait certainement faire très bientôt face à ses questions. Mais puisqu’elle semblait avoir une perte de mémoire, il se demandait maintenant comment il allait y répondre…

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