Maladresse

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Dario lança la balle vers Gabino, sur sa droit. Ce gros bébé de gaucher devait se bouger pour l'attraper et la loupait la plupart du temps. Dario aimait bien quand il ratait son coup. Après tout à qui la faute s’il ne se servait pas de sa main droite ? Voilà pourquoi il acceptait de jouer avec lui, qui avait besoin d’un gaucher à part pour s’en moquer ?

Dario courut vers Gabino, passa par sa droite. Le gaucher se décala vers le canal, le petit malin voulait prendre Dario à sa propre ruse.

Il lança la balle vers Gabino, elle rebondit sur son épaule et revint vers Dario qui l’évita maladroitement. Son pied gauche manqua le bord du quai, il tomba.

L’eau saumâtre et tiède lui asséna une claque, Dario coula à pic. Sa plongée semblait sans fin, plutôt que de ralentir, elle accélérait comme dans un tourbillon.

La panique le saisit, il secoua les bras dans l’espoir de freiner sa descente, sans effet.

Sa tête jaillit à l’air libre comme un ballon lâché du fond d’une piscine. Il inspira à grands coups frénétiques et stabilisa sa position de quelques mouvements de jambes.

Gabino le regardait depuis le bord du quai, mi-inquiet, mi-amusé. D’autres garçons de la bande se rapprochèrent et l’un d’eux cria : « passe-nous ta main. Pas celle-là, débile, la bonne main. »

Sonné par son plongeon, Dario tendait le bras droit. Il ne parvenait pas à s'agripper à son camarade .

À force d’échec, il finit par présenter sa main gauche et fut aussitôt hissé sur le quai.

Les pavés chauffés par le soleil d’été l’accueillirent, une nappe d’eau dégoulinait autour de lui et reflétait le ciel. Sa tête tournait, un malaise le saisit, une impression étrange qu’il ne comprenait pas. Il sentait que quelque chose clochait, un détail le dérangeait sans pouvoir le percevoir clairement.

— Alors le droitier, pourquoi t’es passé si près du canal, malagauche comme t’es ? Autant gagner du temps et plonger direct ? lança Gabino, un sourire mauvais collé sur eles lèvres.

Dario se contracta, des digues cédaient et les émotions tentaient de le submerger, il sentit les larmes venir.

— Allez, pleure pas. Va voir ta maman. Elle te fera faire des découpages et si tu n’arrives pas à utiliser des ciseaux, elle t’en achètera des spéciaux pour droitiers.

La perplexité gagna Dario, Gabino ne se comportait jamais comme ça. Il était un peu débile, mais jamais méchant, juste maladroit, et d’habitude, Dario menait le jeu.

Sa tête tournait, le monde semblait fou, ses camarades étaient devenus gauchers. La sensation qui le dérangeait prit toute sa signification : tout était inversé, comme s'il contemplait le monde dans le reflet d'un miroir.

Il prit peur, écarta ses amis avec de grands gestes désordonnés. Il voulut fuir, recula, tomba. L’eau tiède du canal l’aspira, comme si la surface le rejetait et le fond l’attirait.

— Passe ta main ! lui criait Gabino, inquiet.

Dario donna naturellement la gauche et sortit de son deuxième bain de la journée. Autour de lui, tout avait repris son apparence normale, les copains tendaient la main pour l’aider, la bonne, selon son point de vue.

Il regarda Gabino, Gabino le regardait. Dario se demanda s’il savait pour son voyage, et Dario s’excusa muettement.

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