Aaah. Je m'éveille enfin.

Mes délicats yeux fendus d'une pupille verticale sont aveuglés par la clarté étonnante du jour. Dans la brume légère, je vois. Sous le pâle éclat de la lune, je sens.

La brise chaude de l'été joue dans ma fourrure d'ébène et entraîne ma queue touffue avec elle. La chasse est longue. Il faut partir. Le sang des proies m'appelle. Je veux son goût exquis sur ma langue. Je veux l'avaler et le sentir brûler ma gorge. Je veux le voir me conduire à la folie.

Meurtrier. Sauvage et plein de haine. Monstre. Traître. Que de noms maladroits. Non. Je ne suis pas aussi cruel que le prétendent les récits. Mais je ne suis pas une légende que l'on raconte aux enfants pour obtenir une obéissance sans réserve. Je suis là. Tapis dans les ombres. L'ambre de mes iris scrutant le moindre faux pas. La moindre... Faiblesse.

Oh, si fabuleuse. Leur chair si fabuleuse et tendre déchiquetée entre mes griffes acérées. Et leurs os craquants sous mes crocs. Regarder sans rien dire leur vie s'écouler sur la terre. D'un merveilleux carmin elle pare la poussière.

Damné. Je suis damné. Deux têtes lupines pour un même corps. Deux esprits qui se dédient à la Traque. Mais... Deux âmes qui s'entendent à la perfection. Non. Je ne suis pas maudit.

Mon nom... Quel est mon nom ? Tant de siècles de massacre et de glorieuses mises à mort l'auraient effacé ? Alors appelez-moi simplement L'Ombre des bois. L'Ombre des bois d'Auram.

Debout sur un promontoire rocheux, j'observe en silence la forêt, mon imposante musculature dominant la vallée. Un coup de fusil résonne. Humains. Vous n'avez pas la permission de déranger mon territoire. Je le protège et le préserve de votre présence. Je me remet sur mes quatre pattes, rugissant d'un côté, hurlant de l'autre. Vous êtes prévenus.

Une odeur métallique flotte déjà dans l'air. Je vais avoir droit à un festin royal ce soir.