Le garçon aux briquets verts
Une ruelle sale. Des murs de briques qui devaient être rouge, mais qui ont bruni avec le temps et la crasse des commerces alentour. Un tas de vieilles poubelles de métal comme il ne s’en fait plus. Malgré les poubelles, des énormes tas de détritus jonchent le sol. Les papiers volent au vent, tournoyant sans cesse, remontant vers les toits en piteux états. Des flaques d’eau glacée de la dernière pluie marquent encore le sol de la ruelle, déjà poussiéreux.
La nuit tombe doucement sur cet univers, déjà froid par le peu de lumière qui atteint les conteneurs en ce mois de février. Seul le vent pénètre allègrement les espaces, recoins et trous. Le vent, la pluie et la neige se mêlent à la tristesse de l’absence de soleil.
Roulé en boule dans un des conteneurs se trouve Bic. Personne ne sait son vrai nom, et lui-même l'oublie souvent. Il a parfois un vague souvenir de temps plus chaud, plus heureux, où une douce voix l’appelle Sébastien… Bic est orphelin. Nul ne sait pourquoi. Nul ne lui demande non plus. On le connait en tant que Bic, puisqu’il a toujours des briquets verts dans ses poches. Il les vole. Seulement les verts l’intéresse; il lance les autres en bordure de la ruelle, où ils sont ramassés soit par des passant, soit par d’autres itinérants.
Bic erre seul dans la ruelle qui est devenue son domaine. Les animaux abandonnés n’y viennent pas; puisqu’aucun restaurant ne veut s’installer dans les alentours, la nourriture est très rare. Bic doit marcher quelques dizaines de mètres afin d’espérer trouver quelque chose. Malheureusement pour lui, les raton laveur ainsi que d’autre jeunes de la rue passent souvent avant lui, ne laissant que des os à moitié grugés, du pain rassis et autres victuailles baignant dans des jus plutôt quelconque.
Aujourd’hui, Bic s’est senti plus seul que jamais. D’habitude, lorsqu’il s’ennuie, il va dans le parc regarder les écureuils et les pigeons. Ou il essaie d’attirer les chats de gouttière. Il pourrait aller se voler quelques vêtements pour se changer, mais il l’a déjà fait, hier. Il a beau avoir la ruelle à lui, il ne lui sert à rien d’avoir plus de vêtements, puisqu’on les lui volera. Bic se sent terriblement seul dans les hurlements du vent froid et saisissant qui pénètre son conteneur, le moins troué du lot. Les autres sont plein de marchandises variés; jouets brisés, fournitures de bureau inutilisable, textiles quelconques.
Bic a rencontré beaucoup de difficulté à se trouver un manteau la veille; il a failli se faire prendre et a dû laisser son vieux sur place, ne partant qu’avec un T-shirt et un pantalon. Il en a même oublié ses souliers. Il a donc dû ramasser des vieilles branches mortes, rares à ce temps-ci et souvent ramassées par le service de déneigement. Avec ses quelques brindilles et des feuilles prises dans un autre conteneur, il arrive à se faire un petit feu. Malgré les risques, il ferme le couvercle pour réussir à garder la chaleur et place quelques grands morceaux de carton devant les trous les plus gros.
Il regarde le pauvre feu qui semble se plaindre lui aussi des conditions dans lesquelles il a été convoqué. Il n’y avait tellement pas de matériau que ça lui était difficile de prendre… Bic dû se résigner à aller chercher encore d’autres papier et carton pour l’entretenir.
Il est maintenant assis devant le feu, les yeux dans le vide, l’esprit ailleurs. La chaleur du feu le ramène loin en arrière. Là où il avait une famille. Adossé à son mur de fortune, il essaie de revoir le visage de celle qui le berçait et qui lui donnait le nom de Sébastien. En vain. Le visage ne vient pas. Une forme, des cheveux à la couleur changeante et incertaine, des trous presque béants pour office d’yeux. Malgré cette informité, Bic la trouve belle.
Bic se laisse bercer tout doucement par la voix, qui puise en partie sa force dans la lueur du feu qui crépite encore. Il s’est endormi, se sentant maintenant beaucoup moins seul.
Un employé de la papeterie sort dans la ruelle, avec un énorme bac de recyclage sur roue, plein de papier et de cartouches d’encre. Il constate que la plupart des conteneurs sont trop plein; il a d’autres voyages à ramener, la soirée ayant été particulièrement exigeante. Toute les cartouches semblaient s’être vidées en même temps, à moins que l’encre n’aie que séché? Peu importe. Il ne reste qu’un conteneur dont les commerçant ne se servent jamais. L’employé y vide peu à peu son bac. Une autre porte de commerce s’ouvre; celle du magasin ou Bic a failli se faire prendre. Ses souliers et ses vieux vêtements sont jetés dans le conteneur, ainsi que plusieurs autres morceaux présentant des défauts. Voyant que l’employé de la papeterie éprouve quelques difficultés à vider son bac, la dame du magasin lui donne un coup de main…
Les pompiers ont été appelés. Ils ont maîtrisé le feu, mais plus rien ne reste. Tout ce qu’ils ont trouvé sont des vieux souliers usés par le temps et la marche, presque fondu, un amas de roulettes métalliques, et Bic, roulé en boule, collé sur une des parois du conteneur, avec la peau du visage juste assez brûlée pour qu’il puisse garder son sourire pour lui.
Annotations