Día de Muertos
La cabane de Jean-Jean se trouvait perdue au milieu des bois. Si tant est qu’il y ait un début, un milieu et une fin à cette maudite forêt, tant elle était immense. Après avoir garé leurs véhicules sur le parking du Roc la Tour, quatre gendarmes accompagnés de leur capitaine et du commandant Bellocq s’enfoncèrent dans les taillis et progressèrent sur un chemin escarpé, le long d’un ruisseau. Sous la lumière matinale qui transperçait les feuillages, on entendait le bruissement de l’eau et le chant des oiseaux, tandis que la fraîcheur du sous-bois exhalait les teintes boisées de la terre brûlée et l’odeur puissante et subtile de l’humus et des résineux. Peu enclin à la randonnée, le Gitan regrettait de ne pas avoir opté pour des chaussures de marche plus appropriées ; ses Repetto Richelieus Zizi lui faisaient mal aux pieds.
Après deux kilomètres de dénivelé, la troupe arriva dans une petite clairière cachée entre deux hémicycles rocheux aux parois abruptes. Un cirque à ciel ouvert au milieu duquel se dressait la vieille cahute du charbonnier. Elle semblait bien petite, vue de l’extérieur. Un imposant berger d’Anatolie, solidement attaché au piquet pour monter la garde, se mit à aboyer à l’approche de la troupe. Le pauvre clebs, laissé à l’abandon, semblait avoir les crocs. À côté de la modeste cabane séchait une dizaine de stères de bois protégés sous des bâches en plastique. Au milieu du terrain se dressaient trois meules de ce même bois recouvertes de terre et de mousse ; il s’en échappait de la fumée. C’étaient là les fameuses charbonnières dans lesquelles on introduisait quelques pelletés de braise pour que les bûches se consument, à l’étouffée, avant de se transformer en charbon de bois.
Les gendarmes n’eurent aucun mal à forcer la porte de la bicoque, prenant garde de ne pas se faire croquer par le molosse qui avait du mou dans la corde. Deux d’entre eux y pénétrèrent, équipés de lampes torches tandis que les deux autres inspectaient autour des tas de bois.
- Il se contentait de bien peu le père Jean-Jean, constata le Gitan qui s’était assis sur un rocher pour ôter ses grolles et se masser les arpions.
- Il braconnait, à ce qu’on dit. Les gens d’ici lui donnaient parfois des légumes ou des vêtements chauds pour l’hiver. C’était un excentrique mais il était apprécié, répondit Dax.
La remarque du capitaine ne fit que rajouter du dépit dans le cœur de Bellocq qui avait expédié l’ermite six pieds sous terre, une semaine auparavant.
- Vous n’aviez pas le choix, rajouta Dax qui semblait avoir lu dans les pensées du commandant.
- Capitaine, Commandant... venez voir ! cria l’un des gendarmes entrés dans le cabanon.
***
L’unique pièce qui constituait la cabane, entièrement tapissée et isolée de papier journal, était équipée d’un vieux poêle à bois, d’un lit en fer forgé, d’une penderie et d’une table en formica sur laquelle étaient entreposés quelques assiettes et des couverts. Il n’y avait ni électricité ni eau. Celle-ci était puisée à la source la plus proche et stockée dans un jerrican.
- Venez voir, c’est ici ! dit l’un des condés au capitaine, braquant sa torche sur la penderie.
Dax et Bellocq s’approchèrent de la garde-robe et découvrirent, empilés sur l’une des étagères, des blocs de schiste noir et de la pierre d'ardoise sur lesquels reposaient diverses reliques.
- Día de Muertos ! s’exclama le Gitan.
- Qu’est-ce que c’est ? demanda le capitaine stupéfait.
- Un Autel des Morts.
Au sommet de la structure trônait une photo de Freddy Van Buick découpée dans le journal et soigneusement encadrée entre un chapelet en bois d’olivier et une Sainte Vierge, les pieds dans la neige sous une boule en verre. Sur une couche inférieure étaient posés un croûton de pain sec, une tasse d’eau et un bol de sel. On avait disposé des bougies, des bâtons d'encens et dispersé des pétales de fleurs tout autour.
- Chez les chrétiens, l’eau symbolise la vie et les bougies : la foi, expliqua Bellocq au capitaine. Quant au sel, il représente la purification et la préservation du corps.
- Et ça ? interrogea le gendarme en désignant trois objets qui reposaient au pied de l’autel. C’est bien ce dont à quoi je pense ?
- Ça ! rebondit Bellocq circonspect, ce sont les effets personnels du défunt. Ainsi, on préserve sa mémoire.
Il y avait là, placés sur un morceau d’étoffe : une chaussure en cuir de vachette, une cagoule en laine et un téléphone portable.
Annotations