Si vis pacem para bellum
Vous avez... un... nouveau message... aujourd’hui... à 16 heures 17 :
“Capitaine, ici Bellocq ! Vous n’ignorez pas quel jour nous sommes. J’ai des informations à vous communiquer. Rejoignez-moi aux “Rapides de Phade” ! Le plus tôt sera le mieux. Je vous attends...”
Pour rappeler, tapez 5 ! Pour effacer, tapez 2 ! Pour réécoutez, tapez 3 !
***
Bien qu’astreint au devoir de réserve que lui imposait son statut de militaire, le capitaine Dax n’en était pas moins homme. Un homme rongé par la colère de ne pouvoir que se soumettre, impuissant, à une hiérarchie incompétente qui avait balayé la voie de la raison. C’est donc empli d’une curiosité bien légitime qu’il partit seul, en patrouilleuse banalisée, au camping où Le Gitan lui avait donné rendez-vous. L’officier n'avait évidemment pas oublié la date du 2 septembre 2020. C’est cette nuit-là que la pleine Lune, après un cycle de vingt-neuf jours et demi, allait faire son come-back. Chemin faisant, il repensa à la théorie fumeuse et capillotractée du loup-garou que le commandant lui avait exposée aux premiers jours de l’enquête. L’agnostique capitaine se refusait à y croire mais ne voulait cependant écarter aucune piste, aussi invraisemblable soit-elle.
Dix minutes plus tard, il arriva enfin à l’emplacement numéro dix-sept du camping où le commandant faisait le pied de grue à côté de son Wohnmobil.
- Quelle surprise de vous voir, Bellocq ! Je vous croyais reparti depuis deux jours à Reims, salua-t-il le flic, sitôt débarqué.
Il s’alluma un clou de cercueil dans la foulée ; le premier de la journée à en juger par la profonde inspiration et le contentement que la nicotine sembla lui procurer.
- Ma femme me tuerait si elle me voyait, minimisa-t-il son plaisir coupable sur le ton de la plaisanterie.
- Si elle pouvait reporter ce projet à plus tard, il nous reste encore quelques chapitres à écrire, tempéra le commandant pince-sans-rire avant d’entrer dans le vif du sujet : Eleanor ! Ça vous cause ?
- Ce nom me dit vaguement quelque chose, fumailla le capitaine en faisant rouler sa Caporal entre les doigts. Qui est-ce ?
- Une sale tempête venue d'Irlande, en 2018, qui balaya le Grand-Est et les Hauts-de-France avec des vents à plus de 100 km/h générés par un front froid particulièrement actif.
- Je m’en souviens, oui ! La vallée n’avait pas été épargnée d’ailleurs. Mais quel rapport avec notre affaire ?
- L’orphelinat sur les hauteurs de Monthermé avait particulièrement souffert des intempéries.
- L’orphelinat ? se recorda le gendarme.
- Exacty ! Et savez-vous à qui la direction avait fait appel pour réparer les dégâts de toiture ?
- Ne m’dites pas ! objecta Dax qui commençait à brûler : Groslin & fils, l’entreprise où a bossé Freddy Van Buick.
- Bingo ! acquiesça Bellocq.
- Bon sang, c’est donc de là que venaient les SMS, la nuit du meurtre, alors !?
- Et c’est pourquoi je m’y suis rendu ce matin. Je sais dorénavant ce qu'était le « colis » que Freddy était venu chercher cette nuit-là. Suivez-moi !
Bellocq se dirigea alors vers son bahut, ouvrit la porte latérale de la cellule arrière puis, d’un geste de la main, invita son collègue à pénétrer à l’intérieur. N’en pouvant plus devant tant de mystères, le capitaine Dax écrasa son mégot sous sa chaussette à clous, s’exécuta et...
- Merde alors, qui c’est celui-là ? lâcha-t-il, surpris.
Un grassouillet au teint blanchâtre et au crâne de limace était installé sur la banquette, menotté à l’un des pieds de la table du salon. La patte du meuble solidement scellée au plancher n’offrait aucune perspective d’évasion.
- Capitaine, je vous présente Face de craie, jubila le Gitan en lui désignant la bobine du prévenu.
- Je m’appelle Gervais, s’insurgea l’animal. J’ignore qui est ce Face de Craie. Ça fait une heure que j’me tue à lui dire.
- Et futé avec ça ! ironisa Bellocq.
- Ah ok, je vous vois venir, lâcha soudain l’enrobé. Vous allez me faire le coup du gentil et du méchant flic, c’est ça ? Et je suppose que c’est vous le gentil, désigna-t-il Dax du menton.
- Ah oui ? répondit sèchement le capitaine qui s’approcha de l’éducateur et lui administra une violente taloche sur la noix de joue qui le fit chuter de la banquette.
Le Gitan, lui-même fut étonné de la réaction du capitaine, d'habitude si mesuré.
- Alors ? demanda ce dernier qui semblait soudain plus détendu. Tu penses toujours que c’est moi le gentil ?
***
Si Sergio ne connaissait pas l’allocution latine Pacem para bellum, il savait néanmoins la faire sienne en cas de nécessité. Jimmy et lui étaient allés décrocher les lance-bastos de leur râtelier et avaient inventorié les cartouches de chevrotine calibre douze pour le gros gibier et les pruneaux neuf millimètres parabellum. Le malabar n’aimait rien tant que l’odeur de la calamine et celle des huiles qui nourrissaient le bois des crosses et lustraient les canons. Et tandis que les deux frangibus rassemblaient leur paquetage et se branlaient-bas de combat, Koenraad Pieters accompagné de sa duchesse, déboula comme un diable au volant de son pick-up sur le chemin bosselé du repaire des Van Buick. Le Vlaams exécuta un dérapage contrôlé avant de stopper le véhicule dans un nuage de poussière.
- Ze staan nog op de camping, informa-t-il les apaches en pénétrant au pas de course dans la cuisine, arquebuse à l’épaule.
- Un gendarme les a rejoints, il y a peu, précisa la bourgeoise du Flamingo qui lui collait le train.
Les narines encombrées par la poussecaille, elle s'en boucha une de l’index pour se moucher à l’américaine. Bien que Flamande aussi, elle semblait cependant moins à cheval sur l'usage exigé du néerlandais que son mari. Elle se prénommait Janne et était l’unique représentante de la gente féminine acceptée au sein de l’amicale des chasseurs. C’était une hommasse solidement charpentée, à la gâchette facile, que ses collègues de traque avaient d’ailleurs surnommée “Calamity Janne”. La canardeuse, que d’aucuns soupçonnaient de porter la culotte, faisait montre d’un caractère rude et trempé, propre aux filles du Nord.
- Ze vais m’les faire ! clama Sergio en choppant la bouteille de prunes et d’alcool de bois que Jimmy avait laissé traîner sur la table.
Furax, il en avala une généreuse gorgée, oubliant sa baveuse meurtrie par la morsure de la petite enragée, il y a deux jours, qui lui faisait encore un mal de chien. Il recracha aussi sec les quatre-vingt-quinze degrés d’alcool qui lui brulèrent les muqueuses comme une caresse de toile émeri. Il se leva et éclata la boutanche sur le sol.
- Wat ga je doen ? s'inquiéta Koenraad.
Bien que l’affaire fût classée, le malabar et ses aminches avaient de sérieuses raisons de se cailler les sangs, d’autant que Gervais, qu’ils espéraient suffisamment lâche et anéanti pour s’écraser et jouer profil bas pendant quelques temps, s’invitait à la fête. La raison avait incité Sergio à ne pas l’éliminer dans l’immédiat car deux disparitions le même jour à l’orphelinat n'auraient fait qu’éveiller les soupçons. Et l’addition d’un gendarme dans l’équation n’allait pas faciliter la résolution du problème.
Le temps n’était plus à la prudence. Il fallait agir, et vite !
C’était désormais officiel : la chasse aux perdreaux était ouverte et allait débuter à la nuit tombée.
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