Chapitre 5-1
LOLA
Je posais mes outils sur l’établi et m’étirais comme un chat pour soulager mon dos courbaturé. Je travaillais depuis quatre heures du matin.
Je m’étais encore réveillée en plein cauchemar, dont je ne me rappelais rien, trempée de sueur, tremblante et tendue comme un arc. J’avais des cernes ou plutôt des valises sous les yeux. J’étais fatiguée et donc d’une humeur massacrante.
Je regardais l’heure à ma montre et vis que j’avais passé l’heure du déjeuner, mais je n’avais pas faim. Je n’avais pas mangé depuis la veille. Je me rendis quand même dans la cuisine pour me préparer quelque chose. Rester sans manger n’arrangerait pas le malaise que je ressentais depuis deux jours.
J’ouvris donc mon frigo pour prendre ce qu’il me fallait pour faire un sandwich. Vive le jambon beurre ! Une fois celui-ci préparé, je m’installais sur un tabouret de l’îlot central avec un jus de fruit et entamais mon repas. Tout à coup j’entendis un bruit de moteur. Je me levais et me rendis à la baie vitrée près de la porte d’entrée.
Un SUV gris anthracite de grande classe se gara à côté de mon fourgon. Ne me demandez pas de quelle marque, je n’y connaissais rien. Trois hommes en sortirent et s’avancèrent vers mon perron. Je fronçais les sourcils et ouvrit ma porte. Je plaquais un sourire légèrement forcé sur mon visage. Asociale je vous l’ai dit, si je voulais ouvrir une boutique je devais m’entraîner, n’est-ce pas ?
— Qu’est-ce que je peux faire pour vous ? demandais-je.
— Bonjour mademoiselle. L’homme en tête monta les marches de mon perron pour me tendre la main. Il était grand, les cheveux blancs mi-longs, des yeux bleu pâle qui me regardaient avec bienveillance.
— Je m’appelle Thomas Roland, je suis enchanté de faire votre connaissance.
Il avait beaucoup de prestance et une assurance naturelle qui mettait en confiance.
Je lui tendis ma main et il la serra dans la sienne. Je ressentis un léger picotement au contact de sa paume, de l’électricité statique, pensais-je.
— Je vous présente mon neveu Aaron et son ami Tobias.
Je tournais mon regard vers les deux autres hommes. L’un d'eux fonça vers moi, me faisant sursauter.
— Salut, dit-il, tendant la main vers moi. Moi c’est Tobias, fit-il avec un énorme sourire. Enchanté.
Il était légèrement plus petit que le dénommé Thomas, les cheveux châtains clair coupés court et des yeux bleu pâle pétillants de malice. Il devait avoir entre vingt-cinq et trente ans mais avait le physique d’un ado. Mince et un peu dégingandé.
Je lui souris et répondis à sa poignée de main.
— Salut.
À ce moment-là j’entendis un léger grognement. Je me tournais vers le troisième homme en haussant un sourcil. Je l’avais bien entendu grogner, non ? Tobias le regardait les yeux ronds.
— Aaron ? fit Thomas en se raclant la gorge.
L’homme avait la tête baissée. Lorsqu’il la releva et qu’il me regarda, j’eus l’impression de me prendre un coup de jus. Ses yeux d’un bleu électrique étaient écarquillés et me fixaient avec une intensité telle que j’eus l’impression qu’il me sondait jusqu’au fond de mon âme.
Je ne pouvais pas détacher mon regard. Lui aussi était grand, ses cheveux noirs et bouclés lui arrivaient un peu plus bas que les épaules et étaient attachés sur la nuque par un lien en cuir. Il avait à peu près le même âge et la même corpulence que son ami Tobias.
— Aaron ! répéta Thomas d’un ton plus sec.
L'interpellé secoua la tête et le contact fut rompu. Il s’approcha, me tendit sa main à son tour et dit.
— Moi, c’est Aaron.
Je serrais la sienne et à son contact une lumière bleue explosa au niveau de mes yeux, un courant électrique parcourut mon corps et je fus prise de vertige. J’entendis l’un des hommes, Tobias je crois, lancer un juron et Thomas dire, avec un rire dans la voix.
— Je crois que Loric ne s'était pas trompé.
Quant à Aaron, je l’entendis grogner à nouveau.
Je sentis des bras me soutenir pour rentrer dans mon chalet et m’allonger doucement sur mon canapé.
— Tobias, trouve moi de l’eau avec un linge et un verre d’eau s’il te plaît.
— Tout de suite, répondit-il.
Seigneur mais qu’est-ce qui m’arrive ? songeais-je le cœur battant trop vite. Je déglutis et essayais de me redresser.
— Doucement, me dit Thomas, ça va passer dans quelques instants.
Je le sentis me passer un linge humide sur le visage.
Ma vue redevint normale, mon cœur se calma et mes vertiges cessèrent. J’entendis Aaron dire.
— Thomas, est-ce que…?
Il avait la voix tremblante, et était à genoux à côté de moi.
— Nous en parlerons plus tard si tu veux bien.
— Oui ...Oui bien sûr.
Cette fois, je me redressais vivement.
— Que s'est-il passé ?
— Rien de bien grave, vous avez fait un léger malaise. Est-ce que vous êtes fatiguée ? Avez-vous mangé ?
Je les regardais tour à tour en fronçant les sourcils avec méfiance.
— Ça ne vous regarde pas. Et pourquoi êtes-vous là d’abord ?
J’avais la gorge sèche et pris le verre d’eau que Tobias me tendait.
— Vous vous sentez mieux ? me demanda Thomas.
— Oui, ça va merci. Je ne comprends pas ce qui m’est arrivé mais ça va. Hum... Je me raclais la gorge un peu gênée. Puis-je connaître le but de votre visite ? demandais-je en fixant sur Thomas.
Je n’osais pas regarder Aaron, allez savoir pourquoi. Mais il me faisait un drôle d’effet. J’avais chaud, j’avais des frissons. “Bon fait pas ta mauviette ok ?” je me donnais une claque mentale pour retrouver une contenance. Thomas me renvoya mon regard, mais une lueur amusée dansait dedans. “ Il se fout de moi en plus ? ” J’allais le rembarrer lorsqu’il reprit la parole.
— En fait nous sommes venus pour vous demander s’il était possible de voir vos créations.
Je haussais un sourcil.
— Vous pouvez les voir sur mon site internet, répondis-je. Je ne vends que par ce biais pour le moment.
— Disons que je suis très intéressé par votre travail et pourrais éventuellement vous passer des commandes. Mais je souhaiterais voir de visu ce que vous faites, internet c’est très bien mais j’aime toucher ce que j’achète. Nous avons trouvé votre adresse sur votre site et n’habitant pas très loin de chez vous, je me suis permis de venir vous voir directement. Est-ce que cela vous dérange ?
Je réfléchis à ce qu’il m’avait dit, et ce qui attira mon attention ce furent les mots “ des commandes ” au pluriel. Il est vrai que je commençais à me faire connaître, mais ma clientèle n’était pas encore assez étoffée pour que je passe à côté d’une éventuelle vente de plusieurs de mes créations. Je décidais donc d’accepter sa demande.
— D’accord, si vous voulez bien me suivre.
Je traversai la cuisine, les trois hommes sur les talons et entrai dans mon atelier. Les hommes entrèrent à leur tour. Et restèrent bouche bée.
— Mon Dieu ! c'est magnifique ! fit Thomas.
— Wouahh ! ! s'exclamaTobias.
Quant à Aaron un grand sourire étira ses lèvres lorsqu’il se tourna vers moi. Son regard me percuta mais j’y lisais beaucoup de fierté. Bizarre.
— Vous faites un travail fantastique, me dit-il.
Mon cœur se mit à battre plus vite. Je n’allais pas encore tomber dans les vapes quand même, merde. J’avais l’impression d’être une midinette devant son idole. Ridicule et pathétique !
Je me redressai et essayai de prendre mon air professionnel comme il se devait.
— Merci beaucoup “ Voilà, ça c’est professionnel ” me dis-je en fermant les yeux un instant. Ouais, c’est ça...Je poussai un soupir intérieur.
— Vous avez un don avec le verre, fit Thomas en faisant le tour de l’atelier. Il s’approcha de ma table de travail et observa la pièce sur laquelle je travaillais. Vous avez fait une formation pour ce métier ?
— Non, lui répondis-je, je suis autodidacte. J’ai toujours aimé les objets en verre. J’aime l’effet que donne la lumière en passant au travers. Ce travail m’a semblé une évidence pour moi, et si je pouvais en plus en faire mon gagne-pain, c’est double bénéfice pour moi.
— Intéressant, très intéressant, me répondit-il, énigmatique.
— Comment travaillez-vous les couleurs ? me demanda Tobias, curieux.
— J’utilise des émaux et du jaune d’argent ou si vous préférez du…
— Chlorure d’argent, me coupa Aaron.
— C’est exact, confirmai-je, surprise. Je mélange le jaune d’argent à du borax pour qu’il puisse être incorporable au verre. Une fois peint, le verre est cuit dans le four qui se trouve dans un appentis à l’extérieur.
— Le borax est aussi utilisé pour la fusion et la soudure des métaux.
Je haussais les sourcils en le regardant.
— Comment le savez-vous ? lui demandais-je, surprise.
— Je suis forgeron, répondit-il avec un sourire de fierté.
Les yeux écarquillés, je le dévisageai, “ Arrête, tu va finir par baver, nom d’un chien” ensuite mon regard se teinta d’intérêt et de calcul.
— Voulez-vous voir l’atelier de cuisson ?
Nous sortîmes tous les quatre de ma maison pour nous rendre dans l’appentis jouxtant celle-ci.
Presque arrivés à la porte d’entrée, Aaron s’arrêta net en poussant un gémissement. Il vacilla. Tobias se précipita et le soutint par la taille.
— Aaron ! ! cria-t-il.
— Tobias, murmura-t-il, la voix rauque, je crois que ça recommence. Il ne faut pas qu’elle voit ça, fit-il les mâchoires serrées.
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