CHAPITRE 6-1

AARON

J’observais Lola assise dans un fauteuil de son salon. Le dos raide, elle avait un air renfrogné et nous regardait avec beaucoup de méfiance, les bras croisés sur sa poitrine. Je rencontrai son regard et mon cœur se mit à battre plus vite.

Elle était ma B’shert, ou âme sœur ou alter égo selon les pays ou les croyances. Le choc que j'ai reçu lorsque j’avais croisé son regard puis que nous nous étions serré la main à notre arrivée, avait été incroyable. Nous nous sommes immédiatement connectés. J’avais tout de suite compris ce que cette connection signifiait et cela m’avait terrifié. Mais ayant été élevé par des humains, elle ne connaissait pas ce concept. Le fait d’avoir trouvé sa Destinée faisait partie du folklore chez eux. Et son père est mort trop tôt pour avoir pu lui transmettre toutes ses connaissances. Donc, elle ne m’avait pas reconnu comme tel.

En repensant à l’attaque dont elle avait été la cible, la peur et la rage recommençaient à circuler dans mes veines. J’étais en pleine crise quand elle avait eu lieu. Grâce à notre connexion, lorsqu’elle vit l’hallucination l'attaquer, sa peur déclencha en moi un lien qui me permit de voir ce qu’elle voyait et d’instinct, mon corps entra dans une fureur noire. J’attaquais cette chose avec un pouvoir que je ne possédais pas “avant”, et qui se réveilla à cet instant là.

Elle semblait épuisée, mais avait repris son sang froid, démontrant une grande force mentale. Ce qui était un atout conséquent pour la suite, car elle entamait une nouvelle vie qui allait bouleverser tous ses repères.

J’étais assis sur son canapé avec Thomas à mes côtés face à elle, et Tobias dans un fauteuil à côté d’elle. Entre nous, se trouvait une table basse en fer forgé, avec un plateau en vitrail représentant des feuilles allant du bleu turquoise en passant par le vert émeraude, dans des tons clairs à foncés. Une de ses créations. Elle était splendide.

Je pensais être épuisé après cette crise et cette attaque, l’adrénaline circulant dans mon corps étant redescendue, mais je me sentais en pleine forme. Thomas m’avait demandé de regarder mon bras. Un nouveau tatouage bleu cobalt était gravé au-dessus de l’autre. Il s’agissait d’une main, paume dressée vers l’avant avec trois traits donnant l’impression d’en sortir. Thomas me regarda intensément et dit.

— Psychokinésie, chuchota-t-il. Je haussai un sourcil interrogateur. C’est la capacité d’utiliser ton esprit pour effectuer diverses actions, comme par exemple de déplacer des corps solides à distance, le magnétisme mais aussi de contrôler par l’esprit les êtres vivants.

Je le dévisageais d’un air ahuri.

— Et pour faire simple ça veut dire quoi ?

— Euh...ça veut dire que...nous en parlerons plus tard, fit Thomas en voyant Lola prendre la parole.

— Qui êtes-vous et pourquoi êtes-vous là ? Et que s’est-il passé tout à l'heure ? Parce que votre visite pour voir mon travail, c’était des conneries non ? Vous êtes là dans un but précis et vous m’avez menti.

J’ouvris la bouche pour répondre, mais elle me lança un regard noir et poursuivit.

— Je ne veux pas de bobards. Est-ce clair ? dit-elle en nous fusillant du regard.

Thomas se racla la gorge et dit.

— Depuis combien de temps avez-vous des hallucinations ?

Elle hésita mais répondit.

— Depuis toujours. Je n’y fais plus attention depuis longtemps puisque par définition elles ne sont pas réelles. Pourquoi ? savez-vous quelque chose à ce sujet ?

Thomas acquiesça de la tête, et Lola se raidit.

— Crachez le morceau !

— Bien, fit Thomas en plantant son regard dans le sien. J’aimerais que vous écoutiez ce que nous avons à vous révéler en gardant votre calme et l’esprit ouvert. Vous pouvez faire ça ?

— Je peux essayer. Mais je ne vous promets rien quant à vous croire, pour l’instant ma confiance naturelle est aux abonnés absents, fit-elle avec un sourire amer.

— Je comprends, et nous sommes désolés, mais nous allons tout vous expliquer. Mais d’abord j’aurais quelques questions à vous poser. Comment avez-vous obtenu ce chalet ? c’est très important, insista-t-il en la voyant plisser les yeux.

Elle poussa un soupir.

— Je cherchais à acquérir une maison, j’ai reçu un mail avec des photos de ce chalet, je l’ai visité et je l’ai acheté.

— Etes-vous passé par une agence?

— Non, je faisais des recherches sur internet et j’ai reçu le mail. C’est tout.

— Pouvez-vous me dire le nom de la personne qui vous a fait visiter ?

— Euh...oui, c’était madame...Elle fronça les sourcils. Je ne m’en souviens plus. Je ne me rappelle pas d’elle. C’est bizarre non ? Elle attrapa son portable et pianota dessus. Elle pâlit et murmura, le mail, je ne l’ai plus ! Mais qu’est-ce qui se passe ? fit-elle la voix tremblotante.

Je réprimai le besoin de me lever et la prendre dans mes bras pour la réconforter. La voir aussi perdue me brisait le cœur. Je prenais la parole.

— L’ancien propriétaire était un ami à moi. Lorsque je suis venu lui rendre visite, il y a quelques jours, j’ai eu la surprise de voir quelqu’un emménager. C’était vous. Normalement vous n'auriez pas dû pouvoir acheter ce chalet car il n’a jamais été à vendre. Il se transmet de Gardien à Gardien. Quelqu’un s’est arrangé pour que VOUS achetiez ce chalet, et nous devons découvrir qui et pourquoi.

Elle me regarda avec les yeux écarquillés.

— Je vous demande pardon ? Vous êtes venu ici ? et ça veut dire quoi de Gardien en Gardien ?

— Nous allons faire des recherches là-dessus afin de trouver des réponses, fis-je en éludant ses questions. En attendant, il vaut mieux continuer de vous expliquer ce qui se passe, dis-je avec douceur en me tournant vers Thomas pour qu’il reprenne la parole.

— Pour en revenir à vos hallucinations, est-ce que votre père était au courant ? demanda Thomas.

Lola me fixait du regard - l'air de dire, on n’en a pas fini - puis le reporta sur Thomas.

— Mon père ? Non, je ne le lui ai jamais dit. J’avais trop peur qu’il en parle à ma mère. Ç ’aurait été une très mauvaise idée. Mais pourquoi cette question ? Qu’est-ce que mon père a à voir avec ça ?

— Parce que votre père vous aurait expliqué ce qu'il vous arrivait. Vos “hallucinations” n’auraient dû commencer que le lendemain de vos vingt-cinq ans. Malheureusement il est mort bien trop jeune, et avant de pouvoir vous parler de qui vous êtes, ou plutôt de ce que vous êtes.

Lola resta bouche bée, puis fronçant les sourcils dit avec hargne.

— C’est quoi ces conneries ?

Je regardais Lola puis Thomas.

— Bon, c’est mal parti, dis-je. Elle ne croira rien de ce qu'on va lui dire. Je crois que le mieux est de lui montrer, déclarai-je en regardant Thomas puis Tobias.

Thomas m'observait en haussant les sourcils.

— Je ne suis pas sûr qu’elle encaisse le choc, Aaron.

— Elle est plus solide qu’elle en a l’air. Après l'attaque, elle aurait pu s'écrouler, mais elle a repris son sang froid. Elle possède une grande force mentale. Et de toute façon, nous n’avons pas le choix. Elle a déjà été agressée, d’ailleurs elle n’y a fait aucune allusion car elle est dans le déni, et ses cauchemars ne vont pas s’arranger. Le temps presse.

Lola se leva, tremblante de colère.

— Yououuu ! ! je suis juste là ! ! à côté de vous ! !

— Vous devriez vous rasseoir, lui dis-je en plantant mon regard dans le sien.

— ALLEZ -VOUS FAIRE FOUTRE ! ! ! hurla-t-elle, hors d’elle.

— Très bien, dis-je en fronçant les sourcils. Mais je réprimai un sourire. Pas de doute, elle avait du caractère. Je fixais Tobias. Transforme-toi.