Chapitre 8-1
Après le petit-déjeuner, j'avais décidé de travailler dans mon atelier. Malgré tous les chamboulements dans ma vie, les commandes devaient être honorées, et en plus cela me permettrait de me concentrer sur autre chose.
Aaron me suivit, car mon travail le rendait curieux au vu des similitudes avec ses compétences de forgeron. Tobias décida de rejoindre Alric, je n’étais pas certaine que ce dernier apprécie cette aide, mais bon, ne le connaissant pas, je réservais mon avis.
La matinée se passa agréablement, la présence d’Aaron était plaisante. Je me fis la réflexion que j’avais l’impression de le connaître depuis longtemps, c’était très étrange. J’avais une connexion particulière avec ma jumelle, ce qui me semblait normal, mais sentir la même chose avec un inconnu était déstabilisant.
Lorsque nous retournâmes dans la cuisine, Tobias avait préparé le repas - sans catastrophe cette fois - des œufs durs accompagnés de pâtes à la sauce tomate et Alric mettait la table. Nous partîmes ensuite pour mon rendez-vous chez le notaire. Alric prit le volant de la Mercedes avec Tobias côté passager, Aaron et moi, à l’arrière.
— On est obligés d’y aller tous ? demandai-je, perplexe.
Je croisai le regard d’Alric dans le rétroviseur lorsqu'il me répondit.
— Jusqu’à ce que cette histoire soit finie, nous allons te coller aux basques comme un vieux chewing-gum sous une semelle de chaussure.
— Euh…vous connaissez ce genre d’expression ? fis-je abasourdie.
— Et pourquoi ne les connaîtrions pas ? rétorqua-t-il en haussant un sourcil.
— Eh bien…hésitai-je, votre monde avec vos dons et pouvoirs, ressemblent aux légendes mystiques circulant chez les humains, et ces histoires dans les consciences populaires montrent des mondes assez moyenâgeux terminai-je tout bas, gênée.
— Est-ce qu’on donne l’air de s'habiller avec des braies et des chausses d’après toi ? me lança-t-il d’un œil rieur.
— Laisse la tranquille, l'interrompit Aaron. Puis, s’adressant à moi, ASILIA est un monde tout ce qu’il y a de plus moderne, sauf que contrairement aux humains, respecter notre environnement est notre priorité. Cette voiture, par exemple, n’est utilisée que dans ton monde. Chez nous, tout fonctionne avec l’énergie nous entourant, un peu comme l’électricité ici. Cela ne nous viendrait même pas à l’idée d’utiliser des matériaux nuisibles à notre " terre ", c'est elle qui nous nourrit, un peu comme une mère, et nous prenons soin de nos mères.
Le reste du trajet se fit en silence. Plongée dans mes pensées, je fus surprise lorsque la voiture s’arrêta devant l’office notarial. Ma gorge se serra. Aaron se proposa pour m’accompagner, mais je refusai disant que je n’en avais pas pour longtemps. Effectivement, je regagnai la voiture, munie d’une enveloppe à peine un quart d’heure plus tard que je glissai dans mon sac à main. Aaron faisait les cents pas sur le trottoir devant l’office, alors qu’ Alric était appuyé contre le capot, les bras croisés, mais le regard attentif au moindre mouvement alentour. Tobias, lui, écoutait de la musique, affalé dans son siège. Je montai dans la voiture, les mains légèrement tremblantes.
— Allez, les courses maintenant, fit ce dernier en se frottant les mains.
Alric grogna tout en s’insérant dans la circulation.
Je le guidai vers un supermarché. Dans le magasin, les courses furent rondement menées, Tobias poussait le caddy en faisant l’idiot, houspillé par Alric qui soufflait d’agacement. Le caddie était plein à craquer en arrivant aux caisses. Au moment de payer, Aaron m'interdit de régler me disant que ce n’était pas négociable. À son regard déterminé - et celui des autres - je remballai ma carte bancaire.
Nous reprîmes la route. Nous venions à peine de nous garer devant le chalet lorsqu’Alric se tendit et huma l’air.
— DES MAUDITS ! ! Lola et Tobias, enfermez-vous dans la voiture ! !
Tobias devint blême alors que des frissons couvraient ma peau. Alric et Aaron sortirent en trombe, entourés d’une lueur bleue. Les yeux écarquillés, je vis le Protecteur revêtu d’une...armure ? elle le couvrait de la tête au pied et il tenait une sorte d’épée dans la main. Aaron avait pris l’apparence de son chien noir. Il avait les poils dressés sur le dos, les yeux électriques et les babines retroussées. Il restait posté près de ma portière. Je l’entendais grogner de l‘intérieur de la voiture.
Je vis des hallucinations, ou plutôt des ombres encercler le véhicule avant de prendre forme humaine. Ils attaquèrent. Avec horreur, je me rendis compte que les Maudits, avec leurs yeux rouges, avaient des griffes longues d’une dizaine de centimètres. La peur me tordit l’estomac. Alric fonça en faisant tourner son épée et en rugissant. Je ne le voyais presque pas bouger. Il décapita l’un d’entre eux pendant que deux autres se jetaient sur lui. Il en frappa un deuzième d’un coup de pied dans le genou déséquilibrant celui-ci, tandis que le troisième tentait un coup de griffes vers sa gorge. Alric évita le coup en tournoyant sur lui-même et passa son épée au travers de son corps puis décapita celui qui se redressait.
Aaron, pendant ce temps, avait sauté à la gorge d’un autre attaquant et la lui arracha. Sans attendre, il bondit sur le dos d’un second qui s’écroula sous l’impact et lui fit subir le même sort. Il se retournait pour affronter le dernier, mais reçut un coup de griffe au niveau du flanc. Je l'entendis couiner, mais ça ne l’arrêta pas et il se jeta sur son adversaire.
Occupée à regarder Aaron, je ne vis pas les deux autres Maudits se rapprocher de ma portière de l’autre côté de la voiture. Tobias cria, mais c’était trop tard, la portière fut littéralement arrachée et des bras tentèrent de m’attraper. Je hurlai et me calant contre la portière, je donnai des coups de pieds pour l’en empêcher. Mais il était trop fort. Il me saisit la jambe et tira vers lui. Je ressentis comme un vertige. La peur me submergeait.
Tout à coup j’entendis un grognement effroyable et mon agresseur vola en arrière. Il fut littéralement déchiqueté par...par Aaron ? Lorsqu’il en eut fini, il se retourna vers moi, mais il n’était plus le chien que je connaissais, enfin c’était lui mais il avait presque doublé de volume de même que ses crocs et ses griffes. La rage qu’il dégageait aurait dû me terrifier, mais ce ne fut pas le cas. Enfin, je n’étais quand même pas très rassurée quand il s’avança vers moi en grognant. Je pris sur moi et essayait de lui parler.
— Tout doux mon beau. C’est moi, Lola, tu me reconnais, hein ?
Sa tête se pencha sur le côté, il couina et continua d’avancer avant de tituber et de s’écrouler sans connaissance. Je me précipitai vers lui.
— AARON ! !
Je m'agenouillai près de sa tête que je soulevai doucement et posai sur mes cuisses. Je vis alors le sang coulant sur son flanc. En fait, il en avait partout, mes mains en étaient recouvertes. Je me rendis compte à ce moment-là du silence qui m’entourait.
— TOBIAS ! !
— Je suis là, tout va bien, fit-il en s’accroupissant près de moi. Alric appelle la guérisseuse.
Je tournai la tête vers ce dernier qui était au téléphone.
— Oui, Loric, je vais bien, mais Aaron est blessé, il faut faire venir Sandra. Un silence. D’accord, à tout de suite.
Mon regard revint sur Aaron lorsque j'entendis un bourdonnement. Aaron reprit sa forme normale et je hoquetais.
— Mon Dieu ! Aaron.
Il tremblait violemment. Sur son flanc, le sang coulait d’entailles correspondant à quatre griffures. Les estafilades avaient l’air profondes. Mais ce n’était pas tout, Aaron était différent, malgré tout le sang, les traits de son visage semblaient plus affirmés. Il avait l’air plus grand, même si allongé au sol cela ne semblait pas une évidence, ses vêtements étaient trop petits. Comme si son corps était passé du physique d’un jeune homme à celui d’un homme mature.
Alric, qui n’avait plus son armure, s’approcha et enleva son t-shirt. La colère irradiait de lui. Il n’avait aucune blessure apparemment. Lorsqu’il regarda Aaron, il se figea.
— Bah, merde alors ! Il se reprit et me tendit son vêtement. Fait un point de pression sur ses blessures pour diminuer l’hémorragie. Les renforts arrivent. Tu vas bien ?
— Oui...oui ça va, enfin, non ça ne va pas. Qu’est-ce qui lui est arrivé ? il va s’en sortir, hein ?
— Oui ne t'inquiète pas, la Guérisseuse va le remettre sur pieds. Et il semblerait qu’il ait fini sa transition physique.
C’est alors que je percus un mouvement du coin de l'œil. Je tournai la tête vers l’orée du bois derrière la maison et vit l’homme, enfin le Maudit qui m’avait agressé la première fois. Il croisa mon regard, me fit un clin d'œil et disparut.
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