Chapitre 13-3
13-3
Lola
Je travaillais dans mon atelier penchée sur mes tables lumineuses depuis une heure environ, lorsqu’Aaron entra discrètement. Il savait où je me trouvais, mais avait respecté mon besoin de solitude. Je me redressais en le sentant s’approcher de moi, il mit ses bras autour de moi et je m'appuyais contre lui.
— J’ai pris du retard dans mon travail. Envoyer des mails à mes clients pour leur demander de m’excuser, leur donner une nouvelle date de livraison, et avoir dû proposer une échéance au hasard, car rien ne m'indique que je pourrai les terminer, ce n'est pas moi. Ma petite entreprise est ouverte depuis trois ans. Je souhaitais ouvrir une vraie boutique, peut-être embaucher une vendeuse pendant que je m’occuperais des créations. Tu vois le vitrail en forme de rose qui se balance devant la baie vitrée ? Il s’agit de ma première pièce réussie. Je rêve un jour de créer une galerie. Il s'agissait de mes objectifs. De projets normaux, pour une vie normale. Et maintenant, quoi ? J’ai l'impression d'avoir perdu tous mes repères, ainsi que mon identité. Mes vingt-cinq ans ont sonné le glas de mon passé, de ma famille, de ma vie. Ils m’ont rendue aveugle sur mon avenir.
Aaron me tourna vers lui, mais resta silencieux, se contentant de me donner un baiser et poser son front contre le mien.
— Viens avec moi, je voudrais te montrer quelque chose.
Il prit ma main et m’entraîna à l’extérieur en direction de l’appentis que j’utilisais pour la cuisson de mes vitraux. Il se dirigeait vers une porte qui donnait sur une pièce que je n'avais pas encore eu le temps d'explorer. Aaron enleva toutes les bâches couvrant ce que je pensais être des “vieilleries” à trier et à jeter, et, bouche bée, je regardais une forge.
Des pinces, des marteaux, des masses, des ciseaux, des poinçons et plusieurs autres outils, dont les noms m'étaient inconnus, servant à travailler le métal, encombraient un établi en bois brut sur le côté gauche de l’atelier.
Au milieu de la pièce se trouvait une enclume qui devait peser environ cent kilos. Elle était installée sur une grosse bille de bois et maintenue par de gros clous, et elle-même ancrée au sol, lui évitant ainsi de basculer et de provoquer un accident si elle venait à tomber.
Au fond de l’atelier se trouvait l’immense soufflet que le forgeron animait de manière régulière, pour maintenir une chaleur constante du foyer, avec une hotte au-dessus du brasero. Dans un coin il y avait un autre meuble en bois, sur lequel s’étalait toute une famille de pinces, de limes, de marteaux, de burins et de scies, à côté d’un gros étau.
Je regardais Aaron en haussant les sourcils.
— Tu connaissais cet atelier ?
— C’est Marc, le Gardien et moi qui l’avions agencé il y a des années. Il avait remarqué ma passion pour les métaux, et m’avait donc proposé de m’apprendre quelques rudiments, alors il commença à créer cet endroit. J’avais douze ans. Il s’est vite rendu compte que j’avais un don pour le façonnage de ces matières. Mes gestes étaient naturels, c'était ma vocation. Au fil du temps, je maîtrisais le travail de forgeron et en faisais mon métier. Maintenant je possède ma propre forge à Asilia. J’utilisais celle-ci de moins en moins, mais Marc l’a gardée en l’état.
Un air nostalgique passa sur son visage avant qu’il ne se dirige vers un coin de l’atelier encore bâché.
— Approche, fit-il, un léger sourire aux lèvres.
Arrivé près de lui, il ôta la bâche sous laquelle se trouvait une sorte d’énorme coffre en bois.
— Ouvre le.
J’attrapai la poignée et soulevai le couvercle. Je restai bouche bée. Je plongeai la main et ressortis un objet en métal. Je sentais qu’Aaron guettait ma réaction. Il avait une forme arrondie de cinquante centimètres de diamètre environ. Le pourtour était habillé avec délicatesse de fines feuilles ouvragées. Dans le cercle était sculpté un arbre en fer forgé. Les détails des branches, du feuillage et du tronc me sidéraient. La base de celui-ci ainsi que quelques ramures avaient été soudées sur le cadre rond pour le maintenir en place, mais de façon à s’intégrer dans la masse. C’était un véritable travail d'orfèvre, une œuvre d’art.
— C’est magnifique, soufflais-je. Tu as de l’or dans les mains, poursuivais-je, admirative.
Je sortais différents objets du coffre, ils étaient tous plus beaux les uns que les autres.
Aaron souriait, le regard empli de fierté, mais aussi de gêne, les compliments le mettaient à l’évidence mal à l’aise.
— Pourquoi me montres-tu tout ça maintenant ?
— Parce que je voulais te montrer un avenir. Te promettre qu’un jour, tu créeras une galerie. Rien que dans mon monde, tes créations vont faire un malheur, tu te rappelles la réaction de Thomas en voyant ton atelier ? Tu as vu les Miroirs d’Asilia. Tu comprendras ce que je veux dire quand je t’y emmènerai. Je te garantis que ta carrière professionnelle est toute tracée...Et j’aimerais être inclus dans cela. Forger des armes, n'est qu'une partie de mes compétences, je fais aussi de la ferronnerie d’Art. Ce que tu vois là, sont les premiers objets que j’ai forgés lorsque j’étais adolescent. Je suis certain que l’on pourrait associer nos deux dons et réaliser des oeuvres fantastiques.
Je sentis mon coeur se gonfler de gratitude et d’amour pour cet homme. Je m’étais trompée, même si son arrivée avait chamboulé mon existence, il me donnait un avenir. Peut-être pas celui que je m’étais représenté, mais lui et les siens m'offraient une nouvelle vie. Je n’étais pas obligée de tirer un trait sur l’ancienne, j’avais ma sœur et ma nièce, mais je pouvais combiner les deux. Et j’avais bien l’intention de prendre ce futur à bras-le-corps et me battre pour le protéger. Je refermais le coffre et me tournais vers mon B’Shert.
— Je t’aime Aaron, lui dis-je d’une voix rauque en me jetant dans ses bras qu’il referma autour de moi.
Il me souleva, j'enroulai mes bras autour de son cou, encerclait sa taille de mes jambes et il sortit en direction de ma chambre.
Le lendemain matin, la voix tonitruante de Loric sonnait le réveil. Allongée sur le côté, je gémissais et mettais ma tête sous l’oreiller. Près de moi, Aaron grogna en se collant à mon dos et grommelait.
— Cinq minutes, laissez-nous cinq minutes.
Mais le Meneur, ne l'entendant pas ainsi, se mit à tambouriner comme un malade sur notre porte.
— Debout !! le petit-déjeuner vous attend !!
— Je hais ton chef !
— Il a cet effet quelquefois, rit-il.
Je me levais en traînant les pieds pour filer à la douche. Voyant qu’il restait sans bouger, je le regardais par-dessus mon épaule. Ses yeux, fixés sur mes fesses, me firent sourire.
— Alors ? tu viens ?
— C'est une mauvaise idée, dit-il le regard étincelant, Loric serait capable de venir nous chercher par la peau des fesses.
— Il n’oserait pas ? si ?
— Je préfère ne pas connaître la réponse.
Nous sortions de la chambre dix minutes plus tard, douchés et habillés de vêtements de sport. Je jetais un regard noir à Loric, auquel il répondit par un sourire innocent.
Après le petit-déjeuner, Aaron appela Rolf afin de commencer l’entraînement.
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